
El Mahjoub Rahmani
Africa-Press – Senegal. Bon nombre d’observateurs internationaux S’accordent, ces dernières années, à affirmer que la politique d’investissements dans les ports d’Afrique, menée par les Émirats arabes unis, semble avoir de plus en plus mal à tenir route ces derniers temps. En cela, contribuent plusieurs facteurs, à commencer par la concurrence internationale (notamment Chinoise). Mais il y a aussi une multitude d’autres facteurs qui entravent le chemin à l’ambition jamais assouvie d’Abou Dhabi, de mettre la main sur le plus grand nombre possible de ports et installations maritimes stratégiques (et aussi de terres, de mines et de ressources hydrauliques) du continent. Parmi lesquels, il faut citer l’implication de plus en plus flagrante des autorités Émiraties dans les affaires internes des pays hotes de leurs investissements. Ce qui conduit tout naturellement au refus grandissant des forces vives (Presse, société civile et classe politique) de bon nombre de pays Africains concernés, qui se sont engagés à s’opposer à la « perte de leur souveraineté » par les leviers de l’hégémonie Émiratie. A leur tête le géant maritime « Dubaï Ports World ».
Dans une ultime crise gravissime, qui n’est pas la première et ne sera pas la dernière du genre, les Émirats arabes unis se sont attirées des critiques virulentes et accusations d’avoir « violé la constitution et mis en danger la souveraineté nationale », de la part du public et de l’opposition politique en Tanzanie. A l’origine de la colère Tanzanienne, un contrat signé le 22 octobre dernier, entre le gouvernement du pays et le géant maritime « Dubaï Ports World (DP World) », propriété de la famille royale Émiratie, octroyant à ce dernier le droit exclusif d’exploiter la majorité du port de la capitale Dar-Essalaam pendant 30 ans !
Est-il de rappeler que l’important déficit en termes d’infrastructures en Afrique, couplé à la faiblesse du commerce intra régional et intracontinental, sont deux handicaps majeurs qui entravent l’essor économique du continent. Et c’est en partant de ce fâcheux constat qu’Abou Dhabi s’est tourné vers l’Afrique, depuis déjà plus d’un quart de siècle, avec un double intérêt: économique et politique.
Ainsi, dans leur dessein d’assoir leur puissance hégémonique et de surpasser les autres pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et le Qatar, les Émirats ont étendu leur influence en Afrique grâce à l’accès aux portes maritimes. Bilan: au moins 12 ports stratégiques et des dizaines d’autres installations maritimes, sont passés durant la dernière décennie sous contrôle Émirati.
Intérêt accru pour l’Afrique
Pourquoi un tel intérêt pour un continent qui ne représente que 3 % du commerce mondial et 4 % du trafic de conteneurs ? Et pourquoi les ports africains font l’objet d’une forte concurrence en tant que portes d’entrée et de sortie du continent ? Tout simplement, parce qu’ils sont vitaux les économies locales, et essentiels pour assurer l’approvisionnement en produits de première nécessité, et aussi pour l’exportation des matières premières dont regorge le continent, vers les marchés internationaux: minerais, hydrocarbures, produits agricoles et halieutiques, etc. c’est dans ce sens-là que les infrastructures portuaires constituent des objectifs stratégiques pour les grandes puissances. Mais paradoxalement, aux côtés de tant de richesses, la majorité des ports africains sont souvent obsolètes, peu performants et nécessitant d’importants investissements pour devenir exploitables et rentables.
Le golfe de Guinée, la côte tanzanienne et l’Afrique de l’Est sont les régions les plus ciblées par la concurrence des « grands », en raison de leurs potentiels de développement. Sans oublier pour autant le Maroc et l’Égypte, pivots géostratégiques, qui possèdent les deux ports les plus puissants du continent: Tanger-Med et Port-Saïd.
