« Le cinéma africain pourrait créer plus de 20 millions d’emplois »

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« Le cinéma africain pourrait créer plus de 20 millions d’emplois »
« Le cinéma africain pourrait créer plus de 20 millions d’emplois »

Par Mérième Alaoui

Africa-Press – Senegal. ENTRETIEN. Initiatrice depuis cinq ans du Pavillon africain en marge du Festival international du film de Cannes, Aminata Diop Johnson en explique les raisons et la portée.

Comment marquer une présence et une certaine visibilité du 7e art africain dans une manifestation comme le Festival international du film de Cannes ? C’est pour répondre à cette question qu’Aminata Diop Johnson a mobilisé pléthore d’énergies autour du Pavillon africain. Dans une édition 2023 où des hommages ont été rendus à Sembène Ousmane et Souleymane Cissé, lesquels ont ouvert la voie à plusieurs générations de cinéastes, il était important d’inscrire le cinéma africain dans le sillage de la création et du marché du monde. Pour nous éclairer, la directrice de l’Agence culturelle africaine (ACA) a répondu à nos questions.

Le Point Afrique : Depuis ses débuts il y a cinq ans, quels sont les objectifs du Pavillon africain ?

Aminata Diop Johnson : Nous avons lancé un Pavillon africain à Cannes pour mettre en valeur une cinématographie trop peu présente sur le marché international, et ce, dans un contexte où la contribution des pays africains à l’exportation mondiale de biens culturels est encore marginale avec seulement 1 %. De fait, le Pavillon est comme un centre d’accueil et de communication pour l’ensemble des professionnels du cinéma africain participant au Festival et au marché de Cannes. Il est également un moyen de booster les opportunités et la visibilité des cinémas des 54 pays du continent auxquels il faut adjoindre ceux de la diaspora. Dans la même dynamique, j’ai lancé depuis 2019 le programme « Talentueuses caméras d’Afrique » afin de favoriser l’émergence et la visibilité de jeunes créatifs africains à l’international. Il a accueilli 29 lauréats de 17 pays, dont certains ont eu un très beau parcours depuis. Pour son cinquième anniversaire cette année, le Pavillon africain s’est préparé à neuf jours exceptionnels jalonnés de conférences de haut niveau, de projections, de master classes, de cocktails postprojections, de visites officielles, de célébration des films en sélection et, bien sûr, des rencontres multiples et fructueuses entre les acteurs de l’industrie cinématographique africaine, de sa diaspora et des décideurs internationaux…

Comment est représenté le film africain à Cannes aujourd’hui ?

Fortement freinés par les années Covid, les cinémas d’Afrique se redressent doucement. La preuve est donnée par le grand nombre de films exceptionnellement présents cette année dans les diverses compétitions cannoises : 12 au total, dont 3 en compétition. Banel et Adama, un premier long-métrage sénégalais signé Ramata Toulaye Sy ; Les Filles d’Olfa, cinquième long-métrage de la réalisatrice tunisienne Kaouther ben Hania, et Firebrand, quatorzième long-métrage du réalisateur brésilien d’origine algérienne Karim Aïnouz.

Toujours en sélection officielle mais non en compétition cette fois (Un certain regard), il y a quatre films représentant des pays dont deux, le Soudan et le Congo, viennent pour la première fois en sélection officielle : Goodbye Julia de Mohamed Kordofani et Augure (Omen), film du Congolais Baloji Tshiani. Il y a aussi deux films marocains : Les Meutes de Kamal Lazraq et La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir-Maroc. Enfin, un film franco-algérien est présenté en séance spéciale : Omar la Fraise d’Elias Belkeddar.

Cela nous dit que le cinéma marocain poursuit son ascension, tout comme le cinéma tunisien. Que de nouveaux pays accèdent à la représentation internationale (Soudan, Congo) et que les cinémas sénégalais et algérien sont toujours présents. Est-ce à dire que l’industrie du cinéma est en bonne santé dans ces pays ? Dans le cas du Maroc et de la Tunisie, sans aucun doute : la présence de centres nationaux de la cinématographie, très actifs en matière de production et de représentation internationale, le nombre de producteurs, d’acteurs et de techniciens de premier plan, le développement des salles de cinéma ces dernières années, la renommée de festivals internationaux, comme celui de Marrakech ou les journées cinématographiques de Carthage, ainsi que la multiplication de festivals nationaux dans les deux pays, le prouve. L’Algérie, fortement représentée ces dernières années par d’excellents documentaristes, est présente à Cannes cette année avec Omar la Fraise, film à gros budget sur les trafics de drogue et les luttes entre gangs. Un autre grand film, historique cette fois, s’est fait remarquer en France : la Dernière Reine. Seul pays d’Afrique à s’être vue décerner une palme d’or en 1975 avec Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina, l’Algérie se débat actuellement dans une réorganisation complexe du secteur cinématographique sans avoir retrouvé le nombre de salles et de complexes cinématographiques d’avant les années de plomb.

