La victoire du président Paul Biya ravive le conflit autour du pouvoir au Cameroun

6

Ata El-Mannan Bakhit, ancien diplomate soudanais et chercheur en affaires africaines.

Le plus ancien chef d’État en exercice au monde a remporté une victoire controversée lors des élections tenues le 12 octobre dernier. Si les choses se déroulent comme le souhaitent ses partisans, il achèvera à la fin de ce huitième mandat cent ans d’âge et cinquante ans au pouvoir. Il s’agit du président Paul Biya, président de la République du Cameroun depuis 1982.

Il y avait un rêve, une lueur d’espoir que ces élections, tout juste achevées, soient différentes des précédentes. Les leaders de l’opposition avaient parié que le président, âgé de plus de 92 ans, pourrait se lasser de la politique — voire de la vie elle-même — et choisir de ne pas se représenter pour un huitième mandat, ce que l’on appelle le choix d’une sortie honorable.

L’opposition avait également misé sur les cas de rébellion et de dissidence importants qui ont émergé pour la première fois au sein du camp du parti au pouvoir, avec le départ de figures politiques influentes comme Bello Bouba Maigari et Issa Tchiroma, tous deux anciens ministres et leaders politiques de poids.

Étant donné que ces ministres démissionnaires sont originaires du nord du pays, à majorité musulmane — région qui a donné au Cameroun son premier président, Ahmadou Ahidjo, père de l’indépendance — l’opposition espérait que le nord, les régions anglophones et la jeunesse avide de changement puniraient le parti au pouvoir et se rallieraient à l’opposition.

Alors, comment le vieux président a-t-il gagné malgré tout cela? Et comment une victoire peut-elle devenir source de conflit, plutôt que de concorde et d’unité entre camarades?

Une pratique démocratique fragile

Il n’existe pas de véritable pratique démocratique dans l’histoire politique du Cameroun, contrairement à des pays comme le Sénégal, ou même le voisin nigérian, où les concurrents se soumettent aux urnes et acceptent la victoire comme la défaite. Le pays est gouverné d’une main de fer par un parti unique dominant: le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).

Plusieurs facteurs ont permis au régime du président Paul Biya de conserver le pouvoir et de remporter les élections. Les plus importants sont:

– La division et la dispersion des partis d’opposition, incapables de s’entendre sur un programme minimal ou de présenter un candidat unique derrière lequel se rallier. Bien que tous s’opposent au régime de Paul Biya et souhaitent sa défaite, leurs dirigeants refusent de s’unir autour d’un seul candidat face à celui du parti au pouvoir.

– Le système électoral à tour unique, où le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de voix est déclaré vainqueur, quel que soit le pourcentage obtenu. En raison des divisions de l’opposition, le candidat du parti au pouvoir a pu obtenir la majorité relative.

– La force et la cohésion de l’État profond, qui gère en pratique le processus électoral. Grâce à sa longévité au pouvoir, Paul Biya a construit un vaste réseau de partenaires — chefs traditionnels, politiciens, hommes d’affaires, société civile et fonction publique — tous liés par des intérêts au régime en place.

– L’avantage structurel du RDPC, seul parti dominant, qui contrôle les ressources de l’État, les médias et l’appareil administratif, ce qui lui permet de couvrir l’ensemble du territoire national et de mobiliser les électeurs, volontairement ou sous pression.

– L’exclusion du principal leader de l’opposition, Joseph Kamto, dont la candidature a été rejetée par la commission électorale. Kamto jouit d’un fort soutien populaire et appartient à l’une des plus grandes ethnies du pays, ce qui lui assure un appui matériel et humain considérable, que ne possèdent pas les autres chefs de l’opposition.

Longévité signifie sagesse

Il existe une question importante que l’opposition n’a pas réussi à exploiter comme elle l’aurait souhaité: celle de la santé du président et de son âge avancé, ayant dépassé les 90 ans, ce qui soulève de nombreuses interrogations sur sa capacité à gouverner. L’État impose un strict blackout médiatique sur ce sujet, et la loi interdit toute discussion publique sur l’état de santé du président ou sur sa capacité à diriger les affaires du pays.

