Paiement : le pari fou de gommer les frontières de l’Afrique

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Paiement : le pari fou de gommer les frontières de l’Afrique
Paiement : le pari fou de gommer les frontières de l’Afrique

Africa-Press – Côte d’Ivoire. À la mi-octobre, la Banque centrale de Djibouti a rejoint sur la plateforme ses six consœurs de la Zone monétaire ouest-africaine (ZMOA ; Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra Leone). Quelques semaines plus tôt, les premières transactions quotidiennes ont démarré sur le Système de paiement et de règlement panafricain (Papss) entre Lagos et Accra. Parmi les banques participantes : First Bank of Nigeria, Stanbic IBTC ou encore GCB Bank.

« Les montants des transactions sont pour le moment assez faibles, mais cela reste très encourageant pour la suite », explique à Jeune Afrique le Nigérian Mike Ogbalu, directeur général du Papss. « Plusieurs banques commerciales ont annoncé qu’elles vont encourager l’utilisation du Papss pour les paiements transfrontaliers à partir du dernier trimestre de 2022 », ajoute l’ancien d’Ecobank et des fournisseurs de services financiers numériques Interswitch et Verve.

Quasi instantané et sans intermédiaires étrangers

En préparation depuis 2019 et lancé officiellement en janvier dernier, le Papss est une cocréation de l’Union africaine, du secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) et de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), qui l’héberge et assure sa supervision. Derrière l’acronyme hermétique se cache un projet des plus ambitieux : mettre fin à une absurdité des relations commerciales intra-africaines. Selon Benedict Oramah, président d’Afreximbank, 80 % des paiements réalisés entre pays africains transitent par des systèmes bancaires externes au continent. Ainsi, un agro-industriel botswanais souhaitant acheter du cacao ghanéen passe par sa banque locale qui convertit ses pulas en dollars via une « banque correspondante » américaine. Cette dernière les reconvertit ensuite en cédis qu’elle transfère vers le compte de l’exportateur à Accra…

Ce processus long et coûteux, le Papss veut lui substituer des transferts réalisés directement en monnaies africaines, et ainsi économiser 5 milliards de dollars par an. Il propose ainsi une interconnexion entre banques centrales africaines, à laquelle sont reliées les banques commerciales (dont Ecobank) et les services de Fintech, dont la plateforme MFS Africa. « Cela rentre parfaitement dans le rôle d’Afreximbank et facilitera le commerce intra-africain par l’instantanéité des transactions et leur réalisation en monnaie locale », souligne Georges Yao Yao, associé à Abidjan du cabinet d’audit Grant Thornton.

« À ce jour, 100 % des transactions initiées ont été complétées avec succès. Et elles sont traitées et complétées en moins de cinq secondes au niveau du Papss, contre 120 secondes anticipés initialement », se félicite Mike Ogbalu.

Complications

Si, comme l’appuient les chercheurs Morten Bech, Umar Faruqui et Takeshi Shirakami de la Banque des règlements internationaux (BRI), « les systèmes de paiement transfrontaliers et multidevises [CBMC, en anglais] ont le potentiel de rendre les paiements transfrontaliers plus rapides, moins chers et plus transparents », leur mise en place se révèle souvent ardu. Au-delà de la complexité des transferts domestiques, s’ajoutent des « complications » liées à la gouvernance transnationale, aux divergences des régimes de conformité et de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (AML/CFT, en anglais). Sans compter le coût de la gestion des liquidités et la question de l’interopérabilité technique des systèmes de paiements.

