Alain Aka
et Aïssatou Diallo – à Abidjan
Africa-Press – Côte d’Ivoire. À quelques semaines de son deuxième congrès, prévu les 21 et 22 juin à Abidjan, le parti au pouvoir multiplie les grands rassemblements à travers le pays. Objectif: la réélection d’Alassane Ouattara à sa tête et sa désignation en tant que candidat au scrutin d’octobre.
Ces dernières semaines, c’est l’effervescence rue Lepic, au siège du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Les réunions se multiplient afin de préparer le deuxième congrès ordinaire. Le 4 juin après-midi, en plus des porte-parole, deux organisateurs de l’événement se tiennent face à la presse. Mariatou Koné, présidente du comité scientifique du congrès, annonce le thème, sous les applaudissements de quelques militants présents dans la salle: « Le RHDP pour une Côte d’Ivoire en paix, prospère et solidaire. »
« Le RHDP est en ordre de bataille, derrière son candidat Alassane Ouattara. […] Nous travaillons dans les règles de l’art. Nous n’avons pas fait comme certains qui ont organisé un congrès en quarante-huit heures sans désigner de président du congrès ou de bureau du congrès », tacle pour sa part Kobenan Kouassi Adjoumani, porte-parole principal du parti au pouvoir.
16 pré-congrès organisés
Ce deuxième congrès sera l’occasion de toiletter les textes et d’intégrer certaines modifications dans l’organigramme. Les congressistes plancheront sur « les dispositions qui ne servaient pas à grand-chose » et ajouteront « celles sur lesquelles nous nous appuyons pour travailler », explique un cadre. En septembre 2024, par exemple, le chef de l’État avait procédé à une réorganisation avec la création des postes de 47 coordonnateurs régionaux, qui pourraient donc faire partie des structures intégrées dans les statuts.
Mais il s’agira surtout d’élire le président du parti pour cinq ans et de désigner son candidat à la présidentielle. Initialement prévu en 2024, le congrès a finalement été reporté à 2025 « pour des questions d’agenda », confie un cadre du RHDP. « On va élire le président du parti, ce sera forcément lui, on va désigner le candidat à l’élection d’octobre, ce sera logiquement lui [Alassane Ouattara] », résume sans détour un proche du chef de l’État. Depuis plusieurs années déjà, des hauts cadres du parti appellent ce dernier à briguer un nouveau mandat.
C’est la tendance qui remonte des pré-congrès, organisés depuis plusieurs semaines à travers le pays. Onze ont déjà eu lieu et cinq autres devraient se tenir d’ici au 21 juin. « Il y a les mêmes commissions que celles que l’on retrouvera au congrès. Le premier jour, il y a un travail sur le toilettage des textes et des propositions. Le deuxième, un meeting pendant lequel des motions seront lues », explique à Jeune Afrique le président du comité d’organisation, Amédé Koffi Kouakou. « La plupart portent essentiellement sur deux points: les militants demandent que le président Alassane Ouattara continue d’être le président du RHDP et qu’il soit leur candidat à la présidentielle », ajoute le président du conseil régional du Lôh-Djiboua (Centre-Ouest).
Ces pré-congrès sont l’occasion de remobiliser la base avant le scrutin. Avec 1,2 million d’adhérents recensés, le RHDP entend parfaire son maillage territorial. « Il faut 25 personnes pour créer un comité de base, vérifier qu’ils existent, qu’ils ont été bien recensés », explique un cadre.
Position de force
Ce même cadre insiste sur « la grande mobilisation » autour de ce congrès. Près de 100 000 personnes sont attendues au stade d’Ébimpé, le 22 juin. Le parti part à la présidentielle avec une ambition claire: remporter le scrutin dès le premier tour. Alassane Ouattara répondra-t-il favorablement à cet appel qui lui sera lancé pour briguer un autre mandat? Il faudra encore patienter.
S’il venait à être désigné par son parti, il pourrait prendre quelques semaines de réflexion avant de se prononcer. « Mais il ne faut pas oublier que le congrès est souverain. On pourrait ainsi décider de nous passer d’une convention d’investiture et célébrer notre candidat dès le congrès », relativise un poids lourd du parti qui rappelle que, pour l’heure, tous les scénarios sont à envisager.
En attendant, le RHDP semble en position de force face à une opposition dont les principales figures sont progressivement écartées du jeu électoral – après Laurent Gbagbo, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé, c’est Tidjane Thiam qui a rejoint la liste des personnalités inéligibles. Un cadre du parti au pouvoir met en avant les résultats des élections locales, où celui-ci avait remporté la plupart des communes et des régions. « Cela m’étonnerait que la tendance soit renversée en moins d’un an », insiste-t-il.
Pour Amédé Koffi Kouakou, il y a « une volonté unanime des militants sur le terrain que le président soit leur candidat ». « Grâce à lui, notre pays est stable, en paix, relativement prospère et cette prospérité peut être partagée avec l’ensemble des Ivoiriens. Lorsqu’il est arrivé, il y avait 35 % de taux d’électrification. Aujourd’hui, près de 95 % des villages de plus de 500 habitants sont électrifiés. Nous n’avions que trois universités ; quand on va finir Bondoukou, il va y en avoir dix. »
Le tabou de la succession
Mais il subsiste un problème: le financement du parti. « Il n’y a pas de mécanisme clair. Le financement est basé sur des individus qui prennent sur eux », déplore un proche du pouvoir. « Les gens se sont enrichis. Et, tous ceux qui se sont enrichis, quand ils se regardent dans le miroir, ils se voient président. » Conscient de ces faiblesses, Alassane Ouattara tente d’institutionnaliser son parti. « La mise en place de certains organes permet de le faire vivre sans les hommes. Le système e-militant, c’est pour que le RHDP survive après lui », explique l’entourage présidentiel.
Certains voient 2025 à 2030 comme une phase de transition à l’issue de laquelle une nouvelle classe politique pourra sortir de l’ombre. Le RHDP sans Ouattara pourra-t-il résister aux querelles internes et aux ambitions personnelles? Pour l’heure, on préfère remettre ce débat à plus tard. La question de la succession semble un sujet tabou que peu se hasardent à aborder en public. « Avec le contexte actuel et l’instabilité sous-régionale, il faut qu’Alassane Ouattara reste à la tête du pays », martèle un poids lourd du parti.
Alassane Ouattara a beau évoquer une « demi-douzaine » de candidats potentiels et aiguiser les appétits, chacun répète qu’il est le seul candidat du parti. « Chacun veut continuer d’apprendre à ses côtés et bénéficier de son aura », balaie un cadre. Reste que des noms reviennent avec insistance lorsque l’on évoque l’après-Ouattara: Gilbert Koné Kafana, Téné Birahima Ouattara, Kandia Camara, Adama Bictogo, Ibrahim Cissé Bacongo… « Ce sont des héritiers qui ont une certaine légitimité au RDR [Rassemblement des républicains] pour succéder à Alassane Ouattara », confie un proche du pouvoir.
« Quand le père commence à se fatiguer, les ambitions des uns et des autres créent forcément des couacs », analyse un proche. Cette rivalité larvée rappelle les divisions qui avaient accompagné la désignation d’Amadou Gon Coulibaly en 2020. « Devant le chef de l’État lui-même, il y a eu des dissensions. Ce n’est pas quand il ne sera pas là, qu’il n’y en aura pas », prévient un cadre du parti. Entre loyauté affichée et ambitions cachées, la famille RHDP prépare la présidentielle, mais tout en ayant à l’esprit sa succession.
Source: JeuneAfrique
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