D’un autre côté, les partisans du président proposent une lecture africaine convaincante de la question de l’âge, considérant que la longévité est une bénédiction divine, et que l’âge avancé est synonyme de sagesse et de discernement. Ils affirment que le Cameroun n’est pas une exception en Afrique, citant des exemples de chefs d’État âgés toujours au pouvoir, comme en Guinée équatoriale, au Congo, en Ouganda, en Côte d’Ivoire, entre autres.

Malgré la victoire du président Biya aux élections et sa domination continue sur le pouvoir absolu dans le pays, le régime camerounais — et en particulier le parti au pouvoir — fait face à de grands défis, non seulement dans la gestion du pays et de ses problèmes complexes, mais surtout dans la manière de gérer le conflit interne entre les factions rivales au sein du même camp, chacune aspirant à hériter du président affaibli.

Et si le président ne parvient pas à gérer ce conflit avec sagesse, la lutte d’influence au sein du pouvoir mènera inévitablement à une fracture de l’édifice du régime en place.

Grands défis

Le régime du président Biya fait face à de graves défis internes, dont le principal est la question sécuritaire, avec l’intensification des activités des mouvements jihadistes qui ont déstabilisé le nord du pays. Des groupes tels que Boko Haram et l’État islamique – Province de l’Afrique de l’Ouest y sont particulièrement actifs, provoquant une grande instabilité sécuritaire, poussant les populations à fuir par crainte pour leur vie, et entraînant l’arrêt des activités économiques et des services essentiels.

À cela s’ajoute la persistance du mécontentement et de la révolte dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui depuis 2016 connaissent des vagues de confrontations entre les forces de sécurité et les insurgés.

Il existe également une crise économique profonde, marquée par la flambée des prix, la dégradation des conditions de vie, la faiblesse des services d’éducation et de santé, le chômage élevé et la corruption administrative. Autant de facteurs susceptibles de pousser la jeunesse de la génération Z à la révolte et à l’insoumission. Ces problèmes sont difficiles à résoudre pour un président affaibli, d’autant plus que Paul Biya apparaît rarement en public et passe la majeure partie de son temps à l’étranger, Genève étant considérée comme son siège semi-officiel, pour des raisons de soins ou de convalescence. Cela a conduit l’opposition à affirmer que le président dirige le pays depuis Genève.

Conflit entre le Nord et le Sud

Sur le plan politique, le président Paul Biya devra faire face, au cours de ce mandat, à une question sensible: le conflit entre le nord et le sud du pays, un conflit ancien et récurrent, mais qui prend cette fois une ampleur particulière.

Les racines de ce conflit remontent à la succession du président fondateur Ahmadou Ahidjo, originaire du nord musulman du Cameroun. Lorsqu’il a volontairement quitté le pouvoir en 1982, il a choisi son Premier ministre, Paul Biya, pour lui succéder à la présidence.

Mais les relations entre les deux hommes se sont rapidement détériorées lorsque Ahidjo a été accusé d’avoir tenté de fomenter un coup d’État contre Biya. Il a ensuite été exilé au Sénégal, et une purge massive des nordistes a eu lieu au sein du parti, de l’armée et du gouvernement. En contrepartie, Paul Biya s’est tourné vers le sud du pays, sa région d’origine, et a ouvert les portes du pouvoir, de l’armée et de l’administration aux ressortissants du sud.

L’animosité a persisté jusqu’au début des années 1990, lorsque Paul Biya, à l’instar d’autres dirigeants francophones, a été contraint d’ouvrir le système politique à la pluralité partisane. À ce moment-là, il avait besoin d’alliés dans le nord du pays.

Ainsi, il s’est allié aux figures les plus influentes du nord, telles que Bello Bouba Maigari et Issa Tchiroma, et cette alliance a perduré jusqu’en août dernier, lorsque ces deux leaders ont démissionné du gouvernement et se sont présentés à l’élection présidentielle contre Paul Biya.

