Le Niger négocie avec les groupes armés pour éviter l’établissement d’un « Emirat daechite » aux trois frontières ?

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Le Niger négocie avec les groupes armés pour éviter l’établissement d’un « Emirat daechite » aux trois frontières ?
Le Niger négocie avec les groupes armés pour éviter l’établissement d’un « Emirat daechite » aux trois frontières ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Niger. L’État nigérien s’est retrouvé, après l’arrivée au pouvoir du nouveau président Mohamed Bazoum, devant le fait déterminant de faire face à son plus grand défi de tous les temps, qui est la menace constante des éléments de Daech, d’Al-Qaïda, et de Boko Haram.

Pour ainsi dire, le Niger se situe effectivement dans l’épicentre du périmètre où sévissent ces groupes, notamment à la frontière des deux grands foyers que sont le nord du Mali et le bassin du lac Tchad, dans sa partie sud-est, proche du Nigeria, et sa partie ouest, proche du Mali.

En plus, il semble qu’ils aient cherché à s’implanter davantage au Niger, l’un des pays sahélo-sahariens, profitant d’un certain nombre de facteurs qui peuvent convenir aux groupes armés pour s’y établir, notamment avec la présence d’autres groupes actifs dans cette région depuis de longues années.

C’est d’ailleurs pourquoi l’on s’était posé la question suivante : Faut-il dialoguer avec les groupes armés ?

Malgré que cette question soit plus que brûlante pour les pays du Sahel, le président nigérien, Mohamed Bazoum, qui avait assumé auparavant la charge de ministre de l’Intérieur, maîtrise bien le sujet envers duquel il avait toujours défendu sa propre vision.

Dans ce contexte, on doit se rappeler que plus d’un an après son accession au pouvoir et alors que son pays est appelé à jouer un rôle central dans la lutte contre ce phénomène dans la région, il a procédé à la libération de plusieurs de leurs « membres » détenus au Niger, dont pour la première fois dans ce pays des éléments de Boko Haram, dans le cadre « de la recherche de la paix ».

Son initiative s’inscrivait dans le cadre d’une nouvelle approche, entamée il y a plusieurs mois, avec comme point fort une « main tendue » qui était adressée en particulier aux « jeunes Nigériens enrôlés dans les rangs de l’organisation Daech (dans le Grand Sahara) », du fait que la jeunesse nigérienne est abordée, en particulier parmi les enfants d’éleveurs confrontés à la pauvreté et à la misère, en raison de la sécheresse récurrente, de l’expansion des terres agricoles et des vols de bétail, perpétrés par des groupes armés.

Il importe de rappeler aussi, qu’après l’échec de l’approche militaire pour éliminer ces groupes dans les pays sahélo-sahariens, d’où les armées locales encourant de lourdes pertes matérielles et humaines au fil des années malgré le soutien occidental, les dirigeants de ces pays ont opté à prendre l’initiative et à tester la stratégie de dialogue avec ces groupes armés pour parvenir à la paix souhaitée.

Position de Niamey

L’armée nigérienne en recrutement permanent

Le président nigérien Mohamed Bazoum, fervent partisan de la négociation avec les daechistes, a entamé ces derniers mois des discussions avec ces responsables d’attentats meurtriers dans l’ouest du pays, une stratégie qui était il n’y a pas si longtemps un « tabou », mais les changements régionaux l’ont précipité au devant de la scène.

Ceci est apparu depuis que la France ait annoncé mi-février dernier le retrait des forces Barkhane et européennes Takuba du Mali, car Niamey craint toujours que les groupes armés ne renforcent leur présence dans la vaste région de Tillabéri (ouest), dans la région dite des « Trois frontières ».

Pour Bazoum, dans cette zone à la frontière du Burkina et du Mali, où l’organisation Daech du Grand Sahara contrôle de vastes territoires, les combattants se trouvent aux portes de Niamey, soit à moins de 100 kilomètres de la capitale nigérienne.

Dans son élan, le Président nigérien aurait envoyé des « émissaires auprès de neuf leaders de ces groupes », souhaitant ainsi prendre toute mesure qui « pourrait contribuer à alléger le lourd fardeau qui pèse sur les militaires nigériens », lesquels sont en train de payer de leur vie leur confrontation aux groupes armés.

