Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Mali. Il faut l’avouer, le Mali a toujours été un pays avec une grande tradition de migrations et, selon l’ONU, le pays compte environ 1.264.700 émigrés, ce qui représente 6,63% de la population du Mali. L’émigration masculine est supérieure à l’émigration féminine, 56,91% des émigrants étant des hommes et 3,08% des émigrants étant des femmes.
A ce propos, on constate que l’émigration du Mali s’est surtout dirigée vers la Côte d’Ivoire, où vont 41,29%, suivie de loin par le Nigeria, avec 13,34%, et la Mauritanie, 8,56%.
Nous constatons sur les réseaux sociaux ou dans la rue, que les membres de la diaspora clament haut et fort leur soutien aux militaires au pouvoir à Bamako. Leur nombre réel est difficile à évaluer, mais le chef de la transition malienne est conscient du fait qu’il peut compter sur ces hommes et ces femmes, déçus par la classe politique traditionnelle et enthousiasmés par son discours souverainiste.
Ceci résume parfaitement un sentiment très fort et très répandu au sein de la diaspora malienne, qui constitue effectivement « un soutien crucial au gouvernement de la Transition » dirigé par le général Assimi Goïta, et comme rapporté par le magazine international Jeune Afrique, selon la diaspora malienne « Assimi Goïta a rendu sa fierté au peuple du Mali ».
Toujours dans le même contexte, il est important de noter que les opinions politiques sont diversifiées au sein de la diaspora malienne comme dans toute population, et qu’il existe également des critiques et des oppositions au régime actuel, sachant que la situation politique au Mali continue d’évoluer dans un contexte complexe de défis sécuritaires, de transitions politiques et de relations internationales changeantes, ce qui fait que la diaspora malienne, comme toute communauté diasporique, se retrouve extrêmement hétérogène dans ses opinions politiques.
Cette diversité s’explique par plusieurs facteurs:
• Diversité d’Origine et Socio-économique
Deux aspects apparaissent dans cette diversité, à savoir:
1. D’un côté les origines régionales et ethniques: Un Malien originaire de Gao, de Kayes ou de Bamako peut avoir des préoccupations et des perspectives politiques différentes, influencées par le contexte de sa région.
2. De l’autre, le milieu social et le niveau d’éducation: Le parcours professionnel et le niveau de formation influencent la perception de la politique et les attentes vis-à-vis des gouvernements maliens.
• Période et Raisons de l’Expatriation
Nous évoquons ici « l’Ancienne diaspora contre la Nouvelle diaspora »: Les Maliens installés en Europe depuis les années 1970-1980 et leurs descendants (souvent de nationalité française, belge, ou autres) ont un rapport au Mali différent de ceux partis récemment, après 2012, fuyant l’insécurité ou la crise économique dans le pays.
De même, du point de vue raisons du départ (économique, études, insécurité): Ces motivations créent des attentes et des critiques différentes envers la classe politique malienne.
• A propos des Pays d’Accueil
Un Malien vivant aux États-Unis, en France, au Gabon ou en Algérie est influencé par le débat politique de son pays de résidence. Ses préoccupations peuvent être différentes (par exemple, plus focalisées sur les questions de sécurité en France après les attentats, ou sur les questions économiques en Afrique de l’Ouest).
Par ailleurs, le niveau d’intégration dans la société d’accueil peut influencer le point de vue, car certains restent très ancrés dans la communauté malienne, tandis que d’autres s’imprègnent davantage des valeurs et débats de leur pays de résidence.
Il importe d’observer que la diaspora malienne est loin d’être un « bloc monolithique ». C’est plutôt une communauté vivante, diverse et engagée, dont les opinions politiques reflètent la complexité de la situation au Mali et les parcours variés de ses membres. Cette diversité d’opinions est une force, mais elle peut aussi être une source de divisions et de débats passionnés, notamment sur les réseaux sociaux où la diaspora est très active.
• Quels sont les clivages politiques visibles au Sein de la Diaspora?
On observe une grande variété de positions, souvent très tranchées, sur les sujets cruciaux qui préoccupent et agitent le Mali.
a) En premier lieu la transition politique et les militaires au pouvoir:
Certains soutiennent fermement la junte au pouvoir (CNSP), estimant qu’elle a mis fin à un régime corrompu et qu’elle est nécessaire pour « nettoyer » la politique malienne et restaurer la souveraineté face aux partenaires internationaux.
D’autres sont farouchement opposés à un gouvernement non élu, dénonçant un coup d’État et exigeant un retour rapide à l’ordre constitutionnel et à des élections libres et démocratiques.
b) En deuxième lieu les partenariats internationaux (notamment la France et la Russie):
Une frange importante de la diaspora a soutenu le retrait des forces françaises Barkhane et le rapprochement avec la Russie (et le groupe Wagner devenu après l’Africa Corps), voyant la France comme une force néocoloniale et impérialiste.
