Africa-Press – Comores. Si jeune et déjà si imposant ! Un trou noir de 10 à 100 millions de masses solaires (Ms) a été observé dans une galaxie située seulement 470 millions d’années après le Big Bang. C’est la première fois qu’un trou noir d’une telle envergure est découvert si tôt dans l’Univers. Il pèserait à lui seul autant que toutes les étoiles de sa galaxie hôte. Ce résultat, obtenu en combinant les données des télescopes spatiaux James Webb (JWST) et Chandra, a fait l’objet d’un article paru le 6 novembre 2023 dans la revue Nature Astronomy. “Nous avions besoin du Webb pour trouver cette galaxie remarquablement lointaine, et de Chandra pour trouver son trou noir supermassif”, résume dans un communiqué Akos Bogdan du Centre d’astrophysique de Harvard & Smithsonian (Etats-Unis), auteur principal de la publication. La présence du trou noir a en effet été révélée par la forte émission de la galaxie en rayons X, domaine du spectre électromagnétique dans lequel observe Chandra. Ce flot de X jaillit de la matière fortement accélérée dans sa chute vers le trou noir.
Deux modèles en lice
En plus de révéler la présence du trou noir, il a permis d’en estimer la masse, remarquable, comme le souligne pour Sciences et Avenir David Elbaz, astrophysicien au CEA. “Les trous noirs supermassifs représentent en général un millième de la masse de l’ensemble des étoiles de leur galaxie. Ici, c’est donc 1000 fois plus. Même en supposant que l’équipe ait pu se tromper d’un facteur 10 dans son estimation, ce qui est possible car elle est délicate à réaliser, le ratio reste énorme… Cela interroge sur les mécanismes de formation des trous noirs supermassifs.”
Deux modèles sont actuellement en lice. Le premier envisage un Univers jeune peuplé d’étoiles gigantesques, allant jusqu’à 1000 Ms. Une étoile s’effondre en un trou noir. Il va croître en avalant la matière autour de lui. Mais cela prend du temps pour passer de 1000 Ms aux millions, voire aux milliards de Ms d’un trou noir supermassif. “Or, les observations comme celle-ci montrent bien que ces trous noirs se sont formés très vite, puisqu’ils sont déjà là si tôt dans l’Univers. Pour conserver ce modèle, il faut comprendre comment un trou noir peut accréter autant de matière, si rapidement. C’est d’autant plus difficile à expliquer que la pression du rayonnement émis par la matière accélérée freine l’accrétion et donc la croissance du trou noir. L’autre problème, c’est leur position au centre de leur galaxie. Cela signifie que l’étoile qui leur a donné naissance s’y trouvait également. Des étoiles situées plus en périphérie ne pourraient-elles pas aussi donner un trou noir supermassif ? Pourtant, tous les trous noirs supermassifs sont au centre”, constate David Elbaz.
Des astres de vie plutôt que des astres de mort ?
Pour résoudre ces difficultés, les scientifiques disposent d’un autre modèle : la formation directe de trous noirs, sans passer par la case “étoile”. D’immenses nuages de gaz s’effondrent sur eux-mêmes, accouchant de trous noirs de 100.000 à un million de Ms, qui fusionnent ensuite entre eux. “C’est un renversement complet de paradigme”, remarque David Elbaz qui soutient ce scénario. On se posait la question de ce qui était apparu en premier : les étoiles ou les galaxies. Eh bien, la réponse n’est ni l’un ni l’autre, ce sont les trous noirs ! Ils constitueraient la « graine » à partir de laquelle croîtrait une galaxie, ce qui expliquerait leur position centrale. Ainsi, ces « astres de mort » ou de destruction, comme on les considère en général, seraient plutôt des astres de vie.”
La découverte de galaxies toujours plus précoces par le JWST, et riches en gaz, renforce clairement cette dernière hypothèse. Mais ces nuages de gaz gigantesques s’effondrant sur eux-mêmes pour former des trous noirs posent aussi des problèmes théoriques. “Normalement, un nuage s’effondre par fraction, en formant des grumeaux qui donneront des étoiles. Il faut donc trouver un mécanisme permettant d’expliquer qu’il le fasse d’un bloc. Or, pour qu’un nuage ne forme pas de grumeaux, il doit émettre peu de lumière. Ce qui signifie être relativement pauvre en éléments lourds, comme le carbone ou l’oxygène. Pour cela, il faut un Univers jeune peu efficace dans la formation d’atomes et de molécules”, conclut le chercheur. Mais là encore, les observations du JWST dévoilent plutôt un Univers diablement précoce dans ce domaine. Décidément, les trous noirs, en plus d’emprisonner la matière, savent aussi bien garder leurs secrets…
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