Dans ce contexte, les enjeux pour les États africains sont doubles. D’une part, il s’agit de leur faciliter les exportations et les approvisionnements, non seulement pour les pays côtiers, mais aussi pour les 33 pays de l’hinterland, qui ne sont pas riverains de la mer. D’autre part, l’économie de la mer avec ses revenus, représentent un enjeu de développement de premier ordre, car les ports sont un prérequis essentiel à la croissance et à la diversification des économies africaines.
C’est pourquoi bon nombre de pays africains développent leurs capacités portuaires, depuis les années 2000.
Cet effort se poursuit dans la décennie suivante, avec des dizaines de milliards de dollars investis dans les systèmes portuaires, en particulier les terminaux de conteneurs. Et les capitaux investis proviennent d’un nombre assez réduits d’opérateurs du monde de la logistique portuaire et des transports. Parmi lesquels on peut citer: CMA CGM (France), MSC (italo-suisse), APM Terminals (Danemark), China Merchant Port (CMP) et DP World (Émirats arabes unis).
Le Grand concurrent Chinois
Conscients du poids majeur de la Chine dans les routes maritimes de la région, les Émirats ont été prudents de suivre une logique de complémentarité de leurs investissements avec ceux des chinois. Il est cependant arrivé à plusieurs reprises que l’expansion de la présence chinoise s’opère au détriment des intérêts émiratis. À Djibouti notamment, la Chine a remporté il y a quelques années, les droits pour développer sa base militaire au détriment d’Abou Dhabi, et des rumeurs courent selon lesquelles le gouvernement Djiboutien avaient mis fin à son contrat avec Dubai Ports World concernant la gestion du port commercial de Doraleh, avec l’ambition de le confier à la Chine.
Ces dernières années, la dynamique s’est poursuivie avec une augmentation des travaux de modernisation et de construction ou de mise à niveaux de ports. L’objectif est de créer de grands « hubs » portuaires à vocation régionale, qui catalysent les échanges non seulement depuis l’extérieur, mais aussi en faisant converger les flux logistiques depuis l’hinterland vers leurs installations.
Cette situation entraîne une augmentation de la concurrence entre les différents ports africains et les groupes qui les gèrent.
Dans cette optique, la Chine joue un rôle majeur en incluant l’Afrique à sa stratégie du « collier de perles », visant notamment à garantir ses approvisionnements en matières premières minérales et agricoles. La Chine compte plusieurs opérateurs tels que CMP ou Hutchison Ports. Elle combine ses investissements portuaires avec la construction d’infrastructures de transport (ferroviaires, routières, etc.) afin de garantir la chaîne d’approvisionnement jusqu’aux ports. Cette stratégie «de la mer vers la terre», pour reprendre l’expression du célèbre spécialiste international dans les questions géostratégiques Xavier Guilhou, est appliquée systématiquement en Afrique, particulièrement en Angola, en RDC, en Tanzanie, en Zambie, au Zimbabwe, etc. Par exemple, la rénovation du port de Mombasa au Kenya a été accompagnée de la construction d’une ligne de chemin de fer intérieure.
Les Émirats arabes unis, plus récents sur le marché, investissent dans les ports africains depuis les années 2000. Leur principal opérateur, DP World, est aujourd’hui un acteur majeur, bien que le pays encourage de nouveaux entrants sur le continent, comme Abu Dhabi Ports. Ils sont très présents en Afrique de l’Est, leur zone d’influence naturelle, et rivalisent avec la Chine. Les activités Émirats s’étendent également en Afrique de l’Ouest et centrale (Sénégal, Angola, RDC), où ils construisent deux futurs hubs majeurs pour le continent. Comme la Chine, la stratégie des Émirats arabes unis vise à sécuriser leurs approvisionnements en profondeur dans le continent. À cette fin, le pays finance des infrastructures, comme en RDC ou bien au Rwanda, où DP World a fait construire un port sec. Il convient de noter que les Émirats poursuivent de plus des objectifs de développement local afin de s’ouvrir des marchés à long terme.
