Africa-Press – Congo Kinshasa. Il aura fallu attendre quelques heures pour que les préoccupations formulées par l’ancien ministre Thomas Luhaka, dans sa lettre ouverte adressée à la Min’Etat aux affaires étrangères Thérèse Kayikwamba, soient rencontrées à propos de l’accord signé vendredi dernier à Washington entre la RDC et le Rwanda, sous la médiation des États-Unis. Dans sa réaction, Me Patrick Yala rencontre chacune des questions formulées. Cet auxiliaire de la loi précise que l’accord n’abandonne pas la Résolution 2773, mais la traduit en mécanisme concret. Me Patrick Yala fait aussi remarquer que ledit accord ne conditionne pas un soutien aux FDLR.
Ci-dessous l’intégralité de sa réponse
Thomas Luhaka Losendjola
Cher Confrère et aîné,
Je salue le ton mesuré et la démarche républicaine de votre lettre ouverte adressée à Madame la Ministre d’État. En ces temps où les débats publics glissent souvent vers la démagogie ou l’agitation émotionnelle, votre plume est à saluer.
Mais je me permets de vous répondre franchement, car sur les questions d’intérêt national, l’exigence de vérité l’emporte sur le confort des certitudes.
1. La Résolution 2773: un outil, pas une baguette magique
Vous regrettez que la Résolution 2773 du Conseil de sécurité n’ait pas été appliquée telle quelle. Mais croyez-vous sincèrement qu’un texte, aussi puissant soit-il sur le papier, suffise à faire plier Kigali sur le terrain? La diplomatie ne s’exerce pas dans l’absolu. Elle compose avec le rapport de force. Et cette résolution, sans canal de mise en œuvre, risquait de rejoindre la longue liste des résolutions inappliquées.
Ce qu’a fait la Ministre, c’est transformer un acquis symbolique en dynamique opérationnelle. Loin d’abandonner la 2773, elle l’a ancrée dans un accord bilatéral, avec mécanisme de suivi et engagement international. Voilà une vraie stratégie.
2. Le retrait des RDF n’est pas conditionné: les États-Unis l’ont confirmé
Vous affirmez que le retrait rwandais est désormais conditionné à la neutralisation des FDLR. C’est inexact et les garants de l’accord l’ont eux-mêmes démenti.
Le Secrétaire d’État adjoint américain, sur France 24, a été formel:
« Le retrait des troupes rwandaises n’est pas conditionné à la neutralisation des FDLR. »
La confusion vient du fait que les deux volets (neutralisation des FDLR et retrait des RDF) avancent en parallèle, mais l’un n’est pas subordonné à l’autre. Cette précision n’est pas anodine: elle ferme la porte à toute manœuvre rwandaise pour justifier une occupation prolongée.
3. La clause sur les FDLR: un verrou, pas un aveu
La RDC s’est engagée dans l’accord à « mettre fin à tout soutien aux FDLR et groupes associés ». Cela choque certains. Pourtant, c’est une clause classique dans les accords de désescalade. Elle ne signifie pas que la RDC soutenait ces groupes, mais qu’elle n’acceptera plus d’être accusée de cela sans preuve.
Cette clause désarme la rhétorique de Kigali. Elle protège la RDC contre les récidives d’agression masquée derrière des accusations de connivence avec les FDLR.
4. L’accord n’engage pas juridiquement les États-Unis, mais les engage politiquement
Certes, les États-Unis n’ont pas signé l’accord comme partie contractante. Mais ils l’ont parrainé, accueilli, et s’y sont publiquement investis. Cela leur donne un poids réel dans le suivi du processus. Leur présence dans le comité de surveillance commune n’est pas symbolique. Elle est stratégique.
Et quand Washington s’implique à ce niveau, c’est rarement pour assister en spectateur. Leur implication est un filet diplomatique, une pression indirecte, une garantie d’équilibre. Cela aussi, c’est le fruit d’une diplomatie habile.
En clair
L’accord de Washington n’est pas une capitulation. Il est le choix courageux du réalisme dans un dossier où l’idéalisme aurait prolongé l’agonie.
• Il n’abandonne pas la Résolution 2773
il la traduit en mécanisme concret.
• Il ne conditionne pas le retrait rwandais
il l’organise, il le balise.
• Il ne reconnaît pas un soutien aux FDLR
il le nie publiquement et définitivement.
• Il n’écarte pas les États-Unis
Il les implique politiquement.
La Ministre n’a pas cédé. Elle a avancé, avec lucidité, dans un contexte miné. Elle a déplacé le centre de gravité du conflit vers une solution surveillée, encadrée, internationale.
C’est cela, faire progresser l’État, non pas avec des discours de tribun, mais avec des accords qui tiennent, parce qu’ils sont pensés dans la complexité du monde.
Me Patrick yala
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