Ces difficultés expliquent le faible nombre de CBMC – une vingtaine environ selon le BRI – existant à travers le monde. Peu d’entre eux enregistrent des volumes d’échanges élevés : l’Espace unique de paiement en euros (Sepa, en anglais) et le Système de transfert automatisé de la chambre de compensation (Chats, en anglais) à Hong-Kong. La valeur des transactions entre le Kenya et les systèmes régionaux de paiement EAPS (Afrique de l’Est) et Repss (pays de la Comesa, le marché commun de l’Afrique orientale et australe) représente moins de 0,5 % de celles réalisées via le système domestique. Le recours au dollar américain dans les opérations transfrontalières va au-delà du continent africain. À titre d’illustration : dans 88 % des opérations du marché de change, la devise américaine est utilisée par au moins une des parties, selon le BRI.

ENTRE 2011 ET 2018, L’OFFRE DE SERVICES DE BANQUES DE CORRESPONDANCE À DESTINATION DE L’AFRIQUE A CHUTÉ D’UN QUART

Pour le cabinet McKinsey, le Papss crée « un nouveau paradigme pour les paiements intra-africains », accélérant l’émergence d’alternatives « plus rapides et moins coûteuses » que les banques de correspondances. Toutefois, la concrétisation de tels projets multipays « peut prendre du temps ». Les promoteurs du Papss sont mus, cependant, par un sentiment d’urgence. Premièrement, les pays du continent commercent peu entre eux-mêmes et sont d’autant plus vulnérables aux perturbations du commerce international et du marché des devises, comme l’ont rappelé les crises du Covid-19 et le conflit en Ukraine.

Deuxièmement, le continent subit de plein fouet le reflux global des banques de correspondance, échaudées par les renforcements des exigences de conformité. Entre 2011 et 2018, selon le BRI, l’offre de services de banques de correspondance à destination de l’Afrique a chuté d’un quart, le plus net recul après l’Amérique latine (-30 %).

Les pays de la zone CFA encore absents

Afreximbank et ses partenaires estiment avoir tiré les leçons des échecs des autres systèmes transfrontaliers. Déjà, la banque bénéficie de l’appui des autorités nationales, la création du Papss découlant d’une directive de l’Union africaine (UA). Un atout pour obtenir la coopération des banques centrales. « Nous avons eu plusieurs échanges et engagements cette année avec la BEAC [Banque des États de l’Afrique centrale] et la BCEAO [Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest]. Nous espérons pouvoir bientôt annoncer leur participation au Papss, mais nous devons au préalable répondre à toutes leurs préoccupations, ce qui peut parfois prendre beaucoup de temps », explique Mike Ogbalu. « L’absence des pays de la zone CFA constitue un vrai point faible pour la plateforme », avertit Georges Yao Yao.

Ensuite, l’institution panafricaine a sélectionné un partenaire international spécialiste des marchés émergents, l’américain StoneX, pour mettre en place sa plateforme sur le cloud, chargée de sécuriser et relayer les instructions de paiement entre les banques centrales et commerciales. Enfin, elle considère que ses initiatives complémentaires, telles que Mansa, sa plateforme de données dédiée à la diligence et à l’identification des clients, ainsi que l’appui du secrétariat de la Zlecaf, encourageront les opérateurs africains à rejoindre la plateforme.

Une priorité du G20

Afreximbank n’est pas seule à vouloir faciliter les paiements transfrontaliers. L’Arabie saoudite en a fait une priorité pour le G20, dont elle était l’hôte au mois de novembre 2020. Depuis, Buna, une initiative similaire au Papss, a été lancée par le Fonds monétaire arabe, dont dix pays africains sont membres. Dirigé par Mehdi Manaa, vétéran de la Banque centrale européenne (BCE) et ingénieur diplômé en France de l’École nationale supérieure d’informatique pour l’industrie et l’entreprise, Buna déjà signé des protocoles d’entente avec Afreximbank et la branche internationale de son équivalente indienne pour faciliter l’intégration de leurs plateformes.

De même, l’Afrique australe planche sur SADC-TCIB (Southern African Development Community – Transactions Cleared on an Immediate Basis), une plateforme de règlements instantanés, censé remédier aux déficiences d’une offre précédente, aux coûts de gestion trop élevés.

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