Réaction à l’initiative de Bazoum

En guise de réaction à cette approche présidentielle, le Directeur régional de l’Institut de Tombouctou, Bakary Sambi, a salué quant à lui l’initiative courageuse du président nigérien, qui, selon lui, est « une solution pour régler cette question lourde de conséquences, et qui ne peut être résolue par des moyens militaires ».

« En adoptant cette approche, le président Bazoum a voulu s’attaquer aux causes structurelles et lancer un véritable dialogue interne », a-t-il ajouté.

Par ailleurs, d’autres observateurs chevronnés ont estimé que le dialogue devait s’accompagner de mesures concrètes, pour empêcher les groupes armés de poursuivre leur recrutement.

« Nous devons consolider le retour de l’État dans les zones marginalisées », a suggéré le général Mahamadou Abou Tarka, chef du Haut-commissariat (gouvernemental) à la consolidation de la paix.

De son côté, le Président du Conseil des Eleveurs du Nord Tillaberi, Boubacar Diallo, a déclaré « Nous devons trouver des médiateurs fiables pour rétablir la confiance », soulignant que de nombreux éléments des groupes armés, nigériens, sont d’anciens membres de la milice d’autodéfense peule, dissoute par les autorités en octobre 2011.

Diallo, qui a supervisé les opérations de désarmement, a ajouté que les miliciens furent « abandonnés », après avoir été « désarmés », puis « recrutés par des groupes armés actifs ».

Capacités de l’armée du Niger

L’armée nigérienne toujours aux aguets

Sans toutefois avoir l’idée de laisser tomber la riposte militaire face à ces porteurs d’armes, Mohamed Bazoum a annoncé au contraire la « montée en puissance » de son armée, laquelle aurait triplé pour passer de 11.000 à 30 000 éléments depuis 2011.

Néanmoins, le président nigérien a révélé qu’environ 12.000 d’entre eux combattent dans une dizaine d’opérations contre divers groupes, dont environ la moitié le long des frontières avec le Mali et le Burkina Faso, qui s’étendent sur 1.400 km.

Selon lui, malgré cette montée en puissance, l’armée nigérienne reste fragilisée devant les massacres qu’Al-Qaïda et Daech commettent de temps à autre contre la population, qui confirment la faiblesse des moyens sécuritaires dans la zone frontalière avec le Mali et le Burkina Faso, et laissent entrevoir la tendance des groupes armés à imposer des pratiques plus sanglantes contre toute résistance de la population locale à leur autorité.

Il ne faut pas oublier que le Niger, qui est l’un des pays africains les plus pauvres, mène une guerre sur deux fronts :
• le premier du côté occidental, contre Daech et Al-Qaïda, représentés par le groupe « Nosrat al-Islam et les Musulmans »,
• et le second du sud-est, près du lac Tchad, face au groupe Boko Haram dans le nord-est du Nigeria, ainsi qu’à Daech en Afrique de l’Ouest.

Présence de forces étrangères au Niger

Pour rappel, le recul de l’armée nigérienne face aux frappes des groupes armés à l’est et à l’ouest a entraîné le déplacement de plus d’un demi-million de citoyens, dans un pays qui ne compte que 23 millions d’habitants, dont 40 % d’entre eux vivent dans l’extrême pauvreté.

Bien que le Niger ait autorisé l’établissement de la plus grande base aérienne américaine de drones dans la région du Sahel sur son territoire, cela n’a pas concrétisé la victoire souhaitée sur ces organisations qui l’ont placé comme dans une tenaille.

Pourtant, la France possède également des bases militaires au Niger, et cela n’a pas empêché la multiplication des attentats meurtriers contre le pays malgré son leadership de la coalition du G5 Sahel face à Daech et Al-Qaïda.

Par ailleurs, Mohamed Bazoum s’est orienté vers la Turquie dans le cadre d’un soutien formulé par le président turc Recep Tayyip Erdoğan, pour renforcer les capacités d’auto-défense de ce pays du Sahel africain qui en a fort besoin.


Un « émirat daechite » dans la région des trois frontières ?

Il est plus fort que possible que toutes ces alliances militaires et sécuritaires n’aient pas pu empêcher les groupes armés d’infliger des frappes qui ont fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés depuis 2010.

C’est pourquoi les observateurs et les spécialistes en affaires africaines n’excluent pas que l’organisation de Daech dans le grand Sahara tente toujours de réaliser son rêve d’établir un « émirat dans la région des Trois frontières », si les pays de la région bénéficiant d’un soutien international ne sont pas en mesure de contrecarrer cette perspective.

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