Charles Blé Goudé : « Tôt ou tard, Laurent Gbagbo et moi allons nous voir »

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Charles Blé Goudé : « Tôt ou tard, Laurent Gbagbo et moi allons nous voir »
Charles Blé Goudé : « Tôt ou tard, Laurent Gbagbo et moi allons nous voir »

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Ce jeudi 30 mars, le siège du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), à Angré (un quartier d’Abidjan), grouille de monde. Plus tôt dans la matinée, son leader, Charles Blé Goudé, a pris part au congrès extraordinaire du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) aux côtés d’autres personnalités politiques, dont Simone Gbagbo.

Depuis qu’il est rentré en Côte d’Ivoire, le 26 novembre dernier, l’ancien ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo a retrouvé une place sur la scène politique nationale et tente de redynamiser son parti.

Ce jour-là, l’ancien « général de la rue », qui avait été transféré à la Cour pénale internationale (CPI) pour répondre d’accusations de crimes contre l’humanité aux côtés de Laurent Gbagbo, charge dont il a finalement été acquitté en 2021, avait harangué la foule sous une pluie battante, rappelant aux Ivoiriens qu’il n’avait rien perdu de sa verve passée. À 51 ans, l’ancien leader des Jeunes Patriotes prêche désormais pour la réconciliation nationale et ne cache pas ses ambitions présidentielles.

Laurent Gbagbo et vous avez été définitivement acquittés par la CPI le 31 mars 2021. Mais vous n’êtes rentré en Côte d’Ivoire que le 26 novembre 2022. Pourquoi votre retour a-t-il pris autant de temps ?

Charles Blé Goudé : Mon retour a effectivement été retardé. Pourquoi ? Je n’ai pas la réponse à cette question. Je ne comprenais pas pourquoi cela prenait autant de temps. J’ai attendu près d’un an pour obtenir mon passeport. Pourtant l’établissement d’un tel document peut se faire en trois jours ou en un mois maximum pour les Ivoiriens qui résident à l’étranger. Mais la prison m’a appris la patience. J’ai attendu que ceux qui étaient au Ghana et celui que je soutenais [Laurent Gbagbo] rentrent avant de revenir à mon tour. L’essentiel est que je sois bien rentré en Côte d’Ivoire le 26 novembre 2022.

Lors de votre discours sur la place CPI à Yopougon, ce 26 novembre, vous avez remercié les autorités pour leur implication dans votre retour. Cela a beaucoup fait réagir…

Il faut remettre les choses dans leur contexte : je suis parti de la Côte d’Ivoire à l’issue d’une crise. Mes adversaires l’ont emporté et ce sont eux qui gouvernent le pays. Ce sont eux qui m’autorisent à rentrer. J’ai trouvé qu’il était nécessaire de leur dire merci bien que les règles et les lois de notre pays les y aient obligés. Mais cela montre aussi mon état d’esprit quand je rentre au pays.

Quelles sont vos relations avec vos anciens adversaires politiques ?

Ce sont des relations de citoyen à gouvernants, rien de plus. Aussi surprenant que cela puisse être, jamais il ne m’a été proposé quoi que ce soit. Et jamais il ne m’a été posé une condition avant mon retour. Tout ce que j’ai reçu du gouvernement ivoirien, c’est mon passeport.

Les autorités avaient indiqué à la CPI que, selon les renseignements en leur possession, ma sécurité pouvait être menacée en Côte d’Ivoire. Il y avait donc besoin de temps pour régler cette question et s’assurer que je puisse être libre de mes mouvements sans être agressé une fois rentré.

Ces inquiétudes concernant votre sécurité étaient-elles justifiées ?

J’ai été éloigné du pays pendant longtemps. Je n’avais donc aucun moyen de vérifier le caractère fondé ou non de ces inquiétudes. Je n’ai pas forcément accès aux informations dont disposent les autorités grâce à leurs services de renseignement. Était-ce une stratégie politique ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, il a été signifié à la CPI que je pouvais rentrer car les inquiétudes étaient levées. Et je n’ai, depuis, fait l’objet d’aucune agression.

Quels objectifs vous êtes-vous fixés depuis votre retour ?

