Par Alain Aka (à Abidjan)
Africa-Press – Côte d’Ivoire. En remportant 89,77 % des suffrages à la présidentielle du 25 octobre, le président sortant a écrasé ses concurrents, y compris dans leurs propres bastions. Un raz-de-marée qui révèle l’emprise du RHDP sur le pays et les profondes divisions de l’opposition.
Si la victoire d’Alassane Ouattara était attendue, l’inconnue restait son ampleur. Les résultats provisoires publiés le 27 octobre par la Commission électorale indépendante (CEI) ont mis en lumière une domination absolue du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), jusque dans les fiefs des candidats de l’opposition. De Dabakala à Gagnoa, de Yamoussoukro à Yopougon, le président sortant a battu ses concurrents sur leurs propres terres.
« Des cinq candidats en lice, le chef de l’État est le seul qui dispose d’un parti politique avec une présence effective sur l’ensemble du territoire », explique le politologue et essayiste Geoffroy Julien Kouao à Jeune Afrique. Après quinze ans au pouvoir, Alassane Ouattara bénéficie aussi d’un « bilan social et économique relativement positif », ajoute l’analyste.
Des scores importants chez les absents
Le président sortant a d’abord triomphé dans les bastions des leaders de l’opposition empêchés de concourir. Dans le Nord, il a obtenu 97,89 % à Touba, ville natale de Nadiani Bamba, l’épouse de Laurent Gbagbo, et 98,13 % à Ferkessédougou, bastion de Guillaume Soro, en exil et inéligible. À Yamoussoukro, capitale politique et fief historique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) fondé par Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara a récolté 90,39 % des suffrages.
L’absence de candidat du PDCI, son président Tidjane Thiam n’ayant pu se présenter car ayant renoncé trop tard à sa nationalité française, lui a laissé un boulevard. L’abstention a en effet été massive, atteignant 60,80 % dans une ville dont le ministre-gouverneur du district n’est autre qu’Augustin Thiam, frère aîné de l’ancien financier et proche collaborateur du président réélu.
Plus au sud, à Gagnoa, ville natale de l’ex-président et bastion du Front populaire ivoirien (FPI) historique où l’abstention a été massive (79,32 %), Alassane Ouattara a fait un score de 85,51 %. À Yopougon, autre ancien fief de l’ex-chef de l’État où son fils Michel est député, le président sortant engrange 86,56 % des voix.
Un résultat qui tranche radicalement avec les derniers scrutins: aux législatives de 2021, l’opposition y avait raflé les six sièges avec 47,20 % contre 46,69 % pour le RHDP. Et, aux municipales de 2023, Adama Bictogo, le président de l’Assemblée nationale, l’avait emporté avec 44,32 %, mais face à une opposition divisée entre Michel Gbagbo (35,38 %) et Dia Houphouët (19,38 %).
Dans une vidéo publiée le 27 octobre, juste après la proclamation des résultats provisoires par Ibrahime Coulibaly-Kuibiert, le président de la CEI, Tidjane Thiam a dénoncé des « irrégularités » dans des localités où « le nombre de votants dépasse le nombre d’inscrits ». Il a recensé « des morts, des blessés et plus de 700 arrestations » et qualifié l’élection de « non démocratique ».
Bonoua avec Ouattara
Le camouflet est cinglant pour Jean-Louis Billon, bien qu’il soit arrivé deuxième de ce scrutin. À Dabakala, dont il est député depuis 2021 pour le compte du PDCI et où il a été maire de 2001 à 2013 et président de région du Hambol de 2013 à 2017, le candidat du Congrès démocratique (CODE) s’est effondré avec 4,93 % contre 92,12 % pour Ouattara.
À Bouaké, sa ville natale où il a tenu son dernier meeting le 23 octobre, il ne fait guère mieux: 5,14 %. À Akoupé, fief de Valérie Yapo qui l’a pourtant soutenu après avoir traîné le PDCI en justice, il plafonne à 11,16 %. « L’électorat PDCI ne l’a pas suivi », détaille l’analyste politique Geoffroy Kouao. Mais pour le professeur Ousmane Zina, ses félicitations immédiates à Ouattara « tracent son chemin politique futur. Il a posé un acte républicain d’une haute portée démocratique », explique-t-il à Jeune Afrique.
À Daoukro, Henriette Lagou réalise son meilleur score national: 21,09 %, mais reste très loin derrière Ouattara qui obtient 61,68 %. Surtout, l’abstention y bat tous les records: 82,14 % des inscrits ne se sont pas déplacés. Un désaveu cinglant dans ce qui fut longtemps un bastion du PDCI et le fief de son défunt président Henri Konan Bédié. Malgré une campagne soigneusement orchestrée — bénédiction de la cour royale de Bonoua le 5 octobre, lancement stratégique à Bouaflé le 11, clôture en grande pompe à Aboisso dans le Krindjabo le 23 —, Simone Ehivet Gbagbo a essuyé une défaite cuisante partout.
À Bonoua, où le roi lui avait promis que « tout le peuple Abouré-Ehivet serait à [ses] côtés », elle ne récolte que 9,33 % contre 83,15 % pour Ouattara. Dans le département de Grand-Bassam, où se trouve Moossou, son village natal, elle ne dépasse pas 6,55 %.
Dans sa déclaration du 27 octobre, elle a dénoncé un « système électoral verrouillé » et des violences meurtrières. Plus surprenant, elle a accusé « une fraction de l’opposition » d’avoir « offert sur un plateau d’or à Alassane Ouattara un quatrième mandat ». Malgré tout, elle tend « la main au vainqueur » et appelle à un dialogue national.
À Bongouanou, le fief qu’il partage avec Pascal Affi N’Guessan (président du FPI), Ahoua Don Mello obtient 10,39 % contre 69,81 % pour Ouattara. À M’Batto, toujours dans le Moronou, où il a tenu son dernier meeting après « une visite de ressourcement familial à Bouaké », il signe son meilleur score: 11,65 %. Insuffisant face aux 75,28 % du président sortant. « Il est le plus idéologiquement marqué. Il peut créer un véritable parti politique de gauche », estime néanmoins Geoffroy Kouao.
Une opposition à reconstruire
Ces résultats révèlent une opposition atomisée, incapable de peser face à la machine du RHDP. « La gauche ivoirienne reste fragmentée et n’a pas achevé sa recomposition », analyse le professeur Ousmane Zina. Le divorce entre Laurent et Simone Gbagbo ou encore l’exclusion de Tidjane Thiam, Laurent Gbagbo et Affi N’Guessan du scrutin, ont pulvérisé les bastions historiques.
L’enjeu immédiat est désormais les législatives. « L’opposition devrait se concentrer sur ce scrutin pour avoir un nombre respectable de députés », suggère Geoffroy Kouao. Le dernier mandat de Ouattara représente une « opportunité historique » pour consolider la réconciliation nationale, selon Ousmane Zina, qui appelle à « dépasser la politique de la peur » par un « dialogue inclusif ».
Source: JeuneAfrique
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