D’autres expriment une grande méfiance, voire une opposition, envers le partenariat avec la Russie, craignant l’influence des mercenaires et la perte de souveraineté à un autre acteur extérieur.
c) En troisième lieu la gouvernance et la corruption:
Un point d’accord quasi-unanime est la dénonciation de la corruption et de la mauvaise gouvernance des élites politiques maliennes successives. Cependant, les solutions proposées pour y remédier divergent radicalement.
d) Sur le nationalisme et la souveraineté:
Beaucoup en diaspora développent un sentiment nationaliste très fort, parfois plus marqué que chez les Maliens restés au pays. La défense de la « souveraineté malienne » est un mantra qui résonne puissamment, même si son interprétation varie.
Dans ce contexte, un récent sondage a révélé que plus de 90 % des Maliens sont satisfaits de la performance du président de transition, le général Assimi Goïta, témoignant du soutien populaire continu à l’autorité militaire qui dirige le pays depuis 2021.
Ce sondage, mené par la Fondation allemande Friedrich Ebert dans le cadre de son projet « Malimeter », a été mené auprès de plus de 2 000 participants répartis dans tout le pays, à l’exception de la région de Kidal, inaccessible en raison de la situation sécuritaire.
Soixante et onze pour cent des personnes interrogées se sont déclarées « très satisfaites » de la gestion de la période de transition, tandis que 25 % se sont déclarées « assez satisfaites », témoignant d’une large confiance dans le commandement militaire.
Par ailleurs, 92 % des personnes interrogées ont exprimé leur soutien à l’Alliance pour les Etats du Sahel, exprimant clairement les aspirations populaires à renforcer la coopération régionale face aux défis sécuritaires communs auxquels sont confrontés les pays de la région.
• Démocratie, réconciliation nationale, et souhait de stabilité
Malgré ce soutien, les résultats du sondage ont montré que le rétablissement de la démocratie n’est pas une priorité urgente pour les citoyens, son importance ayant diminué face aux problèmes de moyens de subsistance et de sécurité.
Ladite enquête a également révélé une méconnaissance de l’accord de paix et de réconciliation par le public, sachant que 61 % des personnes interrogées ont sincèrement déclaré qu’ils ignoraient son contenu et 71 % estimaient que cet accord avait perdu de sa pertinence.
Ce soutien populaire s’inscrit dans un contexte de tensions régionales persistantes et de détérioration des relations entre le Mali et ses partenaires traditionnels, notamment la France.
Il reflète également un désir populaire de stabilité après des années de coups d’État et de conflit armé, dans un contexte de questions croissantes quant à l’avenir du processus démocratique du pays.
• La diaspora « premier soutien » de Goïta: Pourquoi?
Il faut bien l’avouer, la diaspora malienne, notamment en France, en Espagne, en Allemagne et ailleurs en Afrique, joue un rôle multidimensionnel pour plusieurs facteurs.
1.Un soutien financier de taille: Les transferts d’argent de la diaspora vers le Mali sont une source vitale de revenus pour de nombreuses familles et pour l’économie nationale. Cet argent est souvent plus fiable et arrive plus directement que certaines aides internationales conditionnelles.
2.Un soutien médiatique et communicationnel non négligeable: Très active sur les réseaux sociaux et dans les médias communautaires, la diaspora relaie, explique et défend farouchement les positions du gouvernement de transition. Elle contrebalance souvent la narration des médias occidentaux, perçus comme hostiles au peuple comme à ses dirigeants.
3.Un soutien politique et diplomatique de grande importance: En organisant des manifestations de soutien dans les capitales européennes, en interpellant les parlementaires locaux et en faisant du lobbying, la diaspora malienne agit comme une force politique pour légitimer le régime de Bamako sur la scène internationale.
4.Un soutien moral qui émane des ressources populaires: En envoyant des messages de fierté et de reconnaissance, la diaspora renforce la légitimité populaire du CNT (Comité national pour le salut du peuple) et d’Assimi Goïta.
• Nuances & Critiques
Il est important de noter tout de même que cette vision n’est pas du tout unanime:
L’opposition politique et une partie de la société civile dénoncent, au Mali, une transition qui s’éternise, une répression des dissidents et des libertés, et des alliances (comme par ex. avec le groupe russe Africa Corps ex-Wagner) aux conséquences humaines et géopolitiques lourdes.
Plus profondément, sur le plan sécuritaire, si la fierté est revenue, la situation sur le terrain reste extrêmement fragile et volatile, et les gains sont mitigés selon les régions.
Quant au plan économique, nous constatons que les sanctions de la CEDEAO en 2022 ont durement frappé la population, et la diaspora a joué un rôle crucial pour aider les familles à traverser cette période, ce qui a pu renforcer son soutien au régime qu’elle percevait comme victime d’un injuste châtiment.
Pour conclure ce dossier, on peut dire que la diaspora, qualifiée de premier soutien de Bamako, laisse croire à tous que « Goïta a vraiment rendu sa fierté au peuple malien », en se basant sur la quête de souveraineté et de dignité après des années perçues comme humiliantes.
Pour la diaspora, Goïta incarne la figure du leader qui dit « NON » aux anciennes puissances et qui replace le Mali, symboliquement, sur la carte du monde en tant qu’acteur fier et indépendant. Ce sentiment, bien que complexe et contesté, est une réalité puissante de la dynamique politique malienne actuelle.
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