Lever d’un coin du mystère sur le rôle écologique des champignons

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Lever d’un coin du mystère sur le rôle écologique des champignons
Lever d’un coin du mystère sur le rôle écologique des champignons

Africa-Press – Comores. C’est une vraie boîte noire, explorée depuis dix ans. Aux manettes, l’équipe très solide et expérimentée composée par des chercheurs français de l’Institut national pour la recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et des Universités de Lorraine et d’Aix-Marseille et leurs homologues chinois de l’Université de Pékin et de l’Institut de botanique de Kunming dans la province du Yunnan. Dans leur article paru dans la revue scientifique Microbiome, ces chercheurs décrivent non seulement les liens étroits entre espèces de champignons symbiotiques et espèces d’arbres mais également les fonctions qu’ils remplissent.

Les avancées de la métatranscriptomique

Une prouesse qui n’aurait pas pu être accomplie sans la métatranscriptomique, le séquençage à haut débit de l’ARN messager des multiples habitants des premiers centimètres de sols. “Jusqu’à présent, nous étions incapables de dire quelle espèce contribuait à quelle fonction, ni de prévoir la façon dont les champignons les ajustaient selon le milieu ou le type d’arbre dominant dans les conditions naturelles des peuplements forestiers matures. C’est cette étape qui vient d’être franchie”, se réjouit Francis Martin, chercheur à l’unité de recherche Interactions arbres/micro-organismes du centre de Nancy de l’Inrae et coordinateur du projet.

Depuis une vingtaine d’années, les progrès du séquençage génétique permettent d’approcher au plus près la vie des sols. Celle-ci relève d’un univers foisonnant ou des milliards de bactéries, d’archées, de champignons et d’insectes de la microfaune comme les collemboles, ainsi que les vers de terre cohabitent, s’entraident ou se dévorent.

“C’est un écosystème d’une extrême complexité difficile à étudier car la moindre intrusion détruit des éléments très fragiles comme les réseaux de mycélium, ces fins filaments de moins de 500 microns que font les champignons” détaille Francis Martin. Avec le séquençage de l’ADN ribosomique extrait du sol, il est possible d’inventorier les espèces présentes et leur abondance. Désormais, en séquençant les ARN messager on peut accéder aux fonctions exprimées par ces champignons.

2600 champignons ont leur génome séquencé

“Mais cela n’est possible que si l’on possède des génomes de référence avec lesquels les comparer pour savoir à qui on a à faire”, poursuit Francis Martin. Depuis 2008 et le premier séquençage d’un champignon mycorhizien, le laccaire, un consortium international piloté par l’Inrae de Nancy et par le Joint Genome Institute (JGI) du Ministère de l’énergie des Etats-Unis s’est donné pour but de séquencer le génome de mille espèces de champignons d’intérêt environnemental.

Un but largement atteint puisqu’aujourd’hui 2600 espèces fongiques sont disponibles dans cette base de données du JGI. L’ambition de ce consortium est de séquencer 10.000 génomes fongiques.

Enfin, la troisième condition pour exploiter les données métatranscriptomique, c’est la puissance numérique. Il faut pouvoir aligner suffisamment de puissance de calcul et des techniques de haut débit pour assembler les séquences d’ARNm, les cartographier sur les génomes de référence et identifier les centaines de milliers de gènes ayant un rôle écologique potentiel au sein de cette immense biodiversité microbienne.

C’est aujourd’hui chose faite au prix d’énormes investissements qui sont assurés en grande partie par le centre d’excellence de l’Université forestière de Pékin, le JGI, l’Institut de Botanique de Kunming, le Laboratoire d’excellence ARBRE (INRAE/Université de Lorraine) et la fondation américaine “Society for the Protection of Underground Networks” (SPUN).

Cette “société pour la protection des réseaux souterrains” finance partout dans le monde des inventaires des champignons mycorhiziens (c’est-à-dire vivant en symbiose avec les arbres) afin d’améliorer les connaissances et initier la protection de “mycobiomes” précieux mais mal connus. 150.000 espèces de champignons ont en effet été décrites alors qu’on estime qu’il en existe environ 5 millions.

Ce programme permet ainsi de cartographier la distribution et l’abondance de ces champignons. On retrouve par exemple le cosmopolite Cenococcum (un champignon qui ne fructifie pas) partout dans le monde – des zones arctiques aux tropiques – quand d’autres sont strictement inféodés à un climat et surtout à une espèce d’arbres.

Cet inventaire cerne l’ampleur de la méconnaissance des sols. Le séquençage révèle en effet de 20 à 50% d’ADN inconnus signant la présence d’une espèce qu’il reste encore à décrire. Un débat agite d’ailleurs cette communauté scientifique : la détection d’un ADN suffit-elle à caractériser une espèce nouvelle ? Les taxonomistes ne le pensent pas et s’opposent en cela aux généticiens.

