Corneille Karekezi: Essor de l’Assurance en Afrique

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Corneille Karekezi: Essor de l'Assurance en Afrique
Corneille Karekezi: Essor de l'Assurance en Afrique

Par Nicholas Norbrook

et Julien Wagner

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Aux manettes du premier réassureur panafricain depuis 2011, ce passionné intarissable pose un regard aussi sévère qu’optimiste sur son secteur d’activité.

« Nous ne nous développerons jamais en attendant l’argent de l’extérieur », aime à répéter Dr Corneille Karekezi. Celui qui dirige le plus grand réassureur africain, Africa Re, a une solution: l’assurance, bien sûr. Une épargne de long terme potentielle, qui ne demande qu’à croître et à se transformer en investissement pour favoriser le développement des économies.

Retrouvez notre classement 2025 des 100 assureurs africains.

Après quinze ans à la tête de la compagnie, classée cette année 11e de notre palmarès des assureurs africains, la passion du Rwandais reste intacte. S’il reconnaît que le marché africain est « encore jeune », il peut se montrer critique, notamment quand il constate un taux de pénétration du secteur dans les économies qui stagne autour de 1 %. Mais il en est convaincu, « les trente années qui viennent ne seront pas comme les cinquante précédentes ». Extraits.

Vous avez réalisé une année record avec près de 1,2 milliard de dollars de primes brutes et un bénéfice net supérieur à 130 millions. La croissance des primes au premier semestre 2025 est de 16 %. Pensez-vous pouvoir continuer ainsi?

L’année 2025 sera la meilleure année de l’histoire d’Africa Re, en bénéfice comme en chiffre d’affaires. Nous sommes dans un cycle où, après sept années difficiles, les assureurs ont pu revaloriser les primes [augmenter les prix] pour revenir à une rentabilité des capitaux propres (ROE) supérieure au coût du capital.

Et puis le contexte a changé. Les observateurs annoncent des perspectives globalement positives jusqu’à 2027. Et, si les craintes de récession et les tensions géopolitiques existent, elles n’ont pas, jusqu’ici, entamé nos résultats financiers.

Êtes-vous impliqué dans les grands projets infrastructurels africains?

Notre travail est justement de venir au soutien des assureurs qui n’ont ni les muscles financiers, ni la capacité de porter des projets comme celui du corridor de Lobito. Pour diverses raisons, beaucoup de compagnies africaines sont sous-capitalisées. Souvent, elles ne peuvent pas couvrir un gros risque à plus de 5 %, qu’il s’agisse de l’extension du canal de Suez, du barrage de la Renaissance, ou d’un aéroport en Ouganda… C’est alors naturellement que l’on s’adresse à nous.

Mais certains grands projets ne sont pas du tout assurés en Afrique. Des pays comme la Chine, par exemple, imposent via les contrats de prêts que toutes les assurances soient prises chez eux. Soit parce qu’ils ont un doute sur les capacités locales, soit par préférence nationale.

L’obligation d’acheter une assurance n’a jamais créé un boom du secteur, au contraire.

Certains pays imposent pourtant eux aussi que les assurances soient contractées chez eux?

Oui c’est vrai. C’est le cas au Nigeria, au travers de lois de contenu local. La zone Cima, de son côté, impose que 50 % des projets soient assurés localement et que 100 % des primes transitent par les banques locales. Mais ça c’est loi. Et parfois, le problème, c’est l’exécution de la loi.

Pour que le secteur décolle vraiment en Afrique, ne faudrait-il pas, dans certains cas, rendre obligatoire la souscription à un contrat d’assurance?

L’obligation d’acheter une assurance n’a jamais créé un boum du secteur. En RDC, en 1966, le maréchal Mobutu a rendu l’assurance incendie obligatoire. C’était il y a cinquante ans, et, encore aujourd’hui, très peu d’entreprises sont assurées contre l’incendie dans le pays. En réalité, cette loi n’a jamais été appliquée.

Cela montre que l’assurance se vend, elle ne s’achète pas, surtout en Afrique. On peut le voir dans les statistiques, même là où l’assurance est obligatoire, elle n’est pas souscrite, parce qu’il n’y a pas de sanction et que la police n’applique pas la loi. La réalité, c’est que les municipalités n’imposent pas d’assurance lorsqu’elles délivrent des permis de construire, et que les maîtres d’ouvrage n’exigent pas que les travailleurs du chantier soient assurés, etc. Pourtant, il y a des accidents et des pertes.

Comment cela peut-il changer?

Avec l’inclusion financière qui est devenue une priorité politique dans beaucoup de pays, cela va changer. Désormais, certains produits peuvent s’appuyer sur les plateformes de paiement en ligne et les réseaux de communication pour accélérer la sensibilisation et développer le marketing à très bas coût. Tout est là pour permettre un nouvel essor de l’assurance.

Si quelqu’un n’a pas d’assurance, mais qu’un accident survient, alors il ne faut pas seulement qu’il paye le sinistre, il doit aussi être sanctionné.

La numérisation peut-elle suffire à elle seule?

Il faut l’accompagner d’un cocktail d’initiatives. D’abord: la sensibilisation. Ensuite, l’exécution. La loi doit être liée à une punition. Par exemple, si quelqu’un n’a pas d’assurance et qu’un accident survient, alors il ne faut pas seulement qu’il paie le sinistre, il doit aussi être sanctionné.

Il faut également s’appuyer sur les notaires, les experts, les auditeurs externes, les ingénieurs… Au Rwanda, pour demander un permis de construire, vous devez passer par un ingénieur qui a une liste de vérifications à faire, y compris concernant l’assurance. Et c’est lui qui dépose la demande. Ainsi, même si le propriétaire ne veut pas acheter d’assurance, le professionnel le pousse à le faire.

En quoi est-ce si important?

C’est indispensable. Et il ne faut plus attendre. L’État doit prendre le leadership. Parce qu’en cas de catastrophes (climat, moyens de subsistance, actifs taxables) il est lui aussi affecté. Surtout, les politiques doivent comprendre qu’un secteur de l’assurance dynamique est un moteur de développement.

L’assurance, c’est de l’épargne institutionnelle longue. C’est-à-dire la clé du développement. En France, les actifs des assureurs sont égaux à 120 % du PIB. En Afrique du Sud, c’est 70 %. Au Kenya, c’est 6 %. Au Nigeria, 1 %, etc. Si on passait globalement, en Afrique, de 1 % à 3 %, cela aurait un effet transformateur. Car ces actifs financent les logements, la Bourse, les entreprises…

Il faut convertir une partie de notre consommation en épargne, et l’épargne en investissement. Il faut commencer maintenant, sinon rien ne se passera.

Source: JeuneAfrique

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