Disparition précoce de la baleine grise de l’Atlantique

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Disparition précoce de la baleine grise de l'Atlantique
Disparition précoce de la baleine grise de l'Atlantique

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Reverrons-nous bientôt des baleines grises (Eschrichtius robustus) sur nos côtes? Quelques-unes d’entre elles ont été aperçues ces dernières années dans l’ouest de l’océan Atlantique, une véritable surprise car l’espèce est confinée depuis plusieurs siècles au seul océan Pacifique. Elle était pourtant présente dans le nord de l’Atlantique depuis environ 50.000 ans, dès le Pléistocène, jusqu’à son extinction présumée entre le 16e et le 18e siècle. Mais cette date est-elle exacte et quelles sont les causes de sa disparition?

Une équipe internationale réévalue les restes archéologiques de baleines grises sur le littoral est-atlantique afin de déterminer le moment précis de leur extinction. Selon leurs résultats, l’espèce aurait été éradiquée au moins deux siècles plus tôt qu’on ne le pensait, entre le 12e et le 14e siècle, sans doute victime, entre autres causes, d’une chasse effrénée.

Victime de la chasse, la baleine grise a disparu de l’Atlantique bien plus tôt qu’on ne le pensait

S’il arrive régulièrement que des baleines s’échouent sur le littoral atlantique européen, ce ne sont jamais des baleines grises, car l’espèce y a disparu depuis plusieurs siècles ; c’est même « la seule espèce de baleine à avoir disparu d’un océan à l’époque historique », précisent les chercheurs dans la revue Quaternary Science Reviews. Elles ont pourtant longé les côtes pendant des millénaires, comme le prouvent des ossements fossilisés mis au jour sur de nombreux sites en Norvège, en Suède, en Écosse, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en France, en Espagne et au Maroc.

Deux méthodes biomoléculaires de pointe

Cependant, la méthode sur laquelle on se basait auparavant pour attribuer un os de baleine à une espèce précise, l’analyse morphologique, n’est pas entièrement fiable et implique de disposer d’ossements complets afin d’étudier leur forme, ce qui restreint le champ d’observation. Les auteurs ont donc décidé de recourir à deux techniques biomoléculaires de pointe pour étendre ce champ à des os fragmentés ou même travaillés – puisque les os de baleine ont servi de matériau pour fabriquer des objets (armes, outils, peignes, etc.) –, l’objectif étant de délimiter un corpus fiable et suffisamment étoffé de vestiges de baleines grises, afin de pouvoir les dater dans un second temps.

200 spécimens mis au jour dans l’est de l’Atlantique

En s’appuyant sur les deux méthodes biomoléculaires de l’ADN ancien et de la zooarchéologie par spectrométrie de masse (ZooMs) – qui permet d’identifier une espèce par l’analyse du collagène –, ils ont réussi à élargir leur corpus à environ 200 spécimens de cétacés issus de sites archéologiques et paléontologiques sur tout le pourtour atlantique et en mer du Nord, « ce qui indique que l’espèce était à la fois présente et commune dans l’est de l’Atlantique nord », écrivent-ils. À ces vestiges retrouvés à l’est de l’Atlantique, ils ajoutent 18 spécimens provenant des États-Unis, sur l’autre rive de l’océan.

Une datation calibrée en fonction du milieu marin

La deuxième partie de l’étude s’est révélée plus difficile car il s’agissait dès lors de dater ces ossements. Les chercheurs ont recouru à la méthode au radiocarbone (carbone 14), mais toute datation doit être ensuite calibrée, c’est-à-dire qu’il faut la réajuster en tenant compte des variations propres au milieu dans lequel les vestiges ont été conservés, en l’occurrence, des sédiments marins.

Les résultats de la datation calibrée de tous les vestiges retenus indiquent qu’ils couvrent une période comprise entre le 5e millénaire avant notre ère – à cette époque la mer du Nord a recouvert pour la dernière fois le Doggerland (zone émergée lors des glaciations) – et le Moyen Âge.

L’extinction date du Moyen Âge et non du 17e siècle

Cette nouvelle datation écarte ainsi trois spécimens qui étaient jusqu’à présent considérés comme beaucoup plus récents, dont la baleine découverte à Babbacombe Bay, au Royaume-Uni. « Elle a longtemps été considérée comme la plus récente baleine grise de l’Atlantique, utilisée pour affirmer que l’espèce avait disparu des eaux européennes au 17e siècle », expliquent les chercheurs, mais leur méthode indique plutôt qu’elle se serait éteinte il y a environ 2000 ans !

