Africa-Press – Comores. En plein hiver polaire, au cœur de l’Alaska, aux États-Unis, Nanuqsaurus hoglundi, “lézard ours blanc” en inuit, est parti chasser. Ce dinosaure de la famille des tyrannosauridés, qui mesurait près de 6 mètres de la queue au museau, affronte sans doute les conditions les plus rudes de la Terre de la fin du crétacé, il y a 70 millions d’années : la nuit est tombée depuis plusieurs semaines, une tempête de neige souffle et les proies se font rares.
Il s’est pourtant aventuré dans ce milieu hostile et avec lui de nombreux autres dinosaures tels que des hadrosaures à bec de canard, des cératopsiens à cornes ou encore des droméosauridés à l’allure d’oiseaux… Tous sont des résidents permanents de l’Alaska. “Nous savons qu’ils n’étaient pas simplement de passage puisque nous avons trouvé des traces de nids, d’ossements ainsi que de minuscules dents appartenant à de très jeunes individus de plusieurs espèces différentes “, raconte Patrick Druckenmiller, paléontologue à l’Université de l’Alaska de Fairbanks. Une véritable maternité pour dinosaures découverte dans la formation de Prince Creek, au nord de l’État, à l’été 2021.
Une surprise, car même si “le climat était plus chaud qu’aujourd’hui, sans calotte glaciaire et avec des températures qui atteignaient 10 ou 15 °C l’été, celles-ci chutaient sous zéro l’hiver. De plus, l’Alaska était alors très proche du pôle Nord géographique : la nuit polaire aurait été encore plus longue qu’elle ne l’est aujourd’hui “, explique François Therrien, du musée royal Tyrrell, en Alberta (Canada). Mais depuis les années 1980, les paléontologues extirpent de nombreux os de cette inhospitalière région, dont certains appartenant à un crâne ont permis de définir l’holotype de Nanuqsaurus, en 2014. Et les traces du passage des dinosaures ne se cantonnent pas à l’Arctique canadien.
Des empreintes d’ornithopodes vieilles de 120 millions d’années ont été retrouvées sur l’archipel norvégien du Svalbard. En Antarctique, plusieurs fossiles sont également sortis de la glace depuis la première découverte, en 1986, d’Antarctopelta oliveroi, un dinosaure à armure qui a vécu au crétacé supérieur. Comment ces animaux, y compris de très gros, ont-ils réussi à s’adapter et à survivre dans ces environnements plus froids et, surtout, marqués par des nuits de plusieurs mois ? En quête de réponses, les scientifiques, avec le renfort de drones et de scanners laser, doivent dénicher des indices désormais cachés sous la glace et accessibles seulement durant les mois les plus cléments de l’été.
L’un de leurs objectifs est de comprendre comment Nanuqsaurus et ses compères polaires sont arrivés là. L’hypothèse de migrations saisonnières estivales depuis des territoires aux températures plus douces a été invalidée par l’existence de la “maternité” de Prince Creek. De plus, pour l’Amérique du Nord, et en dépit de ressemblances frappantes, ce ne sont pas tout à fait les mêmes espèces retrouvées en Alberta (plus au sud) et en Alaska, “mais plutôt des cousins très rapprochés “, précise François Therrien. Qui se demande s’il ne faut pas chercher leur origine, à l’est, en Asie.
Un détroit de Béring très fréquenté
À la fin du crétacé, les deux continents étaient en effet reliés par une bande de terre au niveau du détroit de Béring et des échanges fauniques entre les deux continents étaient possibles et même documentés. Ainsi, les créatures les plus proches du T. rex sont retrouvées en Asie : “Les ancêtres du T. rex ont pu gagner l’Amérique du Nord en passant par le détroit de Béring et s’installer en Alberta et dans tout l’ouest de l’Amérique du Nord. Au passage, un de ces ancêtres s’est sans doute arrêté en Alaska et a évolué pour donner le Nanuqsaurus”, détaille le paléontologue.
Un chemin qu’ont aussi emprunté les Saurolophus, des dinosaures à bec de canard, qui sont représentés par deux espèces quasi identiques S. osborni en Alberta et S. angustirostris, en Mongolie. Une route qui a peut-être été parcourue en sens inverse : une seule espèce de grand dinosaure à cornes est ainsi connue en Asie quand tous les autres ont résidé en Amérique du Nord. Et le même mécanisme pourrait expliquer l’établissement de dinosaures en Antarctique, continent qui unissait l’Amérique du Sud à l’Australie.