Cette rupture risque de raviver la fracture douloureuse entre le nord et le sud, et aura un impact majeur sur la dynamique de la succession présidentielle.

Les prétendants à la succession

Tout le monde sait qu’il s’agit du dernier mandat du président, et qu’en raison de son âge avancé, la mainmise de Paul Biya sur le pouvoir n’est plus aussi ferme qu’auparavant, ce qui entraînera inévitablement un vide notable au sommet de l’État, que chaque camp cherche à combler.

Il ne fait aucun doute que celui qui occupera le plus d’espace et contrôlera les dossiers les plus sensibles sera le mieux placé pour accéder au sommet du pouvoir. Le principal défi auquel fait face le régime camerounais est donc interne avant tout.

Trois groupes principaux se disputent la succession du président Biya, chacun avec ses moyens, ses partisans, ses priorités et ses stratégies. Ces factions rivales se sont entendues tacitement pour coopérer durant la campagne électorale, soutenant le programme du président et œuvrant activement à sa réélection. Car la victoire de Biya était un objectif commun: sans elle, tous auraient perdu. Mais dès l’annonce de sa victoire, l’unité s’est dissipée, et chaque groupe a commencé à tracer sa propre voie vers l’héritage du pouvoir.

– Le premier groupe est l’institution militaire, qui pourrait envisager un scénario à la gabonaise, comme lorsque l’armée a renversé le président Ali Bongo après qu’il ait insisté pour briguer un nouveau mandat malgré son état de santé critique — un coup d’État largement soutenu par la population. L’armée pourrait aussi s’inspirer des cas de Bourguiba en Tunisie ou de Bouteflika en Algérie.

Toutefois, cette option semble peu probable, car le président Biya a procédé à d’importants remaniements dans la hiérarchie militaire après l’annonce de sa candidature pour un huitième mandat. Par ailleurs, la sécurité du régime repose sur la Garde républicaine, dont la formation est assurée depuis longtemps par le Mossad israélien, et dont les membres sont sélectionnés avant tout sur la base de leur loyauté. Cela dit, ce scénario pourrait redevenir envisageable en cas de soulèvement populaire mené par la jeunesse, ce qui pourrait inciter l’armée à reproduire l’expérience de Madagascar.

– Le deuxième groupe est celui du palais présidentiel, dirigé par la Première dame Chantal Biya et le ministre de la Présidence de la République, considéré comme l’homme le plus puissant du gouvernement. Ce groupe est le plus proche du président, l’entourant dans tous ses déplacements. Depuis un certain temps, il œuvre à préparer le fils aîné du président, Franck Biya, à lui succéder, bien que ce dernier soit peu présent sur la scène politique.

Enfin, il y a le groupe du parti au pouvoir

Ce groupe bénéficie d’un soutien solide des bases militantes réparties à travers tout le pays. Il a réussi à organiser une vaste campagne électorale en faveur du président, bien que ce dernier ne soit apparu qu’à un seul rassemblement. Ce groupe n’a pas de candidat désigné, mais gagner sa faveur et son approbation est essentiel pour quiconque ambitionne d’accéder au pouvoir.

Cependant, tous ces scénarios pourraient changer en cas de vacance soudaine du pouvoir, par exemple en cas de décès du président Paul Biya, ou si le candidat perdant Issa Tchiroma, avec l’ensemble de l’opposition, parvenait à mobiliser la rue, comme cela s’est produit récemment à Madagascar.

Ainsi, l’option la plus rationnelle pour préserver la stabilité politique du pays serait que le président modifie la Constitution afin de créer un poste de vice-président. Il mènerait alors de larges consultations avec les forces influentes et rivales de son parti, pour désigner lui-même un successeur potentiel. Cette décision permettrait de retarder le conflit entre factions, tout en offrant au président Biya la possibilité de passer plus de temps à Genève pour ses soins et sa convalescence.

En somme, la victoire de Paul Biya pour un huitième mandat risque de renforcer l’instabilité politique en République du Cameroun, et plonge le pays dans un avenir incertain.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici