Marché du livre francophone : l’Afrique de l’Ouest à 500 millions d’euros en 2050

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Marché du livre francophone : l’Afrique de l’Ouest à 500 millions d’euros en 2050
Marché du livre francophone : l’Afrique de l’Ouest à 500 millions d’euros en 2050

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Que cela soit par des responsables politiques, des investisseurs ou encore des médias, l’Afrique de l’Ouest est souvent présentée par sa démographie avant toute chose. Et pour cause : en 2019, près de la moitié de la population avait moins de 14 ans et le taux de fertilité moyen était supérieur à cinq enfants par femme. Cette forte démographie cache bien souvent de nombreux autres atouts qui caractérisent le développement de la région : des économies dynamiques, des viviers de talents, des politiques publiques actives, un bassin linguistique varié, des richesses culturelles uniques… C’est dans ce contexte que s’inscrivent les marchés du livre en langue française de la région.

Une économie de premier plan

Fondé sur des décennies d’histoire, le livre francophone, en Afrique de l’Ouest,est une économie culturelle et éducative de premier plan Les ventes de livres en langue française édités dans la région étaient estimées à plus de 120 millions d’euros en 2019, soit plus de 2 % du marché du livre en langue française dans le monde. Les deux plus grands marchés de la région sont la Côte d’Ivoire et le Sénégal, deux marchés dépendants du poids des livres scolaires qui représentent plus de 90 % des revenus des éditions locales.

De manière générale, la « lecture utile » (scolaire, professionnelle, religieuse) surpasse la « lecture plaisir », qui est souvent considérée comme un luxe. La manne financière du marché scolaire permet aux éditeurs locaux de se tourner vers d’autres segments littéraires, comme les livres jeunesse ou la littérature, mais ceux-ci restent encore limités aux pouvoirs d’achat et à la difficulté de produire des livres localement, dans des marchés où quasiment toutes les impressions sont délocalisées en Chine, en Inde ou encore au Maroc. Les coûts trop élevés des intrants empêchent de développer des filières locales de fabrication.

Un fort impact de la clause de préférence nationale

Le marché ivoirien est souvent cité en exemple dans la sous-région, notamment grâce au cadre institutionnel de son marché scolaire. Depuis 2002, les éditeurs ivoiriens bénéficient d’une clause de préférence nationale stipulant que seuls des éditeurs ivoiriens peuvent éditer les manuels scolaires et ainsi accéder aux appels d’offres publics. Cette clause est le principal pilier des revenus de la filière du livre en Côte d’Ivoire.

Une mesure dans le même esprit a été introduite plus récemment au Sénégal, avec une clause permettant aux éditeurs sénégalais de proposer des offres de 15 % supérieures aux normes des marchés publics de manuels scolaires, sans impact sur la notation de leur dossier. Cela a permis à des éditeurs sénégalais de prendre des parts de marchés aux grands éditeurs français ou québécois qui préemptent historiquement ces marchés scolaires en Afrique francophone.

La capacité à se positionner dans ces appels d’offres éducatifs, généralement opérés par des bailleurs du développement pour le compte des gouvernements, est un facteur essentiel pour exister dans l’économie du livre en Afrique de l’Ouest. D’autant plus que de nouveaux concurrents arrivent sur ces marchés francophones, venant d’Inde ou d’Afrique du Sud.

Une utilité avérée des manifestations littéraires

Au-delà du scolaire, le livre en langue française en Afrique de l’Ouest peut s’appuyer sur des éditeurs historiques et visibles à l’international, des manifestations littéraires de premier plan avec le Salon international du livre d’Abidjan ou le Salon du livre de jeunesse de Conakry par exemple, ou encore sur des initiatives de coordination entre les filières du livre et les pouvoirs publics respectifs. Cette structuration progressive des écosystèmes du livre est prometteuse pour accompagner le développement des marchés concernés. Elle est même essentielle pour faire face aux freins qui impactent le livre en Afrique de l’Ouest, parmi lesquels des réseaux de diffusion fragiles, marqués par le poids de l’économie informelle rendant d’autant plus difficile son accompagnement, le fléau du piratage qui entraîne un manque à gagner structurel pour les éditeurs et libraires, ou encore un manque de cohésion commerciale transfrontalière qui empêche la bonne circulation des ouvrages entre certains pays voisins, souvent barrée par des contraintes douanières et de transport, et ce, malgré l’existence de traités et autres accords de libre-échange.

La démographie, un atout de premier plan…

Dans ce contexte pluriel, comment imaginer l’avenir du livre en langue française en Afrique de l’Ouest dans les décennies à venir ? C’est un des volets de l’étude « Le livre en langue française dans le monde en 2030 et 2050 », réalisée dans le cadre des États généraux du livre en langue française dans le monde. Celle-ci présente des avenirs possibles du marché selon des facteurs de développement socio-économiques.

En Afrique de l’Ouest, la démographie est un des principaux moteurs économiques de la région, avec des bassins de consommateurs grandissants qui attirent de nombreux investissements. Elle est aussi un grand enjeu d’avenir pour les sociétés et le marché du livre, puisqu’elle implique une massification mécanique des effectifs scolaires qu’il faudra encadrer et équiper, tout en garantissant une qualité pédagogique : de lourds enjeux pour le marché des manuels scolaires, déjà prépondérants pour les filières du livre régionales.

Pour le livre en langue française, le facteur linguistique est également un critère clé dans des pays où il existe souvent plusieurs dizaines de langues nationales et où le français est régulièrement qualifié de langue seconde au quotidien. L’essor d’éditions en langues vernaculaires est une tendance forte de la sous-région. Le pouvoir d’achat est aussi un facteur de progrès pour permettre l’essor d’une lecture plaisir et des segments éditoriaux qui les accompagnent, comme les livres jeunesse déjà portés par des dynamiques positives.

… à côté d’une nécessaire restructuration institutionnelle

En parallèle, les cadres institutionnels du livre doivent se structurer pour accompagner le développement de leurs marchés : cela passe d’abord par la création systématique de directions du livre dans les pays où il n’y en a pas ou par la réhabilitation ou le renforcement des réseaux de lecture publique, généralement en manque de renouvellement et d’entretien. Tout cela doit participer à remettre le livre en avant, par rapport à d’autres biens culturels souvent au premier plan dans les pays d’Afrique de l’Ouest, comme la musique ou l’audiovisuel. Cela passera par la capacité à accueillir les nouvelles pratiques numériques, par le développement d’infrastructures et de réseaux adaptés, dans une région où le taux d’utilisation d’Internet moyen était de 24 % de la population en 2017.

Une perspective : le doublement du marché

Une vision optimiste de tous ces facteurs permet d’envisager un doublement du marché du livre en langue française en 2030, à plus de 260 millions d’euros des revenus de ventes de livres francophones édités localement, et un marché multiplié par quatre en 2050 à plus de 500 millions d’euros de revenus. Ce scénario du rayonnement peut être nuancé par une vision pessimiste selon laquelle les menaces identifiées auraient pris le dessus et contiendraient le marché à hauteur de 280 millions d’euros en 2050 : une croissance tout de même, mais bien inférieure, ne permettant pas de réaliser tout le potentiel du marché. Ce potentiel est un des principaux moteurs du marché mondial du livre en langue française. Il appelle à une mobilisation régionale avec la coordination des pays voisins sur des actions communes, par exemple sur la lutte contre le piratage. Il appelle aussi à une mobilisation francophone, principalement pour accompagner le développement des acteurs qui font vivre l’économie du livre, pour faire face aux enjeux éducatifs majeurs en cours et à venir.

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