Salon du Livre de Genève : Hemley Boum lauréate du prix Kourouma 2020

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Salon du Livre de Genève : Hemley Boum lauréate du prix Kourouma 2020
Salon du Livre de Genève : Hemley Boum lauréate du prix Kourouma 2020

Africa PressCôte d’Ivoire. Alors que les règles sanitaires se durcissent un peu partout en Europe, Genève a maintenu son Salon du livre (28 octobre-1er novembre), un événement annuel qui, depuis plus d’une dizaine d’années, met en lumière la littérature africaine dans toutes ces expressions. Les conditions de voyage sont exceptionnellement compliquées alors les équipes du Salon du livre africain ont mis les bouchées doubles pour non seulement continuer de perpétuer le souvenir du grand écrivain ivoirien disparu en 2003 à travers le maintien de la remise du prix Ahmadou-Kourouma, mais également en invitant des têtes d’affiche, comme les écrivains Fiston Mwanza, Abdourahman Waberi ou encore Sami Tchak.

Et si vous ne connaissez pas encore le prix Kourouma, voici ce qu’on peut en dire : « Décerné chaque année dans le cadre du Salon du livre de Genève, le prix Ahmadou-Kourouma récompense un auteur d’expression française, africain ou d’origine africaine de l’Afrique subsaharienne, pour un ouvrage de fiction – roman, récit ou nouvelles – dont l’esprit d’indépendance, de lucidité et de clairvoyance s’inscrit dans l’héritage littéraire et humaniste légué par le romancier ivoirien. »

C’est en 2004, un an après sa disparition que d’anciens dirigeants du Salon du livre de Genève décident avec Jacques Chevrier de rendre un hommage posthume à l’auteur des Soleils des indépendances, l’un des plus grands écrivains de sa génération, dont le premier roman a marqué un tournant décisif dans l’histoire des lettres africaines. « Découvert et couronné par les Québécois en 1968, Les Soleils des indépendances est en effet à plus d’un titre un roman novateur. D’une part, c’est le premier texte postcolonial qui dénonce l’imposture des indépendances ; d’autre part, il contribue efficacement, par sa liberté de ton, à révolutionner la prose romanesque africaine et à bousculer les sacro-saintes règles du français académique », retraçait pour Le Point Afrique Jacques Chevrier, professeur émérite à la Sorbonne.

Aux côtés de cet ardent défenseur du prix Kourouma et des littératures africaines, on retrouve Romuald Fonkoua, Christine Le Quellec Cottier, Isabelle Rüf, Isabelle Chariatte mais aussi Boniface Mongo-Mboussa et Nétonon Noël Ndjékéry. Ils ont eu la lourde tâche de départager pas moins de seize excellentes œuvres d’horizon divers.

Et au bout, à l’unanimité, ils ont choisi de décerner ce prestigieux Prix à la romancière camerounaise, Hemley Boum, pour son roman Les jours viennent et passent paru en octobre 2019. Visiblement très émue, sous les applaudissements, Hemley Boum est venue chercher son prix des mains des membres du jury dont Christine Le Quellec Cottier, professeure au sein de la Faculté des Lettres Section de français, littératures francophones de l’université de Lausanne. Lors de cette cérémonie officielle, la professeure vêtue d’une veste en wax a dressé un fabuleux éloge de la lauréate. « Pour protéger un enfant, le corps des femmes sait que faire; les mots de la fiction aux rythmes soutenus, aux images flamboyantes ou glaçantes, donnent forme à ce pouvoir intime ; le corps de l’enfant, lui, rayonne déjà et saura se faire entendre : vos pages bruissent ce réveil ! » témoigne Christine Le Quellec Cottier. Des mots qui ont sans aucun doute fortement raisonnés chez l’écrivaine, que l’on découvre passionnée, engagée, et qui sait imposer, quand il le faut, le silence face aux horreurs de notre époque. Parce qu’« à travers les vies de femmes, Hemley Boum fait remonter à la mémoire des histoires enfouies » salue pour sa part Romuald Fonkoua, de l’Université Paris-Sorbonne.

