L’Afrique Brûle Pour Des Crimes Qu’elle N’a Pas Commis

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L'Afrique Brûle Pour Des Crimes Qu'elle N'a Pas Commis
L'Afrique Brûle Pour Des Crimes Qu'elle N'a Pas Commis

Olivier de Souza

Africa-Press – Côte d’Ivoire. L’alerte est donnée. Selon une déclaration de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), rendue publique le mercredi 28 mai, il y a désormais 80 % de chances qu’au moins une des cinq prochaines années soit la plus chaude jamais enregistrée. Et il est très probable que la température moyenne mondiale dépasse temporairement le seuil de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Cette limite, posée comme une ligne rouge par l’Accord de Paris, sera donc franchie. Non pas en 2100, mais demain.

De façon simplifiée, ce qui attend le monde, c’est l’amplification des extrêmes. Il est question de sécheresses prolongées, d’inondations destructrices, de vagues de chaleur, d’insécurité alimentaire, de conflits liés à l’eau et aux terres. Mais ce que redoute l’Afrique, c’est un présent qui ressemble déjà à ce futur annoncé. Et les données le confirment. En novembre dernier, une étude d’Amnesty a montré que plus d’un million de personnes ont été déplacées en Somalie à cause de sécheresses prolongées et d’inondations récurrentes qui ont ravagé les cultures, tué le bétail et détruit des maisons. Dans un pays déjà fragilisé par des décennies de guerre civile, c’est l’effondrement d’un tissu social et économique entier.

Sur la côte atlantique du Sénégal, des villages entiers sont engloutis par la montée des eaux, poussant des milliers de personnes à fuir à l’intérieur des terres, dans des conditions précaires, sans emploi ni logement stable. La mer avance, les terres reculent, et les États n’ont pas les moyens de résister.

En Angola, la sécheresse persistante pousse des familles entières, surtout des femmes et des enfants, à migrer vers la Namibie en quête de nourriture. Cette migration de survie les expose à des risques accrus d’exploitation, de violences sexuelles et de rupture dans l’accès à l’éducation. En Namibie, la moitié de la population est aujourd’hui en insécurité alimentaire, et le gouvernement a dû déclarer l’état d’urgence sécheresse, tout comme au Lesotho, au Malawi, en Zambie et au Zimbabwe.

Pourtant, le continent africain n’a contribué qu’à moins de 4 % des émissions historiques de gaz à effet de serre. C’est d’ailleurs l’un des paradoxes les plus cruels de notre époque. Les peuples qui ont le moins contribué à la crise climatique en subissent les conséquences les plus graves. Pendant que les grandes économies du Nord ont bâti leur prospérité sur des siècles d’émissions incontrôlées, l’Afrique en paie le prix avec ses forêts, ses rivières, ses récoltes et ses vies.

Qu’est-ce qui est donc fait pour réparer cela? Rien, ou presque. Pire encore, ce sont les pays africains qui doivent s’endetter pour financer des actions climatiques censées atténuer une crise qu’ils n’ont pas causée. Selon un rapport publié en février 2025 par ActionAid, les pays riches ont une dette climatique de 36 000 milliards de dollars envers l’Afrique. Ce chiffre, basé sur les travaux des chercheurs Jason Hickel et Andrew Fanning, représente le montant que les pays industrialisés devraient au continent pour avoir dépassé de manière démesurée leur part équitable du budget carbone mondial. À titre de comparaison, cette dette est plus de 50 fois supérieure à la dette extérieure totale de l’Afrique.

Et pourtant, non seulement cette dette climatique n’est pas payée, mais ce sont les pays africains qui paient les intérêts. En moyenne, les taux d’intérêt sur les prêts climatiques atteignent 9,8 % en Afrique contre 0,8 % pour l’Allemagne. Deux tiers des financements climatiques versés par les pays riches (quand ils arrivent) sont des prêts. L’Afrique reçoit moins de 5 % des financements climatiques mondiaux, et une majorité de ces fonds sont assortis de conditions qui perpétuent le cycle de l’endettement.

Il en résulte que même les efforts d’adaptation deviennent financièrement inaccessibles. La République du Congo prévoit de dépenser 380 millions de dollars par an pour l’adaptation climatique, mais rien qu’en 2021, elle a déboursé 609 millions pour rembourser sa dette. En Éthiopie, l’écart est encore plus saisissant: le pays s’était engagé à consacrer 810 millions de dollars à l’adaptation, mais a payé 2,09 milliards en 2021, et 2,2 milliards en 2022 pour honorer sa dette. C’est près de trois fois plus. En Zambie, les remboursements ont atteint 2 milliards de dollars en 2022, contre 1,45 milliard prévu pour l’adaptation. Et pourtant, ces trois pays sont tous engagés dans des processus de restructuration de dette au titre du Cadre commun du G20.

Et pendant ce temps, les besoins explosent. Amnesty International rappelle que les pays en développement estiment avoir besoin de 400 milliards de dollars d’ici 2030 pour répondre aux pertes et dommages climatiques. Pourtant, moins de 700 millions ont été promis. Or, pour l’Afrique subsaharienne seule, l’adaptation au changement climatique coûterait entre 30 et 50 milliards de dollars par an.

Et dans ce contexte d’urgence, l’inaction politique persiste. Alors qu’approche la COP30, près de 95 % des pays signataires de l’Accord de Paris n’avaient toujours pas soumis leurs nouveaux engagements climatiques pour 2035 à la date limite fixée par l’ONU. Cela concerne 83 % des émissions mondiales et 80 % du PIB global. Même les rares pays à avoir remis leur copie, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil, ou encore la Suisse, présentent des plans jugés largement insuffisants par les experts pour limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Derrière les retards invoqués, on parle de contraintes techniques, de désaccords sur le financement, de lenteurs administratives. Mais tout ceci cache une vérité dérangeante: on ne sait toujours pas dans quelle direction les pays riches veulent concrètement aller. L’Accord de Paris repose sur un mécanisme d’ambition progressive. Or, pour progresser, encore faut-il avancer. Et ce n’est pas le cas. Cinq ans après la dernière mise à jour des contributions déterminées au niveau national, les pays traînent des pieds alors même que le Global Stocktake de 2023 a confirmé que le monde n’était pas du tout sur la trajectoire des objectifs climatiques.

Cette situation n’est pas simplement injuste. Elle est indéfendable.

À la COP30, les pays riches n’auront plus d’échappatoire. Leurs promesses devront se traduire en engagements concrets: annuler la dette extérieure des pays africains, financer massivement le Fonds pour les pertes et dommages, et garantir un accès direct aux communautés les plus touchées. L’Afrique ne demande pas l’aumône. Elle exige justice. Et pour cela, elle doit parler d’une même voix. Il faut définir des objectifs clairs, se les approprier et adopter enfin un discours cohérent. De plus, la COP ne doit plus être un rendez-vous où le continent écoute poliment ceux qui l’ont plongé dans le chaos climatique. Il est temps de cesser les discours feutrés et d’exiger des comptes, sans compromis.

Les pays riches ont une responsabilité historique, économique, morale. Celle d’avoir mis la planète dans cet état. Celle de nous en sortir, à la hauteur du mal causé. Le climat est en train de basculer. L’Afrique est en train de brûler. Si la justice n’accompagne pas cette situation, c’est l’humanité qui vacillera au même titre que le climat.

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