L’héritage artistique révélé de l’empire carolingien

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L'héritage artistique révélé de l'empire carolingien
L'héritage artistique révélé de l'empire carolingien

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir – La Recherche n°920, daté octobre 2023.

La chanson nous dit que Charlemagne a « inventé l’école « , mais celui qui fut sacré empereur en l’an 800 – le premier à porter ce titre depuis la fin de l’Empire romain d’Occident en 476 – fit bien plus que révolutionner l’éducation : il bouleversa tout un royaume dont il étendit considérablement les frontières.

Charles Ier le Grand posa en effet les jalons d’un état d’esprit carolingien propice à l’érudition, à la création et à l’innovation. Les Carolingiens furent d’ailleurs à l’origine de tant de somptuosité que la période de leur règne (751-987) a pris l’appellation de « Renaissance carolingienne ». « Au moment où cette dynastie renverse celle des Mérovingiens se joue une forme de retour à l’art antique « , explique Isabelle Bardiès-Fronty, conservatrice générale au musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, à Paris, et commissaire de l’exposition consacrée à cette période de l’histoire de France qui se tient jusqu’au 8 octobre à l’Hôtel département du Var, à Draguignan. « Il s’exprime par le fait que Charlemagne se fait couronner empereur à Rome par le pape. Et cet acte politique de retour à l’idée d’Empire romain s’accompagne d’un geste artistique.  »

« Des œuvres qui sont aujourd’hui des trésors »

Charlemagne soutient des artistes qui créent non seulement à ses côtés, dans la cité d’Aix-la-Chapelle (aujourd’hui en Allemagne) où il installe le centre de son pouvoir, mais aussi dans les hauts lieux chrétiens du royaume, comme les abbayes de Metz (Moselle), de Corbie (Somme) ou encore de Lorch (Allemagne) – où l’on peut encore admirer une rarissime porte en bois carolingienne. Ceux que l’on nomme désormais « scribes » sont installés dans des ateliers intégrés aux lieux de culte – les scriptoria -, dans lesquels ils produisent tant des textes religieux que d’éblouissants objets liturgiques faits d’or, d’argent et de pierres semi-précieuses. « Les artistes vont faire au plus beau pour le roi et les hommes d’Église. Ils créent des œuvres qui sont aujourd’hui des trésors, des pièces d’une rareté absolue « , poursuit Isabelle Bardiès-Fronty.

Cette effervescence artistique est permise par la stabilité de l’empire carolingien, bien plus unifié que durant la période mérovingienne (481-751). Le royaume est notamment en bonne relation avec Constantinople, d’où il importe quantité de matériaux précieux comme l’ivoire, la pourpre ou encore des étoffes rares. Et même si la situation politique se tend à la mort de Louis le Pieux, seul fils de Charlemagne qui lui survit, le « goût pour le beau » carolingien ne s’en voit pour autant pas diminué, bien au contraire.

En 843, au décès de Louis le Pieux, l’empire est partagé entre ses fils lors du traité du Verdun. Lothaire Ier (795-855), premier né, hérite d’une immense bande de terre verticale qui s’étend de la mer du Nord à Florence, en Italie, en passant par la Provence, la Meuse, le Rhin et le Rhône. Ses frères reçoivent des territoires s’étendant de part et d’autre de cette bande, la Francie orientale et la Francie occidentale. C’est précisément dans ce royaume « pris en sandwich comme une tranche de jambon entre deux morceaux de pain « , plaisante Isabelle Bardiès-Fronty, que les artistes carolingiens vont le plus briller.

Bien longtemps après sa disparition entamée dès la mort de Lothaire en 855 (les frères de ce dernier grignotèrent progressivement son royaume), cette terre si fertile en œuvres d’art sera surnommée la Lotharingie. « C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles elle fut totalement oubliée : elle ne fut nommée qu’après avoir existé, comme un rêve dont on tenterait de rattraper les lambeaux au réveil « , selon les mots de la conservatrice en chef.

Une nouvelle forme d’écriture, la minuscule caroline

Les œuvres lotharingiennes qui firent la grandeur carolingienne sont nombreuses. Il y a d’abord, et surtout, les manuscrits d’apparat, dont certains atteignent des sommets dans l’art de l’enluminure. On doit d’ailleurs à cette époque les lettres toutes en rondeur que nous utilisons encore aujourd’hui, la fameuse minuscule appelée caroline. Une écriture régulière et facilement lisible, que l’on retrouve dans des livres comme les « Évangiles de Saint-Thierry de Reims », dits d’Hincmar (vers 845-882), les « Évangiles de Metz » (vers 845-855) ou encore les « Louanges de la Sainte Croix » de Raban Maur (vers 850).

Les artistes lotharingiens vont également maîtriser avec brio la sculpture sur ivoire – qui atteint sans doute le sommet de sa délicatesse avec la plaque de reliure figurant saint Grégoire (voir photo ci-dessous) -, mais aussi l’orfèvrerie, qui joue un rôle majeur dans la glorification divine. Expression par le biais des reliquaires du culte des saints, cet art incarne aussi par son faste la puissance et la richesse de ses commanditaires. On retiendra tout particulièrement le trésor de saint Gauzelin, un ensemble de pièces qui a tout du trésor de roman d’aventures chevaleresque.

L’archéologie a aussi permis de mettre au jour des objets moins « nobles », mais incontestablement plus bavards sur la vie dans le monde carolingien. « Car ce dernier fut, là encore, le témoin de nombreuses évolutions dans la culture matérielle au sens large « , complète Isabelle Bardiès-Fronty.

Ainsi peut-on mentionner cet étrier en fer et argent, nouveauté technologique de l’époque adoptée par les Francs au contact des Avars (des guerriers nomades turcs), ou encore cette très rare lampe en verre – une véritable aubaine tant ce matériau se conserve mal – trouvée sur le site carolingien de Villiers-le-Sec (Val-d’Oise). Plus révélatrices encore de « l’air de temps », ces pièces d’échecs en bois de cerf jetées dans un puits à Noyon (Oise), sans doute datées du 10e siècle, qui attestent que ce jeu venu d’Orient était déjà parvenu jusque dans les campagnes de Francie. « On a longtemps écrit que les jeux d’échecs apparaissent au 11e ou siècle dans le monde occidental mais l’archéologie nous a montré l’inverse « , note Isabelle Bardiès-Fronty.

Finalement, ces dix petits pions font aussi bien que lorsqu’il s’agit de résumer ce que fut l’ère carolingienne : une incroyable période de création et d’ouverture sur le monde qui, en plus d’annoncer l’art roman, laissera des traces dans toute l’esthétique du deuxième millénaire.

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