Le journaliste Ibou Fall raconte le parcours politique de Léopold Sédar Senghor

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Le journaliste Ibou Fall raconte le parcours politique de Léopold Sédar Senghor
Le journaliste Ibou Fall raconte le parcours politique de Léopold Sédar Senghor

Africa-Press – Senegal. Dakar, 9 fév (APS) – Le récit biographique « Senghor, sa nègre attitude » (2020), du journaliste Ibou Fall, revisite le parcours politique du premier président sénégalais, Léopold Sédar Senghor (1906-2001).

Cette biographie de 296 pages, publiée par Forte Impression, dissèque la vie d’un homme d’Etat, indissociable de la lutte pour l’indépendance du Sénégal et de l’histoire de la souveraineté nationale sénégalaise. Tout Léopold Sédar Senghor y est. De son enfance à sa démission de la présidence de la République. Sa succession aussi.

« Senghor, agrégé de grammaire, est un poisson dans l’eau, au milieu de ce petit monde de la frugalité (…) Il sait comment se rendre attachant aux yeux des plus démunis », raconte Fall, concernant la conquête menée par Léopold Sédar Senghor pour accéder au pouvoir.

Le journaliste montre comment le novice en politique a conquis les suffrages en s’aidant de la loi Lamine Guèye, qui consacre l’élargissement de la citoyenneté au-delà des communes de Dakar, Rufisque, Gorée et Saint-Louis.

Fall s’est beaucoup intéressé aux origines du personnage pour bien le connaître. « Faut-il aller chercher jusque dans son royaume d’enfance son inclination naturelle à être un humble parmi les humbles ? », s’interroge-t-il pour répondre ensuite par l’affirmative.

C’est à Djilor et Joal, sur la côte ouest sénégalaise, où il est né en 1906 et a passé son enfance, que « le génie politique de l’homme s’exprime le mieux », analyse-t-il.

Selon Ibou Fall, Senghor, issu de l’ethnie sérère, a utilisé les ressorts culturels, le cousinage à plaisanterie notamment, pour dérouler sa carrière politique. Mieux, ajoute l’auteur, il a su construire son discours politique à partir du vécu de ses semblables, ce qui le distingue de Lamine Guèye, son mentor et futur adversaire politique.

S’agissant de leur rivalité, le khalife général des mourides de l’époque, Elhadji Falilou Mbacké (1888-1968), a semblé jouer les arbitres entre deux principales figures de la politique sénégalaise, en faveur du « poète-président ».

Ce dernier a gardé une amitié indéfectible pour le guide religieux, jusqu’à son rappel à Dieu en 1968. Ibou Fall raconte comment, après avoir reçu les deux leaders politiques, le dignitaire mouride a vite porté son choix sur le ressortissant de Djilor, de confession catholique, au détriment de son coreligionnaire Lamine Guèye.

« C’est une des raisons pour lesquelles la campagne de stigmatisation de Senghor par les militants de la SFIO, qui pointent du doigt sa foi chrétienne, sera de nul effet », soutient Fall.

Il décrit le personnage de son livre, parlant de sa « modestie naturelle », de sa « sobriété » et de son « ascétisme ». « Les signes extérieurs de richesse et l’extravagance l’horripilent », écrit-il, ajoutant que Senghor fustigeait « le comportement de certains citoyens, qui affich[aient] un train de vie luxueux, quelquefois sans rapport avec les revenus de leur travail, étal[aient] leurs gaspillages, se livr[aient] à certains trafics ». Cette pratique, aux yeux du président et homme de lettres, était « particulièrement intolérable ».

En voulant se retirer du pouvoir, Léopold Sédar Senghor prendra le soin d’effectuer une tournée des chefs religieux pour leur annoncer de vive voix cette perspective. Les remerciant de leur soutien constant, durant trente-cinq années. C’est la moindre des courtoisies à laquelle son successeur, Abdou Diouf, ne se pliera pas à la suite d’une défaite électorale honorable, en « s’éclipsant sans un regard vers ses amis, ses soutiens, ses militants et les Sénégalais lambda ».