D’après leurs analyses, les derniers spécimens auraient ainsi évolué en Atlantique nord entre 1142 et 1368, soit en plein Moyen Âge et non à l’ère moderne préindustrielle, comme on le pensait jusqu’à présent. Pourtant, quelques rares textes historiques documentent la présence de la baleine grise aux 17e et 18e siècles, mais essentiellement dans les eaux les plus septentrionales – au large de l’Islande, en mer de Barents –, ou bien dans la partie occidentale de l’océan Atlantique. Quant à la présence de baleines en Atlantique Nord-Est, selon les chercheurs, « cette population est pratiquement invisible dans l’histoire ».

La baleine grise est accessible car elle évolue près des côtes

Pour déterminer les causes de la disparition de l’espèce, les sites de découverte et la nature des vestiges peuvent apporter des indices. Il faut aussi connaître le mode de déplacement de la baleine grise, qui évolue près des côtes « en passant des eaux chaudes à basse latitude pour se reproduire et mettre bas aux eaux froides des hautes latitudes, où elle utilise un mode modifié d’alimentation par succion pour se nourrir d’invertébrés benthiques », soulignent les chercheurs.

Certains spécimens retrouvés aux Pays-Bas dans d’anciens lits de rivières laissent entendre qu’elles « s’aventuraient dans les rivières intertidales, qui pouvaient constituer d’importantes zones d’alimentation, car les baleines grises se nourrissent dans les sédiments peu profonds, et s’échouaient parfois ». Elles étaient alors plus accessibles – plus encore sous forme de carcasses – ou plus faciles à chasser.

La chasse à la baleine fut surtout pratiquée au Moyen Âge

Mais les preuves les plus notables de chasse baleinière datent plutôt du Moyen Âge. Les historiens en font mention pour de nombreuses populations littorales: Scandinaves, Norvégiens, Flamands, Normands, Basques, Espagnols et Portugais. D’ailleurs, les mentions s’arrêtent aussi au cours du Moyen Âge, aux 13e et 14e siècles pour les Normands, les Scandinaves et les Portugais. Quant aux Basques, ils auraient continué au-delà de cette date, mais en déplaçant leur zone de chasse vers le nord (Irlande, Islande), puis vers l’ouest, jusqu’au Canada.

Baleines grise et noire ont toutes deux été chassées

Alors que l’on présumait que tous ces peuples avaient plutôt chassé la baleine noire de l’Atlantique Nord (Eubalaena glacialis), qui s’approche, elle aussi, des côtes au cours de ses migrations et constitue « une cible prévisible et accessible », les auteurs déduisent de leur corpus que la baleine grise devait également figurer à leur tableau. « En effet, il s’agit du deuxième taxon le plus fréquemment identifié sur les sites archéologiques européens datant de la période médiévale », notent-ils.

Noire ou grise, la baleine était prisée pour sa viande, ses fanons et sa graisse, qui servait à faire de l’huile. La chasse fut semble-t-il si intense que la baleine noire a, elle aussi, disparu des eaux européennes et qu’il n’en subsiste qu’un petit groupe, menacé d’extinction, en Atlantique Nord-Ouest. Quant à la baleine grise, elle y a complètement disparu entre le 17e et le 18e siècle.

Facteurs génétiques et environnementaux

Outre la chasse, d’autres facteurs peuvent bien sûr avoir joué un rôle dans l’extinction de la baleine grise. Des études précédentes ont ainsi proposé que « la faible diversité génétique, la réduction de la diversité haplotypique et la perte d’habitats appropriés auraient pu y contribuer », rapportent les auteurs. Ce à quoi ils ajoutent des conditions environnementales particulières au cours de leur période d’extinction, qui correspond à la fin d’une anomalie climatique – une augmentation des températures entre 950 et 1250 environ – ayant eu pour répercussion une réduction de la nourriture propice aux baleines.

Préparer une éventuelle recolonisation

Mais quelle est l’utilité de déterminer le moment exact et les conditions d’extinction d’une espèce disparue? Cette étude s’inscrit en réalité dans un projet qui vise à préparer les conditions optimales d’une éventuelle recolonisation de l’espèce en Atlantique Nord. Dans la mesure où certains individus sont récemment passés du Pacifique à l’Atlantique, en empruntant très certainement le passage du Nord-Ouest qui perd progressivement ses glaces, il est envisageable qu’une nouvelle population puisse s’établir dans les eaux atlantiques. Il faut donc d’emblée connaître les conditions qui vont permettre qu’elle puisse s’y maintenir, en particulier parce que leur disparition a perturbé « le cycle des nutriments, et provoqué des changements dans la dominance des espèces benthiques », précisent les chercheurs.

Cependant, le but essentiel de l’étude est avant tout de souligner que l’action humaine est directement responsable de l’extinction de cette espèce dans les eaux européennes, et qu’il va de soi qu’il sera impossible de reproduire ce scénario – alors même que la chasse baleinière est encore autorisée en Islande et en Norvège.

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