Nadoun Coulibaly – à Abidjan
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Tandis que les trois pays de l’Alliance des États du Sahel semblent avoir délaissé la mise en place d’une monnaie commune, celle de la Cedeao doit encore franchir des étapes cruciales avant son lancement, prévu pour 2027.
Moins de deux ans pour trouver un consensus. Alors que les discussions autour de la transition du franc CFA vers l’eco semblaient au point mort, engluées dans une crise profonde à la suite du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ce processus vient de connaître un soubresaut inattendu. Début mars, le Conseil de convergence de la Cedeao, qui regroupe les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales de l’organisation ouest-africaine, n’a pas manqué de mettre à l’ordre du jour la feuille de route pour le lancement de la future monnaie régionale, prévu en 2027.
Si l’instance régionale a entériné le maintien de ce délai, initialement approuvé par les chefs d’État, plusieurs étapes restent à franchir. « Les progrès sont marginaux », glisse une source au sein d’une banque centrale.
Ainsi, le Comité de haut niveau (CHN) sur les modalités pratiques pour le lancement de l’eco, présidé par Wale Edun, le ministre nigérian des Finances, a fait écho des avancées du projet lors du dernier Conseil de convergence d’Abuja. Dans son rapport, consulté par Jeune Afrique, de nouveaux critères de sélection des États membres qui souhaitent participer à l’Union monétaire de la Cedeao ont été introduits, en plus de ceux relatifs à la satisfaction au Pacte de stabilité et aux critères de convergence.
Nouveaux critères de convergence
Pour rappel, la convergence et la stabilité impliquent le respect de plusieurs conditions par les États membres afin de pouvoir lancer l’eco: un déficit budgétaire inférieur à 3 % du produit intérieur brut (PIB), une inflation limitée à 10 % et une dette inférieure à 70 % du PIB. Et ce pendant une période de trois années consécutives pour que l’eco voie le jour.
En plus de ces critères initiaux, les candidats à l’Union monétaire de la Cedeao devraient désormais ratifier et mettre en œuvre tous les textes et les cadres juridiques spécifiquement élaborés dans le cadre de la création de l’Union, et participer au mécanisme de change de la Cedeao pendant au moins deux ans sans sortir de la bande de fluctuation de 10 %, peut-on lire dans le projet du Conseil de convergence.
Le rapport ne dit rien toutefois des chances de succès de ces nouveaux critères, sachant qu’aujourd’hui, quasiment aucun pays de la Cedeao ne respecte les trois critères de convergence initiaux. Le Nigeria et le Ghana font, par exemple, face à une forte inflation. Néanmoins, le Conseil de convergence de l’institution régionale s’est engagé à vérifier la conformité des États membres sur la base de rapports périodiques. « Une tâche délicate » pour le CHN, qui appelle à « travailler avec discipline pour y parvenir ».
« Un projet purement incantatoire » ?
Au-delà du maintien du Pacte de stabilité et de la convergence macroéconomique, la Cedeao semble vouloir presser le pas. L’organisation régionale a ainsi mandaté un groupe d’experts des banques centrales pour évaluer le coût de l’opérationnalisation des institutions nécessaire au lancement de l’eco, comme l’acquisition des infrastructures de technologies de l’information et de la communication (TIC), des équipements et des infrastructures logistiques de la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCAO, la future Banque centrale de la Cedeao), ainsi que le coût relatif à la couverture des charges de son haut management et de son personnel, et le coût de ses opérations de démarrage.
La Cedeao parviendra-t-elle à respecter ce nouveau délai, après maints reports ? « La réponse est claire: non », tranche Bruno Cabrillac, directeur général de la Fondation pour les études et la recherche sur le développement international (Ferdi) et ancien administrateur de la Banque centrale des États d’Afrique centrale. « Une option possible est de bâtir l’eco autour de l’Uemoa [Union économique et monétaire ouest-africaine, zone franc] dans laquelle on décide d’avoir les mêmes règles comme la fixité du taux de change avec l’euro, une seule banque centrale et des normes de convergence communes, enchaîne le spécialiste, qui a dirigé les études au sein de la Banque de France. L’autre option est de s’entendre sur le point d’arrivée, à l’image de l’Europe avec l’euro. Est-ce que l’eco aura une parité fixe ou un taux flexible ? Comment organise-t-on la gouvernance du système, et quelle instance décide de la politique monétaire commune ? Quel type de convergence va-t-on demander aux États ? De ce que j’ai compris, ce schéma paraît impraticable à moyen terme. »
Alors que l’instance régionale a mis en place un quatuor de pays (Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire et Cap-Vert) pour plancher sur la future monnaie, la sortie des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) complexifie la donne. Ces derniers restent membres de l’Uemoa, donc du franc CFA, pourtant partie prenante du projet d’Union monétaire de la Communauté. « Ce départ [des pays de l’AES] montre que le projet monétaire de la Cedeao est purement incantatoire et illustre à bien des égards les difficultés à surmonter », ponctue notre interlocuteur.
Source: JeuneAfrique
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