Sur la tribune, tournée face au public, Hemley Boum, le regard un peu troublé, décide de dédier son Prix : « je sais que le monde est saturé de douleurs et qu’au bout d’un moment l’esprit ne peut plus accueillir, mais…(silence)…Il y a malgré tout des limites, explique t-elle faisant référence à l’attaque survenue au Cameroun, le 24 octobre dernier, dans une école située en zone anglophone et qui a fait sept morts parmi les enfants âgés de neuf à onze ans. « Ce prix, je leur dédie, c’est complètement dérisoire, mais boko haram c’est ça aussi : “boko c’est livre, éducation, et haram c’est interdit” et ce n’est pas pour rien que la brutalité attaque la culture, ce n’est pas pour rien que des sauvages peuvent tuer des enfants qui sont sortis de chez eux le matin pour aller dans une salle de classe et le jour où ces choses ne nous émouveront plus, je crois que l’on sera arrivé à la fin du voyage » poursuit-elle d’un ton grave.

La lauréate Hemley Boum, très émue, au moment de recevoir son prix.
© PIERRE ALBOUYHemley Boum, autrice camerounaise dont le prénom signifie « espérance » en langue bassa, a déjà quatre romans à son actif, parus depuis 2010. Rien ne prédestinait cette femme de coeur à emprunter la voie de l’écriture. Après avoir étudié l’anthropologie, c’est vers le commerce international qu’elle se tourne, essuyant entre temps de nombreux refus des maisons d’éditions. Sa passion, chevillée au corps, Hemley Boum, propose une autre vision de l’Afrique, de ses histoires, de ses trajectoires, de son quotidien, de ses personnages, une Afrique loin des poncifs habituels. Autrice prolifique, elle publie un roman tous les deux ans Le Clan des femmes (éd. Harmattan, 2010), Si d’aimer (éd. La Cheminante, 2012), en lice en 2013 pour le prix Kourouma, sans oublier Les Maquisards (éd. La Cheminante, 2015) pour lequel elle a reçu le Grand Prix de l’Afrique noire en 2015.

Dans Les jours viennent et passent, roman à plusieurs voix, que le Salon du livre africain présente sur sa page, l’autrice a choisi d’emprunter une écriture sensible et forte pour évoquer le destin de générations de femmes, de familles déchirées par les violences de l’histoire de leur pays, le Cameroun, mais aussi la France de l’exil. Des thèmes d’une cruelle actualité, alors que la semaine dernière encore, des enfants ont été la cible d’une violente attaque dans leur salle de classe. Âgés d’à peine neuf à onze ans, sept d’entre eux ont été assassinés dans la zone anglophone du nord-ouest du Cameroun. Plus près de nous, une attaque au couteau a eu lieu à Nice dans le sud de la France provoquant une onde de choc.

« L’idée de ce roman [Les jours viennent et passent, NDLR] m’est venue après un choc immense. Le 7 janvier 2015, au moment de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, j’étais chez moi, je regardais les images, épouvantée par l’horreur du geste et par l’improbable course-poursuite que nous vivions en direct à la télévision. Une semaine plus tard, un attentat perpétré par Boko Haram faisait 150 morts à Kolofata, dans la région de l’Extrême-Nord camerounais, sans provoquer plus que de maigres articles dans la presse », a confié à Jeune Afrique la romancière, qui s’applique dans chacun de ces écrits à disséquer les histoires aux longs cours. Pour mieux comprendre la trajectoire littéraire d’Hemley Boum, et un tant soit peu saisir toute la richesse de son regard, une rencontre est proposée samedi 31 octobre au salon africain du livre de Genève.

L’année dernière, le prix Ahmadou-Kourouma a couronné David Diop pour Frère d’âme (éd. Seuil), un récit poignant qui lève le voile sur l’histoire trop méconnue des 200 000 combattants africains envoyés au nom de la France au front de la Première Guerre mondiale où environ 30 000 tirailleurs sénégalais ont laissé leur vie dans les tranchées. * Les jours viennent et passent, Hemley Boum, éd. Gallimard, 368 pages, 21 euros.

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