L’Antarctique, un pont entre l’Amérique du Sud et l’Australie
En avril, un crâne vieux de 95 millions d’années appartenant à un Diamantinasaurus matildae a été découvert dans la formation de Winton, au centre de l’Australie. L’animal, un dinosaure au long cou, est considéré comme un titanosaure primitif : il mesurait une quinzaine de mètres de long pour un poids de 15 à 20 tonnes. Son étude a révélé de nombreuses similitudes avec le crâne de Sarmientosaurus musacchioi, un titanosaure qui vivait à peu près à la même époque, en Amérique du Sud. Cette corrélation renforce l’hypothèse selon laquelle plusieurs espèces de dinosaures auraient gagné l’Australie depuis ce continent en passant par l’Antarctique. À l’époque, le climat était plus chaud qu’aujourd’hui et l’Australie plus au sud que sa position actuelle, proche de l’Antarctique. Le continent était alors couvert de forêts. Les scientifiques supposent que cette région formait un pont reliant l’Australie et l’Amérique du Sud, que les dinosaures pouvaient emprunter sans grand danger.
Comment ces animaux luttaient-ils contre les basses températures ? Sans doute en produisant leur propre chaleur. “La résidence permanente de dinosaures autour de l’Arctique est un indice fort d’un métabolisme à sang chaud. D’ailleurs, parmi toutes les autres sortes d’espèces retrouvées à Prince Creek il n’y a pas de serpents, de grenouilles ou bien de tortues, autant d’animaux à sang froid pourtant abondants dans des latitudes un peu plus basses “, souligne Patrick Druckenmiller. Pour lui, il s’agit même là de la preuve la plus convaincante de l’endothermie chez les dinosaures de la fin du crétacé.
Mais le sang chaud ne suffisait sans doute pas à assurer leur survie l’hiver. Et il est probable qu’ils aient adopté des solutions différentes pour chaque groupe. Pour préserver la chaleur interne, une épaisse couche de graisse sous la peau ou un abondant duvet de plumes font partie des choix toujours privilégiés par les espèces polaires actuelles. Las ! pas de traces de tels attributs dans les rares fossiles retrouvés. Néanmoins, la présence de plumes est documentée chez la plupart des théropodes, hors de l’Arctique, y compris dans la lignée des tyrannosauridés : il n’est donc pas aberrant d’imaginer que Nanuqsaurus y ait recouru pour se réchauffer. “Après tout, j’utilise moi aussi une parka avec des plumes ! “, plaisante le chercheur.
Des globes oculaires plus volumineux pour voir la nuit
D’autres stratégies sont aussi évoquées comme l’hibernation, “qui peut être envisagée pour les plus petites espèces qui pesaient moins de 100 kg”, estime François Therrien. Dans le Montana (États-Unis), la découverte de tanières souterraines suggère que ce comportement a pu être adopté par des dinosaures proches des Oryctodromeus (de petits ornithopodes), mais aucun abri similaire n’a encore été retrouvé plus au nord.
Quant aux plus gros dinosaures, herbivores, ils disposaient toujours de ressources alimentaires, puisque la végétation d’alors se composait essentiellement de gymnospermes et de fougères à feuilles persistantes. L’examen, en cours, des anneaux de croissance de plusieurs os fossilisés permettra de mieux comprendre le rythme de croissance de ces dinosaures polaires tout au long d’une année, et certainement de constater un ralentissement hivernal.
Enfin, reste la question de l’interminable nuit : pour mieux y voir, il faut de grands yeux ! Un grand nombre de dents appartenant au Troodon, un petit théropode avec de très gros globes oculaires, ont été mises au jour en Alaska. Et, de l’autre côté de la Terre, Leaellynasaura amicagraphica, un ornithopode de petite taille, qui vivait il y a 115 millions d’années dans le sud-est de l’Australie, possédait la même caractéristique.
Mieux : les paléontologues ont même pu étudier le moulage de sa boîte crânienne et constater que ses lobes optiques étaient plus volumineux que ceux de ces cousins vivant hors du cercle polaire. Mais on ignore encore si Nanuqsaurus était doté d’une vision améliorée. Elle lui aurait été bien utile pour ne pas rentrer bredouille de sa chasse quotidienne.
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