Le géopolitique derrière l’économique
Au fil du temps, la Dubaï Port World s’est transformée en véritable levier diplomatique de la politique extérieure des Emirats arabes unis (EAU). Au-delà des visées économiques, ils ne cessent de déployer cet outil géant de soft power dans plusieurs pays d’intérêt, au profit de leur agenda politique, économique et sécuritaire et pour trouver place dans le jeu concurrentiel à l’international.
Cependant, dans sa recherche d’influence régionale, l’opérateur DP World s’est lui-même retrouvé imbriqué dans des considérations géostratégiques et politiques, qui dépassent de loin son envergure.
Suite à son expulsion manu militari le 23 février 2018 par le gouvernement Djiboutien, et la reprise en main du port de Doraleh, DP World (et donc les Emirats) ont focalisé leur intérêt sur la Somalie, jouant sur la corde des rivalités Djibouti-Somalie. Mais l’acquisition des ports en Somalie n’ont pas rassasié leur appétit vorace. Ils ont mené des négociations sur de potentielles installations dans le Jubaland et la région du Sud-Ouest qui se réclament indépendants de la Somalie. DP World (et par conséquent les Émirats) participe ainsi à la fragmentation de ce pays gravement déchiré par des conflits internes. En permettant aux différents Etats fédéraux ayant proclamé leur indépendance du gouvernement central à Mogadishu, de se développer sur les plans économique et commercial, l’entreprise Émiratie leur attribue davantage de pouvoir et de crédibilité, dans leur quête d’autonomisation. Naturellement, dans ce contexte, la division fait escalader les tensions sur le plan interne entre les divers territoires somaliens, et par conséquent entre Mogadiscio et Abou Dhabi. C’est pourquoi depuis 2018 la présence de DP World a été interdite en Somalie, avant d’y être autorisés dernièrement..
C’est dire que l’expansion du groupe DP World est soumise à des considérations économiques, certes, mais également géopolitiques et stratégiques pour le compte des Emirats arabes unis. «Le positionnement de DP World sur plusieurs ports stratégiques et dans plusieurs plateformes logistiques a participé au façonnement des relations entre Etats ou au sein d’un même Etat. L’entreprise Émiratie s’érige donc comme l’instrument économique au service de la politique, ayant eu un impact national et régional», conclue une récente analyse du » The Policy Center for the New South ».
La guerre au Soudan étant un conflit multipolaire du XXIe siècle, dans un monde multipolaire,
les nombreux acteurs du pays – en premier lieu les deux « généraux » belligérants, Abdel Fattah al-Burhan, qui dirige l’armée soudanaise, et Mohamed Hamdan Dagalo alias Hemedeti, à la tête des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) – sont devenus de simples pions dans le cadre d’une compétition plus large visant à imposer une influence dans la Corne de l’Afrique, qui revêt une importance stratégique.
Aucun pays ne se livre à ce jeu avec plus d’assurance que les Émirats arabes unis, qui entretiennent et orchestrent un ensemble diversifié de réseaux dans toute la région. Et les détails sont connus maintenant.
En Éthiopie, il semblerait que le conflit qui a secoué il y a quelques années la Région du Tigré ait été le plus dangereux pour l’unité, l’indépendance et la souveraineté du pays. Or, bon nombre d’observateurs sont enclins à qualifier le conflit armé qui a opposé le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) au gouvernement fédéral à Addis-Abeba, de « guerre civile interne », ou ce dernier a été appuyé par les Émirats arabes unis et l’Erythrée.
Sans chercher plus loin les cause de cet alignement politique et militaire, il ressort de plusieurs rapports que les Emirats ont investi dans près d’une centaine projets en Ethiopie, dans plusieurs secteurs, notamment, ceux de l’agriculture, de l’industrie, du foncier, du forage des puits, de l’hôtellerie, de la santé et de la construction, selon des données fournies par l’Autorité éthiopienne des Investissements.
