
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Un million de fois plus long que les brins d’ADN ancien (ADNa) récupérés jusqu’à présent ! Les chromosomes fossiles extirpés de deux spécimens de mammouths laineux sibériens constituent une avancée révolutionnaire pour les scientifiques qui étudient les espèces disparues. Et pour ceux qui tentent de créer des hybrides possédant certains de leurs gènes.
Des chromosomes vitrifiés
Pour dénicher ces chromosomes, une équipe internationale s’est mis en quête de spécimens de mammouths laineux (Mammuthus primigenius) bien conservés. Les chercheurs ont examiné plusieurs dizaines d’échantillons pendant cinq ans avant de tomber sur le « jackpot »: un mammouth exceptionnellement bien préservé qui a été exhumé dans le nord-est de la Sibérie, en 2018.
De fait, les images (voir les vidéos ci-dessous) attestent de sa formidable conservation dans les glaces. « Nous pensons qu’il s’est spontanément lyophilisé peu de temps après sa mort », a expliqué, lors d’une conférence en ligne, Olga Dudchenko du Centre pour l’architecture du génome du College Baylor de Médecine, au Texas. Cette déshydratation conjuguée au froid polaire a fait que ses cellules ont connu une transition de phase: elles se sont carrément vitrifiées avec tout leur contenu, dont les organites et l’ADN du noyau.
Pour examiner ce trésor génétique, les chercheurs ont appliqué des méthodes d’autopsies en cours dans les investigations légales. Et ils ont ainsi prélevé un échantillon de peau derrière une des oreilles de l’animal afin d’obtenir de l’ADN de bonne qualité. Celui-ci a été traité avec une technique développée pour l’occasion, nommée PaleoHi-C. Elle permet de détecter les sections d’ADN susceptibles d’être à proximité spatiale et d’interagir les unes avec les autres dans le noyau. Cela permet, en quelque sorte, de produire un modèle de l’arrangement en trois dimensions des molécules. Les chercheurs ont ensuite combiné les informations issues de l’analyse Hi-C avec le séquençage de l’ADN en utilisant les génomes des éléphants actuels comme point de comparaison.
Et le résultat a été au-dessus de toutes leurs espérances: le caryotype du mammouth a pu être reconstitué ! C’est une première pour un animal disparu. Habituellement, les séquences d’ADN récupérées ne permettent ni de connaître le nombre de gènes de l’animal, ni même comment ceux-ci sont arrangés en chromosomes. Dans leur article, publié dans la revue Cell, les auteurs révèlent ainsi que le mammouth laineux, comme les éléphants modernes, possédaient 28 chromosomes.
Qu’est-ce qui différencie le mammouth de l’éléphant ?
Encore plus fort, les chercheurs ont été capables d’observer les boucles nanométriques qui mettent les facteurs de transcription en contact avec les gènes qu’ils contrôlent. Ce qui leur a permis de définir quels gènes étaient activés ou non et de comparer ce schéma d’activation avec celui des éléphants. Première constatation, c’est de l’éléphant d’Asie (Elephas maximus) que le mammouth laineux est le plus proche. Mais il existe tout de même des différences dans l’expression de certains de leurs gènes dont, et ce n’est pas une surprise, ceux dédiés au contrôle de la fourrure et de la résistance au froid.
Mais ce n’est là que le début des découvertes et les chromosomes glacés de ce mammouth vont désormais pouvoir être examinés par d’autres équipes encore plus spécialisées. « Il s’agit d’un type de données extraordinairement nouveau, et c’est la première mesure de l’activité génique spécifique à une cellule dans un échantillon d’ADN ancien », rappelle Marc A. Marti-Renom, du Centre national d’analyse du génome, à Barcelone (Espagne).
Des analyses ont aussi été menées sur un deuxième mammouth bien connu, prénommé Yuka, qui est une jeune femelle probablement tuée par un lion des cavernes, il y a 39.000 ans, et dont la carcasse a été en partie consommée par des humains. Elles ont confirmé le potentiel de cette nouvelle technique de rétablissement des chromosomes préservés dans de si particulières conditions. Les chercheurs estiment, cependant, qu’il sera possible de l’appliquer à d’autres ADNa, hors de la glace pour des espèces disparues récemment ou pour des spécimens conservés dans de très bonnes conditions dans des musées, y compris des momies humaines.
Vers la renaissance du mammouth ?
Bien évidemment, la possibilité d’obtenir des chromosomes vitrifiés a tout de suite été lue comme une possibilité de « déséteindre » le mammouth laineux. Un Graal pour certains scientifiques, et de gros investisseurs, qui prétendent pouvoir faire renaître cet animal. D’un point de vue technique, cette découverte constitue une étape importante dans cette voie, expliquent les auteurs, puisque l’un des obstacles était jusqu’à présent de ne pas disposer d’assez de matériel génétique pour y arriver. C’est maintenant une chose acquise. Il reste néanmoins de nombreux problèmes à résoudre, du clonage d’un animal aussi gros jusqu’à la naissance d’un bébé mammouth.
Et surtout, les chromosomes ne font pas tout ! « Au final, les gènes fonctionnels chez le mammouth ne sont pas tellement différents de ceux activés chez l’éléphant, mis à part quelques spécificités », explique Erez Lieberman Aiden, du College Baylor de Médecine, à Houston (Etats-Unis). Aussi ce qui fait « l’essence même du mammouth laineux » reste encore à saisir. De plus, cette étude ne porte que sur des cellules de la peau: pour comprendre l’organisation et l’expression spécifique des gènes de cet animal, il faudrait pouvoir étudier de l’ADN mitochondrial et de l’ADN nucléaire de plusieurs autres régions: cerveau, organes, muscles… Ce qui pourrait s’avérer possible si du matériel d’aussi bonne qualité est retrouvé.
Enfin se pose la question éthique: existe-t-il un intérêt à faire renaître un mammouth laineux, sachant que de toute façon, il ne sera qu’un hybride issu d’un ovocyte d’éléphante d’Asie ? Non, répondent de concert tous les scientifiques, une dizaine, présents lors de la conférence de presse. « Nous n’étudions pas le passé pour le reproduire mais pour le connaître et en tirer des enseignements pour le présent », insiste Erez Lieberman Aiden. Quant à Olga Dudchenko, elle souligne « que l’humain est l’espèce clé de notre époque et que cela engendre une responsabilité extraordinaire. J’espère que nous agirons de manière responsable avec toutes les puissantes technologies à notre disposition, la désextinction en étant une ».
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