Said Ahamada : « Je condamne le recours à la violence »

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Said Ahamada : « Je condamne le recours à la violence »
Said Ahamada : « Je condamne le recours à la violence »

par Kamal Gamal

Africa-Press – Comores. Ancien député de la 7ème circonscription des Bouches-du-Rhône (Marseille), le franco-comorien Said Ahamada du LREM (La République En Marche) revient sur l’actualité dont des sujets sur la justice, l’inflation et les relations entre l’Union des Comores et son ancienne colonie, la France à travers le cas de Mayotte. Sur ces lignes, il exhorte la classe politique comorienne à privilégier le dialogue et la négociation face à ce contexte de crises multiples et de défiances multiformes, comme seuls gages de parvenir à une cohésion nationale et sociale. Car actuellement, « c’est une question de survie ». Interview.
Question : Citoyen franco-comorien et homme politique français, quel regard portez-vous sur le climat politique comorien actuel ?
Said Ahamada : Je suis très inquiet. Et évidemment, la diaspora est particulièrement choquée par la tournure des événements. Il y a 1000 manières de réagir pour les autorités face à ce qu’elles considèrent comme un non-respect de la loi. Envoyer l’armée est la pire. En tant que démocrate, attaché au respect des libertés publiques je condamne le recours à la violence, d’où qu’elle vienne mais force est de constater que la réaction de l’armée est singulièrement disproportionnée. Ce qu’il s’est passé à Mbeni est le symptôme d’un Etat de droit défaillant. Je pense que l’un des maux les plus profonds dont souffrent les Comores aujourd’hui c’est l’absence de contrepouvoirs. Le fait que les autorités aient par exemple décidé de poursuivre des habitants de Mbeni pour pillage mais qu’aucune enquête n’ait été ouverte sur le comportement des militaires montre bien que le gouvernement et ceux qui lui obéissent estiment ne pas avoir de compte à rendre. Il en est de même pour les oppositions ou la société civile qui réagit. Tant que les autorités considéreront que les opposants politiques sont des ennemis de l’Etat et non des adversaires politiques, on ne pourra pas parler de véritable Etat de droit aux Comores.

Question : Des membres de l’Opposition accusent le régime en place de «dictature» depuis les dernières élections de 2019 qu’ils qualifient de «hold-up». Avez-vous un jugement face à cela ?
S.A : Ils contestent l’organisation d’une élection qui a été réalisée sur le fondement d’une nouvelle constitution qu’ils dénoncent. Pourtant lors de l’élection en 2019, ils étaient tous candidats ou ont essayé de l’être. J’avais pourtant conseillé à tous les candidats qui étaient venu me voir à l’époque de se rassembler autour d’une seule candidature, s’ils voulaient quand même concourir. Au final ils étaient 12. Cherchez l’erreur. Mais tout ça est derrière nous. Aujourd’hui, dans un contexte de crises multiples et de défiances multiformes, le dialogue et la culture de la négociation, qui font partie de notre culture, demeurent la seule manière de parvenir à une cohésion nationale et sociale. Sans un tel état d’esprit entre les gouvernants et les administrés, l’archipel risque d’être pour longtemps à la traîne, dans un environnement sous régional qui aspire et œuvre pour un meilleur quotidien des populations. Nous sommes un petit pays, nous n’avons pas d’autre choix que de travailler ensemble. C’est une question de survie.

Question : Le pays connaît une inflation « insurmontable » et il semble qu’aucune mesure d’accompagnement n’est prise. Quel message lanceriez-vous au régime en place ?
S.A : Le phénomène inflationniste n’est pas propre aux Comores. Les pénuries à répétition ne datent pas de la guerre en Ukraine. Mais les conséquences sont encore plus dramatiques chez nous parce que nous dépendons trop de l’extérieur. Pour accompagner les Comoriens à passer ce cap difficile, je pense que les autorités doivent d’abord mettre fin au monopole de l’importation du riz tout en abaissant les tarifs douaniers pour la nourriture non transformée (farine, riz, viande, etc…). Les barrières douanières sont contreproductives en l’absence de production locale. A moyen terme, l’effort doit porter sur une politique agricole ambitieuse et moderne pour réduire notre dépendance alimentaire. La formation de nos jeunes doit être programmée en ce sens et ces métiers valorisés.

