L’Afrique doit penser son hydrogène vert autrement que par le prisme de la demande européenne

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L'Afrique doit penser son hydrogène vert autrement que par le prisme de la demande européenne
L'Afrique doit penser son hydrogène vert autrement que par le prisme de la demande européenne

Abdoullah Diop

Africa-Press – Côte d’Ivoire. L’hydrogène vert se développe en Afrique sous l’impulsion de la demande extérieure, notamment celle européenne. Toutefois, sans infrastructures adaptées et avec un marché intérieur encore embryonnaire, cette dépendance pourrait finir par fragiliser la filière. Diversifier les débouchés et créer un marché local devient alors essentiel.

L’Union européenne a placé l’hydrogène vert au cœur de sa stratégie énergétique, avec un cadre politique proposé pour la première fois par la Commission européenne en juillet 2021. Depuis lors, les objectifs avec ce carburant sont devenus plus concrets, avec l’ambition de réduire la dépendance au gaz naturel russe après la crise énergétique de 2022, de décarboner l’industrie pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, et d’assurer l’indépendance énergétique en diversifiant les fournisseurs.

Le vieux contient, dont la stratégie REPowerEU de 2022 a fixé l’objectif d’en produire 10 millions de tonnes et d’en importer 10 autres millions de tonnes d’ici 2030, s’est donc tourné vers des régions capables de le produire à bas coût, notamment l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. L’initiative Team Europe lancée en octobre 2023 pour développer l’hydrogène vert en Mauritanie et accélérer la transition énergétique du pays, est un exemple concret de la volonté de nouer des partenariats avec certains pays africains dans ce domaine.

La plupart des projets d’hydrogène vert en Afrique ont ainsi été annoncés après l’adoption des stratégies européennes pour cette source d’énergie. Un grand nombre des financements et annonces d’investissement proviennent d’acteurs européens, comme le programme H2Global ou encore des entreprises comme BP, TotalEnergies et Fortescue Future Industries, qui ont annoncé des accords en Mauritanie, au Maroc et en Tunisie entre autres.

Mais sans cette demande européenne et ces engagements financiers structurés, il est intéressant de se demander si les pays africains auraient massivement investi dans cette filière ? Et s’ils venaient à tarir, la question se pose de savoir si le continent continuerait de porter cette industrie et ses projets.

Une production orpheline d’un marché local

Un point clé qui illustre la dépendance de l’hydrogène vert africain au marché extérieur, notamment celui européen, est l’absence d’une demande intérieure significative. La demande du continent noir pour ce carburant s’élèvera à 8 millions de tonnes d’ici 2050 selon les analyses du rapport « The Africa Hydrogen Opportunity » du Hydrogen Council publié en mars 2024.

Si l’on se base sur les données du rapport « Global Energy Perspective 2023: Hydrogen outlook » du cabinet McKinsey qui estime la demande mondiale en hydrogène vert à entre 125 et 585 millions de tonnes d’ici 2050, la demande africaine représenterait au plus 6,8% de la demande mondiale, pour un plancher de 1,4%.

Cela pourrait s’expliquer par le déficit d’infrastructures locales. Contrairement à l’Europe ou à l’Asie, les usages domestiques de l’hydrogène vert sont quasi inexistants en Afrique. Par ailleurs, avec environ 600 millions d’Africains sans accès à l’électricité, le continent semble prioriser l’investissement dans les unités solaires et éoliennes (centrales, parcs, mini-réseaux décentralisés, etc.) dont le produit est directement destiné à la consommation locale.

Enfin, il n’y a pas vraiment d’industries locales structurées pour utiliser l’hydrogène, à l’exception de quelques pays. L’Europe mise en effet sur l’hydrogène vert pour décarboner son industrie lourde, notamment dans l’acier, la chimie et le transport. En Afrique, ces secteurs sont moins développés, et donc moins demandeurs même si le besoin est réel.

Un risque de dépendance à la feuille de route européenne

Dans ce contexte, si l’Europe décide de réduire ses importations d’hydrogène, la production africaine risquerait de se retrouver, du moins temporairement, sans débouchés. Une Europe autosuffisante, grâce notamment à l’éolien offshore qui présente un important potentiel, pourrait pourtant voir sa demande pour ce carburant baisser.

Un autre facteur à surveiller est le coût du transport. L’hydrogène vert doit être liquéfié ou transformé en ammoniac pour être exporté, ce qui représente un coût additionnel et pourrait réduire la compétitivité des producteurs africains par rapport à ceux d’autres régions.

Pour finir, un changement de politique énergétique en Europe pourrait aussi affecter le développement de la filière en Afrique. Si l’hydrogène y devient moins prioritaire au profit de l’électrification directe, l’Afrique se retrouverait alors avec une industrie montée sur mesure pour un vieux continent qui s’y intéresse de moins en moins.

Faut-il revoir l’approche africaine de l’hydrogène vert ?

Beaucoup d’experts s’entendent sur le fait que plusieurs pays africains ont le potentiel de produire de l’hydrogène vert à grande échelle et à faible coût, à mesure que la technologie leur sera accessible. Mais si ce « carburant du futur » représente une opportunité économique, il ne doit pas être développé uniquement en fonction des besoins européens.

Pour éviter une dépendance excessive aux décisions d’un seul marché acheteur, les États africains devraient ainsi, entre autres, développer un marché intérieur pour l’industrie, les transports et l’électrification, et diversifier les débouchés en nouant des partenariats avec l’Asie et d’autres régions.

L’Afrique a une carte majeure à jouer avec l’hydrogène vert, mais pour qu’elle soit gagnante, elle doit relever d’une décision stratégique pensée pour le continent, et non juste une réponse aux besoins européens.

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