Comment vivent les champignons

Ce qui rend intéressant l’étude conduite par l’équipe de Francis Martin sur les pentes du Mont enneigé du Dragon de Jade, une région montagneuse de la province chinoise du Yunnan, au climat subtropical en bordure du plateau tibétain, c’est qu’à 3800 mètres d’altitude, s’y trouvent plusieurs forêts primaires. “On peut ainsi y comparer dans les mêmes conditions climatiques la biodiversité fongique sous chênes, sapins ou épicéas”, se réjouit Francis Martin.

Evidemment, l’endroit est reculé et difficile d’accès alors que la collecte d’échantillons requiert un strict respect de la chaîne de froid du fait de la rapide dégradation du matériel génétique.

C’est d’ailleurs la principale difficulté que rencontre les acteurs du SPUN. Pour conserver les échantillons à -120°C, il leur faut en effet avoir sous la main de la glace carbonique, fabriquée à partir de dioxyde de carbone (CO2). L’équipe franco-chinoise a donc hissé à ces altitudes, dans des glacières, 150 kilos de glace carbonique pour y plonger les échantillons de sol dans les minutes suivant le prélèvement et assurer ainsi leur intégrité jusqu’au laboratoire situé à 500 kilomètres de là à l’Institut de botanique de Kunming.

Un dur labeur qui produit cependant des résultats majeurs. “Nous avons pu ainsi confirmer que la composition du mycobiome du sol est fortement influencé par l’arbre dominant, chêne, sapin ou épicea, seules 20% des espèces étant communes aux trois populations”, assure Francis Martin.

Tout bon ramasseur de champignons pourrait vous confirmer qu’effectivement il y a des champignons qu’on ne rencontre exclusivement que sous des résineux ou des chênes et qu’il y a des arbres spécifiques aux truffes, mais ce savoir est souvent empirique et avait besoin d’être confirmé avant d’étudier les fonctions exprimées par les champignons du sol !

Le sol de Corse en cours de séquençage

Le second enseignement permet en revanche d’accéder à des informations complètement nouvelles : les gènes exprimés par les champignons dans les profondeurs des sols forestiers. “On sait désormais que malgré la grande biodiversité d’espèces fongiques ainsi que la différence dans la distribution de ces espèces induit par les arbres dominants, 90 à 95% des gènes exprimés sont identiques. Ils sont impliqués dans la croissance du mycélium, son métabolisme et sa reproduction, un ensemble de fonctions primaires”, s’étonne Francis Martin.

Cette redondance fonctionnelle pourrait faciliter la résilience des communautés fongiques face aux changements climatiques. En revanche, les champignons saprophytes, ceux qui ne vivent pas en symbiose avec les arbres mais se nourrissent en dégradant la litière du sous-bois ou le bois mort ont des fonctions très spécialisées selon la matière organique à leur disposition.

Ainsi, l’espèce présente dans un sous-bois de chênaie possède l’arsenal des enzymes (cellulases, ligninases, pectinases, etc.) efficaces pour la dégradation des feuilles de chênes, tandis qu’une autre espèce exprime les gènes nécessaires à la dégradation des aiguilles de résineux.

“Et cette diversité fonctionnelle est présente également au sein d’une même famille comme par exemple les russules où certaines sont spécialisées dans la litière de chênaie et d’autres dans les résineux”, complète Francis Martin. L’acquisition de ces données originales a pris plusieurs années et a nécessité des financements importants. Les campagnes d’échantillonnage se sont déroulées dans les forêts du Yunnan en 2019 et 2020 ; ces travaux ont été publiés trois ans plus tard. Le séquençage des ADN et des ARN ainsi que l’analyse des données ont coûté plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Au fur et à mesure des progrès du séquençage des génomes fongiques et de l’optimisation de la logistique nécessaire à ces analyses de la vie biologique des sols, les connaissances sur ces premiers centimètres des sols si cruciaux pour la vie sur Terre vont aller en s’affinant, permettant ainsi de mieux comprendre les interactions entre la microflore, la microfaune et les plantes pouvant déboucher sur une meilleure adaptation des végétaux aux changements climatique.

C’est en tout cas l’espoir de Francis Martin. La prochaine étape est l’analyse des échantillons collectés dans les sols corse avec les équipes de SPUN et du Conservatoire national botanique corse. En octobre dernier, des prélèvements d’échantillons de sols ont eu lieu entre le Cap Corse et Bonifacio et des plages de la plaine d’Aléria aux châtaigneraies et alpages des zones les plus hautes de l’île. On devrait ainsi avoir dans quelques mois une analyse génétique poussée des différents sols corses.

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