Africa-Press – Côte d’Ivoire. Partager son ADN ou récupérer celui de ses congénères: c’est le processus incroyable que les bactéries font pour se défendre face aux antibiotiques.
En cas de stress, cette bactérie croît exponentiellement
La compétence est la capacité d’une cellule à prélever une molécule d’ADN libre dans son environnement par un phénomène nommé « transformation » (lire l’encadré ci-dessous). Des chercheurs toulousains étudient depuis plusieurs années ce processus chez la souche de bactérie Streptococcus pneumoniae, connue pour être responsable des infections à pneumocoque (comme l’otite, la pneumonie, ou encore la méningite).
La transformation est un transfert de gènes au sein des procaryotes (micro-organismes composés d’une unique cellule dépourvus de noyau) qui consiste à prendre un ADN exogène (gène venant de l’extérieur de la cellule) et de le faire intégrer dans un chromosome. Cela permet l’échange de matériel génétique au sein d’une même espèce ou d’espèces différentes.
La transformation chez les bactéries se déroule lorsqu’elles sont compétentes. Cette compétence s’est révélée jouer plusieurs rôles au sein de la population bactérienne, dont un rôle de défense, découvert chez une bactérie pathogène humaine Streptococcus pneumoniae, sujet de cette étude.
En effet, il a été révélé par d’autres études (dont une publiée par des chercheurs de la même université dans la revue Science) qu’en cas de stress (modification des conditions environnementales menaçant la survie de la bactérie), S.pneumoniae se multiplie et croît exponentiellement. Il a été démontré précédemment (dans une étude publiée dans Science en 2006) que les antibiotiques induisent la compétence en cas de conditions non permissives (conditions dans laquelle une mutation s’exprime).
« C’est un moteur évolutif puissant qui se produit en une vingtaine de minutes »
Les bactéries utiliseraient cette capacité de transfert d’ADN pour répondre à une perturbation de leur environnement par les antibiotiques, afin de changer le programme génétique des bactéries voisines. Ce changement s’accompagne d’une prévention aux cellules non touchées afin de les y préparer. En effet, « la compétence module jusqu’à 17 % des quelque 2 000 gènes du génome pneumococcique » d’après les chercheurs d’une autre étude parue dans la revue Molecular Microbiology en 2003.
« C’est un moteur évolutif puissant qui se produit en une vingtaine de minutes, nous explique Marc Prudhomme, un des chercheurs de cette nouvelle étude toulousaine. La compétence comprend l’activation de plus d’une centaine de gènes mais seulement une vingtaine sont utilisés pour le mécanisme de transformation naturelle ».
De plus, les bactéries compétentes peuvent tuer leurs sœurs bactéries non compétentes grâce à une enzyme hydrolase (appelée CBPd) d’après une autre étude parue dans la revue Molecular Biology en 2007. Ce mécanisme fait appel à une « dizaine de gènes », utilisés si les cellules voisines « ne se sont pas converties à la compétence ou ne sont pas de la même espèce et de fait ne peuvent répondre et se protéger », selon le chercheur. « Si une cellule qui reçoit le signal ne s’active pas alors elle ne peut pas produire un facteur d’immunité contre la capacité de lyse (la mort cellulaire, ndlr) des cellules voisines compétentes et elle sera détruite. De fait ce mécanisme a tendance à éliminer les bactéries ayant perdu cette capacité de réponse et la plupart des isolats (population d’individus, ndlr) cliniques ont la capacité à entrer en compétence. »
Afin de mieux comprendre ce mode de propagation, les chercheurs de cette nouvelle étude ont utilisé une variété d’antibiotiques, reproduisant un stress, pour observer le comportement des cellules.
Une sous-population de cellules peut initier la compétence
L’apport de cette nouvelle étude montre qu’il existe une sous-population de cellules qui initient cette compétence qui serait née par un niveau de stress hétérogène dans la population. Cette observation s’est faite en utilisant un colorant fluorescent, le Cy3-DNA, s’accrochant à l’ADN et observable au microscope à contraste de phase et microscope à fluorescence.
Le Cy3-DNA est un ADN double brin composé à son extrémité d’une séquence codante du gène GFP, un gène isolé d’une méduse, qui a la capacité de coder pour la production de molécules fluorescentes visibles au microscope. En ajoutant ce colorant, les cellules compétentes intègrent cet ADN et produisent la GFP. On peut dès lors distinguer les cellules compétentes (fluorescentes) des cellules non compétentes. Crédits: M. Prudhomme et al., Nature, 2024.