Émirats: ambitions démesurées pour un (si) petit pays !
Dans une tribune d’opinion publiée il y a quelques mois, Sébastien Boussois auteur du livre « Émirats arabes unis à la conquête du monde », et enseignant-chercheur à l’Université Libre de Bruxelles, ne ménage pas ses propos quant aux ambitions démesurées de l’homme fort des Émirats Mohamed Ben Zayed (MBZ).
Non satisfaits de leur influence majeure dans le monde arabo-musulman depuis au moins une décennie, les Emirats arabes unis s’attaquent désormais ouvertement à l’Afrique subsaharienne. C’est le nouvel objectif géostratégique désormais de MBZ, pour assurer l’avenir de son pays. Et ce qui s’est passé au Soudan et ce qui se passe en Éthiopie, augure d’une ingérence à la sauce émiratie à venir de plus en plus agressive. Le tout dans une logique de faire de la confédération émiratie, non seulement une startup-nation à l’israélienne, mais aussi un agitateur diplomatique et militaire sur le continent, voire même un « acteur colonial majeur », selon les termes du chercheur, ce qui lui permettra de devenir ce dont elle a toujours rêvé être: une puissance complète sur le modèle de Venise d’antan à l’assaut des terres et des mers.
«On imaginait mal les Émirats venir jusqu’en Afrique sous de pseudo-prétextes sécuritaires, pour mieux piller le sol africain, poursuit-il. C’est pourtant la réalité et MBZ avance ainsi ses pions de manière spectaculaire en extrayant des richesses qui partent directement… à Dubaï et sans aucun reversement aux pays exploités. Cette situation de contrebande implique des flux financiers suspects qui impactent la souveraineté des États africains concernés». Sans maîtrise, ces derniers perdent des bénéfices pour leur développement économique, leur propre sécurité et le développement du potentiel humain. Les Emirats devenus maîtres de la fraude fiscale ne reversent rien aux pays concernés et agissent comme la Chine. Certains pays, à l’instar de la Zambie, renforcent leurs dispositifs de sécurité dans les zones minières afin de mettre fin aux opérations d’extraction illégale. Les EAU et la Chine deviennent ainsi les deux grands pollueurs régionaux non payeurs et ils sont tous deux dans le collimateur des organisations de droits de l’homme !
«Des rumeurs récentes semblent prouver que des clandestins, et pire encore des enfants, sont exploités dans ces mines clandestines émiraties en Afrique, continue Sébastien Boussois. Parmi les pays concernés, le Ghana est au cœur de toutes les attentions, car pour Human Rights Watch, 100% de l’or extrait du Ghana le serait par des enfants pour le compte de ces grandes firmes multinationales. Parmi lesquelles on retrouve des Indiens, des Sud-africains au «service» de deux sociétés: Emirates Gold et Kaloti Jewellery International».
«L’Afrique est donc devenue capitale pour la poursuite sans fin du développement des Emirats arabes unis. Elle sera le réservoir de ressources stratégiques au service des projets mondiaux d’Abu Dhabi, par le biais de soutien d’hommes autoritaires et de militaires qui maintiennent l’ordre dans des pays souvent au bord du chaos ». Sans scrupule aucun, «le militaire et stratège MBZ voit loin. Pour assurer son autosuffisance, en prévision de la fin des énergies fossiles, il a besoin d’eau, de sources d’énergie alternative, de terres et de métaux rares. Il sait désormais où les puiser», remarque Boussois. Au détriment des peuples appauvris et de leur expression, dans un échiquier régional à l’équilibre déjà très fragile, MBZ privilégie ses relations avec des régimes qui malmènent leurs peuples, et construit jour après jour sa puissance, déjà politique, économique, maritime et sécuritaire, pour devenir désormais également une puissance quasi-coloniale et impérialiste. «Le Soudan et l’Ethiopie sont au bord du gouffre, d’autres pays africains pourraient malheureusement bientôt en faire les frais », alerte le chercheur.
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