Question : 4 ans depuis l’arrestation de l’ancien Président Sambi par une note du ministère de l’intérieur. Que diriez-vous de ce cas plus spécifique et de tous les cas qui n’ont pas de retour de la justice ?
S.A : Nous devons effectivement nous interroger sur la question de la justice en général et du respect des droits de l’homme en particulier. Le cas Sambi en est la parfaite illustration. Je ne connais pas son dossier et je ne sais pas ce qui lui est exactement reproché. Par contre, détenir 4 ans un Comorien sans procès relève de l’arbitraire. Et ça c’est le droit comorien qui le dit. Donc soit il y a des choses à se reprocher et il faut que la justice passe, soit il est libéré.

Question : De passage aux Comores, vous avez été reçu par le Chef de l’Etat. Pouvez-vous nous en dire un peu plus de cette rencontre ?
S.A : La seule et unique raison pour laquelle j’ai demandé à rencontrer le président Azali était la libération de Mahamoud Ali Soilih dit Mamadou. Nous étions dans la période du dialogue lancée par le chef de l’Etat et je lui ai dit qu’il n’était pas concevable de vouloir discuter avec l’opposition si son principal responsable était quasiment en prison à Iconi. D’autant plus que Mamadou a aujourd’hui un certain âge et que je trouvais qu’il n’était pas digne, en tant que musulman et comorien, de ne pas le laisser prier dans son village ou aller voir sa famille. Un mois plus tard l’assignation à résidence avait été levée et aujourd’hui Mamadou est en France.

Question : Vous avez été député à Marseille, cinquième île comorienne, plusieurs jeunes comoriens perdent la vie là-bas, souvent dans des situations de règlement de comptes. Quelle a été votre politique face à cela ?
S.A : Il est vrai que jamais autant de jeunes comoriens n’avaient été concernés par les trafics en tout genre, même si on doit rappeler que cela reste une minorité. Il faut aussi dire que l’importance des trafics et règlements de compte est là aussi un symptôme, celui d’un abandon des quartiers dans lesquels les Comoriens vivent dans le Nord de Marseille. Ce que j’ai fait pendant 5 ans a été d’amener tous les moyens possibles de l’Etat français pour que ces quartiers ne soient plus des ghettos. Le résultat de mon travail, c’est plus de 2 milliards d’euros pour Marseille, principalement dans les quartiers nord, pour rattraper le retard. Jamais dans l’Histoire de France une ville française n’aura reçu autant de moyens de l’Etat. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire, y compris dans nos familles, pour encadrer nos jeunes.

Question : Quel est votre aperçu sur les relations entre la France et les Comores notamment sur le conflit autour de l’île de Mayotte ?
S.A : Je pense qu’aujourd’hui on ne peut intégrer les Mahorais par la force au sein de l’Union des Comores, peu importe ce que les politiques Français ou Comoriens peuvent décider. Nous devons aujourd’hui, selon moi, aborder cette question non pas sous l’angle politique mais sous l’angle humanitaire. Ce qui m’inquiète et m’attriste au plus haut point c’est le nombre de morts entre Anjouan et Mayotte. Ce doit être la priorité des élus Français et surtout Comoriens. C’est à ça qu’il faut mettre un terme avant tout. Et la meilleure manière de ne plus avoir de morts est d’élever le niveau de vie des Comores et cela passe notamment par un accord de coopération économique entre les 4 îles. Mais notre vrai défi c’est de redonner de l’espoir aux Comoriens, notamment les plus jeunes. Ils doivent pouvoir se dire qu’il est possible d’espérer progresser, gagner sa vie honnêtement, se construire une famille dans son propre pays. Ce même espoir né avec l’indépendance doit renaître de ses cendres, porté par de grands Hommes politiques.

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