Si le stress n’est pas uniforme au sein de la population (s’il ne concerne que quelques cellules), une sous-population de cellules auto-inductrices se forme. « Cette sous-population va atteindre une proportion qui permet de distribuer suffisamment de signal aux cellules voisines (insuffisamment stressées) initiant la propagation, explique le chercheur. Il faut imaginer à ce moment-là une vague exponentielle de conversion de cellules n’ayant pas perçu de stress les activant et ainsi de suite. Le changement d’état physiologique (la compétence) est énergivore. Le mécanisme ci-dessus prévient donc la propagation dans une population de cette consommation énergétique si le nombre et la proportion de cellules auto-activatrices sont insuffisants, comme par exemple, suite à un stress interne en l’absence de stress venu de l’extérieur. Il y a donc deux niveaux de réponses indépendants avec leurs propres garde-fous, le niveau individuel et le niveau populationnel. »
Une seule cellule peut s’auto-activer et le signal se transmettre par contact
A partir des résultats obtenus, les chercheurs ont pu mieux comprendre ce mécanisme de compétence déjà étudié depuis des années et le clarifier, en particulier le mécanisme dit de « quorum sensing », un comportement collectif coordonné d’une population de bactéries en réponse à des signaux. « Nous montrons que le stress peut être détecté au niveau d’une seule cellule et celle-ci y répond indépendamment des autres cellules par auto-activation (en anglais, « self induction », ndlr). Nous avons fait cette recherche car nous avions découvert que le signal servant à l’auto-activation n’est pas diffusé (la diffusion est la circulation libre à travers la membrane d’une molécule pour que la concentration de molécule soit la même dans et hors de la cellule, ndlr) mais retenu principalement au niveau de l’enveloppe (membrane de la cellule, ndlr) et que sa transmission se fait principalement par contact cellulaire », nous explique le chercheur Marc Prudhomme.
« L’auto-activation se traduit par l’activation d’un ensemble de gènes qui change l’état physiologique de la cellule appelé la compétence. Cette découverte nous fait rejeter le modèle classique de « quorum sensing » que la communauté de chercheurs attribuait à cette bactérie face au stress depuis des décennies (à savoir, à la suite de la détection de stress, les cellules accumulent un signal diffusible qui, en arrivant à un seuil de concentration, active de manière synchrone toutes les cellules de la population). En revanche, nous avons aussi découvert qu’il faut plus d’une seule cellule pour enclencher une propagation de la compétence dans la population. Cela veut dire qu’une cellule auto-activée ne va pas automatiquement permettre à la population de cellules qui n’a pas ressenti de stress d’être activée », détaille le chercheur.
Au final, « la transformation naturelle permet l’acquisition aléatoire d’information génétique, cela ajoute une hétérogénéité héréditaire à cette population et le « fratricide » enrichit la possibilité d’acquérir une information génétique pouvant procurer un bénéfice », constate le chercheur.
Ce processus remplaçant le modèle classique de « quorum sensing » a été nommé par les chercheurs le SI&P QS (pour « biphasic Self-Induction and Propagation Quorum-sensing », en français « Auto Induction biphasique et Propagation » sous l’acronyme AA&P).
« Le signal permettant l’AA&P est un petit peptide (une chaîne d’acides aminés reliés entre eux, ndlr) produit et excrété par la cellule. Il est appelé CSP pour « Competence Stimulating Peptide » (en français « Peptide de stimulation de la compétence », ndlr) », précise Marc Prudhomme.
La compétence diversifie les populations
La compétence apporte de l’ADN aux cellules qui les diversifie. « Ce constat se démarque grandement de ce que le « quorum sensing » classique peut procurer à savoir une uniformité de la réponse des cellules de la population, explique Marc Prudhomme. Premièrement, il faut savoir que la compétence au niveau cellulaire qui dure le temps d’une génération est une succession d’activations de gènes qui vont s’exprimer par vague dans le temps et que par rétroaction négative, ces gènes seront tour à tour à nouveau éteints, aboutissant à l’arrêt de l’état de compétence. Pour autant, ces cellules post-compétentes n’ont pas le même état physiologique qu’avant compétence. En résumé, à un temps donné donc du fait de la propagation, les cellules ne sont pas au même niveau d’expression génique, et pas dans le même état physiologique. De même, les cellules-filles n’auront pas le même héritage. Il y a donc une hétérogénéité cellulaire qui se crée dès l’enclenchement du mécanisme AA&P. »
Un mécanisme servant de capteur de santé de la bactérie
Ce mécanisme sert de capteur de santé de cette bactérie. « Dans des conditions de croissance sans stress exogène, nous observons une faible fraction de la population s’auto-activant. Nous attribuons cela à des accidents stochastiques internes (comme un arrêt de fourche de réplication, une cassure ADN, ou autre) perçus comme stress et où la compétence pourrait résoudre cette problématique cellulaire. Le mécanisme permet donc de « sentir » la santé cellulaire individuelle et d’avoir une réponse individuelle adaptée », précise le chercheur.
Une meilleure survie pour les bactéries compétentes
Malgré l’énergie que requiert la compétence, le taux de survie des cellules compétentes est plus élevé. « Nous avons découvert qu’en fait les cellules compétentes survivent en plus grand nombre face à l’exposition à des stress létaux par comparaison avec des cellules non-compétentes. C’est un bénéfice fournissant des moyens supplémentaires de survie. Nous montrons dans ce même article que c’est en partie grâce à un gène exprimé pendant l’état de compétence qui ralentit la division cellulaire, ce qui contribue à diminuer l’action de la plupart des antibiotiques testés », décrit Marc Prudhomme.
Cependant, cette étude ne se concentre que sur les stress provoqués par les antibiotiques. « La compétence répond à toute une diversité de stress mais pas à tous les stress. Nous n’avons pas exploré s’il existe d’autres mécanismes induits par des stress non inducteurs de la compétence. »
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Côte d’Ivoire, suivez Africa-Press