« Notre identité n’est pas aussi stable qu’on pourrait le croire »

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"Notre identité n'est pas aussi stable qu'on pourrait le croire"

Africa-Press – Congo Kinshasa. Mickaël Laisney est maître de conférences à l’Ecole pratique des hautes études.

Les Dossiers – Sciences et Avenir: Quels rapports entretiennent mémoire et identité?
Mickaël Laisney: La mémoire est le support de l’identité, de cette conscience particulière que j’ai de moi-même. Elle produit un sentiment de continuité dans le temps: je suis le même qu’hier. Encodé en mémoire, il y a un noyau dur identitaire, un stock de connaissances sur ma vie, mes traits de personnalité, mes valeurs.

Par exemple, vous allez dire: « Je suis plutôt généreuse ». En revanche, si l’on vous demande à quel point vous l’êtes, vous allez réfléchir: « Ce matin, je n’ai pas donné d’argent à quelqu’un qui faisait la manche »… Et cette autre forme de mémoire, celle de vos souvenirs, va vous porter à moduler votre réponse, à nuancer votre identité.

Et puis, il y a aussi une mémoire un peu particulière, celle de notre corps: on se reconnaît sur des photos, parfois en se demandant si c’est bien nous !

Il y a en outre une mémoire du corps?

Il y a un lien très fort – même pour les amnésiques – entre la façon dont on se sent dans son corps et la mémoire. Des chercheurs de l’institut Karolinska, en Suède, l’ont montré grâce à un dispositif expérimental sophistiqué, une expérience dite de sortie du corps !

Ils ont donné à des participants l’illusion que leurs jambes étaient très longues ou très courtes, donc qu’ils étaient grands ou petits. Ceux qui avaient la sensation d’être tout petits se sont davantage rappelé des souvenirs de leur enfance: ce qui suggère que si vous vous replacez dans une situation où vous aviez une identité corporelle de « petit », vous mobilisez plus facilement les souvenirs que vous aviez à cette époque.

« Leur identité était stable dans le temps, mais n’était plus celle d’aujourd’hui »
La maladie d’Alzheimer, sur laquelle vous avez travaillé, bouscule l’identité.

Avec mes collègues, nous nous sommes posé la question: des malades ayant des troubles aussi importants conservent-ils leur identité? Nous avons demandé à des personnes à des stades avancés de la maladie, à quinze jours d’intervalle, de répondre à des questions décrivant leurs traits de caractère, leurs valeurs… Ce qui est très surprenant, c’est qu’elles ont redonné exactement les mêmes réponses. Mais en disant des choses qui n’étaient plus actuelles: par exemple « je suis marchand de chaussures », alors qu’ils étaient en retraite depuis des années.

Leur identité était stable dans le temps, mais n’était plus celle d’aujourd’hui: elle était figée, sans variations. Ces malades sont en perpétuel décalage, dans un passé qui n’existe plus. Avec parfois des surprises: il peut arriver que la personne irascible qu’on connaissait redevienne charmante, comme elle l’était avant que des événements de vie aient fait évoluer son identité…

Mais si leur identité est celle de quelqu’un qui doit aller chercher les enfants à l’école, et qu’on les empêche de partir, cela peut être générateur d’angoisse. Ils ne peuvent pas donner du sens à la situation. C’est pourquoi il est important, autant que possible, quand les malades en sont encore capables, qu’ils anticipent leurs futures conditions de vie. Par exemple, en allant de temps en temps dans les lieux de vie qu’ils devront s’approprier plus tard, afin qu’ils leur deviennent familiers.

Comment la mémoire s’efface-t-elle?

Ce sont d’abord les informations les plus récentes qui disparaissent. Certains chercheurs pensent la construction identitaire, depuis l’enfance, un peu comme un oignon: il y aurait un cœur et, au fur et à mesure, des couches identitaires se déposeraient tout autour. Dans la maladie d’Alzheimer, ces « peaux » tomberaient une à une.

Je préfère envisager qu’il y a un corps très stable, des éléments très ancrés, y compris plus tardifs – un mariage, la perte d’un parent… sont des événements identitaires majeurs -, à côté de choses plus fluctuantes, modulables en fonction de ce dont on se souvient. Il peut être effrayant de penser que notre identité n’est pas si stable que ça. Mais en réalité elle évolue beaucoup au cours de la vie. Et elle est plus riche si vous ne dites pas que vous « êtes » généreuse, mais seulement… « la plupart du temps ».

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