Africa-Press – Mali. Nous devons reconnaître que la situation de la France au Mali est devenue beaucoup plus embarrassante et préoccupante que jamais, surtout après que la junte militaire au pouvoir, hostile à la présence française dans le pays, ait expulsé son ambassadeur de Bamako.
Joël Meyer, le diplomate français en poste dans la capitale malienne, a dû quitter le Mali, expulsé, après l’ultimatum de 72h que lui avait fixé le Président de la République de transition, le colonel Assmi Goïta, à la suite d’une très mauvaise évolution des relations entre la France et son ancienne colonie, qui porta pendant de nombreuses décennies le nom de « Soudan français », précisément entre 1890 et 1899, puis de 1921 à 1958.
La colère africaine face au mépris français

La démarche d’expulsion de l’ambassadeur de France intervient dans un contexte de colère politique et populaire généralisée et de grogne contre la France, qui porte une responsabilité historique et réaliste aux yeux de nombreux Africains dans les crises politiques, sécuritaires et économiques du continent et qui contrôle totalement les économies africaines, notamment dans les régions du franc CFA en Afrique de l’Ouest et du Centre, en plus de son pillage direct des richesses africaines dans diverses régions, notamment à l’ouest du continent, disent-ils.
L’intensité de la colère africaine envers Paris s’est accrue avec son échec croissant à établir la paix et la sécurité dans la région du Sahel, dont la terre et l’espace sont parcourus par des bataillons et des avions de l’armée française, qui mène plus d’une opération militaire dans l’ouest et le centre du continent africain.
Outre la montée des sentiments de colère envers Paris, elle fait également face à une concurrence internationale croissante, notamment de la Russie, de la Chine et de la Turquie, en plus de la concurrence traditionnelle entre Paris et Washington pour l’influence et les sources de richesse sur le continent brun.
Une tension qui va pousser à la rupture ?
Le cours de la tension entre la France et les putschistes maliens a commencé dès les premiers jours du renversement d’Ibrahim Aboubacar Keita. Les nouvelles têtes qui ont pris le pouvoir n’étaient pas affiliés à la France, mais plutôt issus pour la plupart de stages effectués en Russie qui n’a pas trop attendu, et au bout de quelques mois, celle-ci est devenue l’un des acteurs internationaux les plus importants au Mali et au centre de toutes les discussions.
La France a essayé de faire face au fait accompli, d’autant plus que les coups d’État en Afrique ont toujours été une partie familière des quotidiens parisiens, mais ce qui n’était pas habituel c’est qu’un coup d’État soit mené sans coordination avec elle.
Le fait nouveau, c’est que les dirigeants de Bamako se sont détournés de l’étreinte française envers la Russie et ont conclu des accords non déclarés qui ont permis le déploiement effectif des forces russes relevant du groupe privé ‘Wagner’ au Mali, selon des déclarations confirmées par l’occident.
Néanmoins, la réponse de la France et de ses alliés dans la région ne s’est pas fait attendre, car la menace de sanctions s’est transformée en leur déclenchement effectif, notamment la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui a décidé de bloquer le Mali et de lui fermer ses frontières et son espace aérien, ce que la France a rapidement béni, sachant que les pays de l’Union européenne ont commencé à agir en conséquence.
Comment la France compte-t-elle se venger de la junte militaire au pouvoir ?
Il importe de rappeler que la France dispose de multiples cartes d’influence au Mali, dont, à titre d’exemple :
• La présence militaire sur le terrain, où des milliers de soldats français sont déployés dans diverses terres maliennes, en plus d’un réseau de renseignement qui renforce la présence militaire.
• Des relations étroites avec l’élite publique du pays, en particulier dans les domaines de la politique, de la sécurité, de la finance et des affaires, la France restant la destination de formation la plus importante pour les élites financières.
• Une relation forte et influente avec de nombreux mouvements politiques et armés opposés au pouvoir central au Mali.
• Forte influence dans un certain nombre de pays voisins, en particulier les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
Cet ensemble de cartes renforce la capacité des autorités françaises à « perturber » la junte militaire au pouvoir au Mali et sape ses intentions d’étendre le contrôle sur l’ensemble des terres maliennes.
Pour quel choix la France va-t-elle opter pour attiser sa colère croissante ?
Malgré les nombreux moyens que la France possédait traditionnellement au Mali, elle semble à l’heure actuelle avoir des options limitées pour faire face à ce qui a été décrit par certains comme « insulte » ou « gifle » de la part des putschistes maliens, d’autant plus que la décision malienne est intervenue en pleine mêlée des préparatifs des élections présidentielles imminentes en France, qui inciteront à la temporisation avant de passer à une étape décisive, car la présence de l’échiquier politique français en état de mobilisation électorale empêche de prendre des décisions décisives et définitives vis-à-vis du Mali, ce qui constituerait également une opportunité importante pour les putschistes d’accélérer et de consolider la présence d’autres acteurs internationaux.
Parmi les plus en vue de ces options, on relève ce qui suit :
• Escalade et affrontement : en répondant en nature et en expulsant l’ambassadeur du Mali, en déclarant une rupture avec Bamako, avec le retrait complet des forces et des responsables maliens, et en laissant les nouvelles autorités du Mali face aux foudres des rebelles et des groupes islamistes armés, et cela L’option semble peu probable, car Paris s’enlise depuis un moment dans la boue financière, et les perspectives La situation économique et sécuritaire de sa présence au Mali l’oblige à gérer la situation ou le relatif retournement de la tempête.
• Pression politique et économique continue : à travers l’Organisation économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’Union européenne et d’autres en pariant sur le temps et en épuisant la capacité du système financier à faire face au blocus.
• Dialogue avec les putschistes : soit directement, soit par l’intermédiaire d’un médiateur, et la France dispose de plusieurs voies de dialogue avec les putschistes à travers la Mauritanie, le Sénégal et le Maroc, et cette option ne paraît pas improbable, car elle peut contribuer à apaiser les tensions et permettre à la France de maintenir un niveau acceptable de ses intérêts sur le continent.
• Pousser à un nouveau coup d’Etat militaire : à travers ses multiples armes dans l’armée et l’autorité financière, une option qui appartient à la littérature française traditionnelle dans la région, selon les observateurs de la question africaine, et il n’est pas exclu que Paris s’y soumette si le rythme de l’escalade et des décisions unilatérales des gouvernants de Bamako s’accélère face à l’allié traditionnel et ancien colonisateur (la France).
Qu’en pense le Gouvernement malien ?

Quant au gouvernement malien, qui profite de l’escalade de la colère populaire au Mali contre la France et de sa présence militaire, qui a épuisé plus de 9 ans sans parvenir au calme et à la paix sur le terrain, il possède la carte de l’intérieur et un large soutien populaire, ainsi que la carte ‘russe’, qui représente pour elle un lien fort, efficace et prudent pour consolider sa présence au Sahel.
A cela vient s’ajouter la vague de coups d’État africains, qui renforce la position du putsch malien et dévoile la contradiction française en distinguant le coup d’État malien des coups d’État guinéen et burkinabé.
Pour conclure, on peut dire qu’il est difficile de prédire ce qui va se passer, d’autant plus que les nouveaux dirigeants au Mali montent à chaque fois d’un cran, passant de l’exigence d’une révision des accords conclus entre les deux pays pendant les années d’indépendance à l’expulsion de l’ambassadeur de France, et l’annonce d’un certain niveau de rupture.
Anouar CHENNOUFI
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