J’essaie d’organiser mon parti et je suis souvent en tournée. Je tente de rapprocher les extrêmes et d’expliquer à ceux qui ne l’ont pas encore compris que les survivants à toute crise ont un devoir : faire la paix. Il y a des gens qui ne m’adressaient pas la parole et avec qui je parle désormais. Il y aussi des gens qui considèrent que je les ai trahis. Il faut du temps pour apaiser les cœurs et panser les plaies.

Comment peut-on « apaiser les cœurs » alors que certains ont l’impression qu’il n’y a pas eu de justice ?

Il revient à la justice de faire son travail. J’ai été acquitté de charges relatives à la crise post-électorale de 2010-2011 par la CPI. Malgré cela, je suis encore condamné à vingt ans de prison pour les mêmes faits en Côte d’Ivoire. Je suis donc moi-même victime de la justice que vous évoquez. Mais cela ne m’empêche pas de continuer sur ma lancée, car il ne s’agit pas de ma personne, mais d’un pays. Un pays où on a compté des morts. Un pays où on a joué au ballon avec une tête humaine lors de la crise électorale de 2020. Nous avons dépassé l’extrême et il est de notre responsabilité de leader d’opinion d’aller vers les populations et de leur expliquer qu’une élection n’est pas la guerre.

Ces derniers mois, nous assistons à des tensions entre des proches de Laurent Gbagbo et votre entourage par médias interposés. Quelles relations entretenez-vous avec l’ancien président ?

Je veux que cela soit clair : je suis aussi un proche de Laurent Gbagbo. Lui et moi sommes juridiquement liés. Nos dossiers étaient liés durant le procès à la CPI. Nous y avons subi les mêmes choses. Je l’ai accompagné jusque dans le feu à La Haye, où nous étions dans l’incertitude.

J’ai toujours été proche de lui sans jamais avoir été membre de son parti politique. Les tensions auxquelles vous faites référence ne sont en réalité que des petites batailles de positionnement autour d’un grand leader, Laurent Gbagbo. Je le comprends aisément, mais j’ai décidé de ne pas entrer dans ce jeu. J’ai créé ma structure politique, mais cela ne m’empêche pas de dire que je suis proche de Laurent Gbagbo. Être proche de lui ne signifie pas s’asseoir tous les matins à côté de lui. Vous sentez-vous proche de sa vision politique ? De son idéologie ? Des valeurs qu’il défend ? Si c’est le cas, cela suffit.

Continuez-vous à lui parler ?

Cette question de communication avec Laurent Gbagbo cristallise l’attention des médias. Tous les journalistes m’interrogent là-dessus. Mais je souhaite que tout cela soit derrière nous. Mon équipe et moi y travaillons. Tôt ou tard, Laurent Gbagbo et moi allons nous voir. J’ai fait ma demande de rendez-vous et j’attends. Je suis un homme patient. Tous ceux qui espèrent un conflit entre Charles Blé Goudé et Laurent Gbagbo pour exister sont dans l’erreur.

Quelles sont vos relations avec Simone Gbagbo ?

Simone Gbagbo est une figure emblématique de la lutte de gauche en Côte d’Ivoire. On ne parle pas de l’épouse de Laurent Gbagbo, mais d’une icône dans laquelle beaucoup se reconnaissent. Nous avons des relations affectives depuis longtemps, qui vont au-delà de la politique.

Nous avons traversé beaucoup d’épreuves ensemble. Je continue à avoir du respect pour elle. Cela ne veut pas dire que j’éprouve de la haine pour d’autres. Nous avons de très bonnes relations, mais il n’y a pas encore eu de réunion d’alliance entre le Cojep et son parti, le MGC [le Mouvement des générations capables].

Vous avez exprimé à plusieurs reprises votre volonté de devenir un jour président. Mais votre condamnation à vingt ans de prison par la justice ivoirienne empêche toute candidature de votre part. Avez-vous entamé des démarches pour lever cette barrière ?

Toute réalité politique est une réalité instable. Cette condamnation s’inscrit dans un contexte purement politique et elle trouvera sa solution par la politique. C’est pourquoi je n’ai pas utilisé les voies de recours juridiques qui s’offraient à moi. Puisque je suis dans une démarche de paix et de réconciliation, j’évite la confrontation, qu’elle soit politique ou juridique. Je reste convaincu que la solution se trouve dans une démarche politique. Un jour ou l’autre, mes droits seront restaurés.

Lors du dialogue politique, les acteurs ont souhaité votre retour ainsi que celui de Guillaume Soro, qui est en exil depuis 2019. Que pensez-vous de sa situation ?

Je suis resté deux ans au Ghana, j’ai passé quatorze mois de détention en isolement et près de huit ans à la CPI. Je sais les difficultés de l’exil, tout comme celles de l’emprisonnement. Même à mon pire ennemi, je ne peux souhaiter un tel sort.

La situation qu’il vit est des plus difficiles. Un leader politique qui a été Premier ministre et président de l’Assemblée nationale, qui a connu les délices du pouvoir et qui se retrouve aujourd’hui dans une telle errance, c’est évidemment très difficile. Mon souhait est que la Côte d’Ivoire retrouve tous ses enfants.

LA CEDEAO GAGNERAIT À METTRE EN PLACE UNE FORCE DE RESPECT DE LA CONSTITUTION

Que pensez-vous globalement de la situation politique actuelle ?

Notre pays vit une paix fragile, une paix en trompe-l’œil. Il y a des joutes entre le parti au pouvoir et des formations d’opposition. Pour le moment, les confrontations se déroulent par conférences de presse interposées. Mais le feu couve… Qui pensait, en 2020, que la tête de Koffi Toussaint allait servir de ballon ? Qui pensait que des gens allaient être obligés de fuir leurs villages à la suite de l’élection présidentielle ?

Voilà pourquoi je pense qu’il faut anticiper. La vague d’eau qui vient perturber la vie sur la rive se forme au loin, en mer. J’ai peur pour la Côte d’Ivoire en 2025. J’ai même peur pour 2023, parce qu’à chaque fois qu’il y a une élection, cela rime avec une déclaration de guerre [les élections locales doivent se tenir en septembre prochain]. Je rêve d’une chose que ma génération n’a pas encore goûtée : une passation de charges entre un président sortant et un nouveau président élu dans un climat apaisé. Le jour où l’élite politique ivoirienne renoncera aux discours guerriers, la Côte d’Ivoire sortira gagnante.

Face aux récents putschs dans plusieurs pays de la région, l’idée d’une force antiterroriste et anti-coup d’État a été évoquée par la Cedeao. Est-ce la solution ?

La Cedeao gagnerait à mettre en place une force de respect de la Constitution car les coups d’État sont les conséquences de mauvaises gestions. Je ne veux pas justifier un putsch, car je suis contre les armes, mais lorsque l’on gouverne, il faut penser à baliser les éventuels risques.

La meilleure manière de le faire est de respecter nos constitutions et nos règles par une bonne gouvernance. Que les dirigeants se considèrent comme des employés du peuple. Tant que les gouvernants africains n’auront pas conscience d’être redevables, l’Afrique sera toujours en retard et en proie au désordre et à l’incertitude.

La CPI a émis un mandat d’arrêt international à l’encontre du président russe Vladimir Poutine. Qu’en pensez-vous ?

Pour que la CPI poursuive quelqu’un, il faut que son pays ait ratifié le statut de Rome. C’est pour cela que notre pays l’a ratifié avant que le président Gbagbo et moi ne soyons transférés. Des pays comme les États-Unis, la Chine ou encore la Russie ne l’ont pas ratifié. Il s’agit donc d’une poursuite politique, car il sera difficile, sur le plan judiciaire, de justifier son arrestation.

L’ex-pensionnaire de la CPI que je suis est curieux de voir comment ce mandat aboutira. L’opinion répandue en Afrique est que la CPI est un gourdin judiciaire mis en place par les grandes puissances pour punir les dirigeants africains. Aujourd’hui, la CPI vient de lancer un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, le président de la Russie. Je suis donc curieux et impatient de voir si la CPI est seulement là pour les faibles ou non.

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