Et en Afrique subsaharienne ?

Le Sénégal fut un des premiers pays de cinéma sur le continent. Actuellement l’existence du Fopica, fonds de production cinématographique, les coproductions avec d’autres pays d’Afrique, comme la Côte d’Ivoire où existe également une solide structuration des salles et un fonds d’aide au cinéma, l’existence de très bons techniciens et producteurs, permet bon an mal an, un renouvellement des talents et la cohabitation entre les anciens, Moussa Touré, Moussa Sène Absa, et les nouveaux, Mati Diop, Ramata Toulaye Sy, notamment. Quant aux pays comme le Soudan, la Guinée-Bissau, le Cameroun ou le Congo, les guerres civiles, dans certains cas, et les convulsions politiques et économiques, dans d’autres, n’ont pas permis au cinéma de se développer.

Comment, selon vous, améliorer les conditions de production du cinéma africain ?

Selon les résultats d’une étude récente réalisée par l’Unesco sur l’industrie cinématographique et audiovisuelle en Afrique, le secteur est en pleine mutation malgré des zones d’ombre et la prédominance de l’informel dans les différentes filières. L’Afrique apparaît comme le continent le moins équipé en matière de distribution cinématographique avec seulement un écran pour 787 402 personnes.

Cependant, l’industrie cinématographique africaine montre des signes de renaissance. Ces dernières années, tous les regards se sont tournés vers l’Afrique et nous voyons de grandes entreprises s’installer sur les marchés africains, avec l’émergence de modèles commerciaux de diffusion en continu et OTT, tels que Netflix, Showmax DsTV, pour n’en citer que quelques-uns. Les entreprises européennes et américaines investissent dans la production de films ou dans des écoles de cinéma, ainsi que dans des salles de cinéma. Les opérateurs de télécommunications déploient des centres de données, des infrastructures en nuage et des plateformes pour offrir du contenu vidéo à des millions d’Africains.

Les investissements africains sont-ils à la hauteur de l’enjeu ?

Les industries créatives n’ont pas encore montré leur véritable potentiel et seuls quelques investisseurs en sont conscients. C’est le cas d’Afreximbank, partenaire du Pavillon africain. En outre, cette nouvelle ruée vers l’or dans le domaine du streaming et du divertissement en Afrique ne semble profiter qu’à une poignée d’acteurs. L’accès au financement est le premier problème pour les cinéastes et les producteurs africains qui veulent faire émerger leurs histoires originales. Les gouvernements locaux n’ont pas mis en place de systèmes de soutien solides pour la production cinématographique et seules quelques chaînes de télévision acquièrent du contenu africain à grande échelle. Les investisseurs se concentrent toujours sur les secteurs traditionnels, tels que l’argent sur les mobiles, la logistique, la technologie et les énergies renouvelables. Un lobbying positif doit absolument être mis en œuvre.

Et qu’en est-il des coproductions interrégionales ?

Elles sont encore très rares et si elles existent, leurs films ne figurent toujours pas dans les sélections des festivals internationaux du film. Les acteurs et les techniciens qualifiés sont recherchés mais ils sont encore sous-payés et il existe peu de politiques transfrontalières pour protéger leurs droits. Les droits des films sont limités à certains territoires et appartiennent souvent des diffuseurs comme Canal+, ce qui n’œuvre pas toujours à permettre aux créateurs africains de se développer comme ils pourraient l’espérer. Les réseaux de salles de cinéma sont encore en construction et diffusent principalement des superproductions, notamment américaines, ce qui rend l’exploitation d’un film africain dans les territoires africains – à l’exception du Nigeria – très hasardeuse. Et ces affirmations sont en deçà de la réalité. On estime que les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel représentent 5 milliards de dollars de revenus en Afrique et emploient 5 millions de personnes. Selon un rapport sorti en 2021, le cinéma africain pourrait créer plus de 20 millions d’emplois et contribuer à hauteur de 20 milliards de dollars. C’est dire son potentiel…

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