Senghor, un invité-surprise en politique

Selon Ibou Fall, Léopold Sédar Senghor a vite pris goût à la politique lorsqu’il est venu au Sénégal pour la préparation de sa thèse de doctorat. L’homme se destinait presque exclusivement à l’enseignement et à la recherche. Il ne s’attendait pas à ce que sa visite au Sénégal, en 1945, donne à sa vie une nouvelle tournure en l’orientant vers la politique.

Le titulaire d’une agrégation de grammaire française en 1939 était venu au Sénégal dans le cadre de ses recherches académiques, bénéficiant d’une bourse du Centre national de recherche scientifique, pour travailler sur « la poésie et la culture sérères ».

Il ne se donnera plus de temps pour soutenir la thèse pour laquelle il était revenu au pays. Sur sa terre natale, il va taper sur l’œil du député Lamine Guèye, qui voulait faire de lui son colistier pour les élections législatives de 1946.

Le responsable socialiste est à l’origine de frustrations survenues au sein de son propre parti politique, lorsqu’il impose à ses camarades un jeune agrégé, presque inconnu de la base militante.

De 1946 à sa démission volontaire du pouvoir en décembre 1980, Léopold Sédar Senghor passe du statut d’ »invité-surprise » à celui de « maître absolu de la vie politique sénégalaise », souligne Ibou Fall.

S’agissant de son bilan, le premier président du pays est considéré comme le bâtisseur incontestable de la nation sénégalaise. Mais le très lucide et humaniste leader sera rattrapé par les démons de la politique, ce qui pousse Fall à parler de « pouvoir absolu » à son sujet.

La crise institutionnelle de décembre 1962 est passée par-là, opposant le président sénégalais à son vieil ami et compagnon de dix-sept ans, Mamadou Dia, chef du gouvernement.

Ibou Fall semble défendre la thèse selon laquelle le destin politique du Sénégal a définitivement basculé à la fin du bicéphalisme, qui marchait à merveille jusqu’au 17 décembre 1962.

Il analyse minutieusement cette crise, qui ouvre la voie à la traque et à l’humiliation des supposés « diaistes », les partisans de Mamadou Dia, lequel est démis de ses fonctions de président du Conseil, jugé, condamné et emprisonné pendant douze ans, pour le délit d’atteinte à la sûreté de l’Etat.

Une « chasse à l’homme » qui prive le Sénégal de technocrates et d’hommes de valeur que le pays doit, à bien des égards, à ses premières infrastructures socioculturelles.

Ibou Fall, par des portraits agrémentés de moult anecdotes, fait connaître aussi les collaborateurs et les adversaires politiques de Léopold Sédar Senghor.

François Dieng, par exemple, son ministre de l’Education et de la Culture, de 1959 à 1962. Ce docteur vétérinaire a abattu « un travail colossal » pour doter le Sénégal d’infrastructures scolaires capables de donner à la nation en construction les cadres dont elle avait besoin.

François Dieng est, selon Fall, à l’origine de la création de l’ex-Ecole normale supérieure de Dakar – l’actuelle faculté des sciences de l’éducation de l’université Cheikh-Anta-Diop -, des lycées Charles-de-Gaulle (Saint-Louis), El Hadji-Malick-Sy (Thiès), Gaston-Berger (Kaolack), Blaise-Diagne (Dakar), etc.

En prévision du premier Festival mondial des arts nègres (1er-24 avril 1966), le Théâtre national Daniel-Sorano et le musée Dynamique (bâti sur le site actuel de la Cour suprême), ont également été portés sur les fonts baptismaux par François Dieng, une victime des dégâts collatéraux de la crise politique de décembre 1962, selon l’auteur.

« Wade, une créature de Senghor ou du tandem Collin et Diouf ? »

« La démocratie ne fait de mal à personne », enseigne l’un des 26 chapitres du livre consacré en même temps à la vie des partis politiques de l’ère Senghor, une « quasi-monotonie », avec des scores proches de 100 % au profit de la formation d’obédience socialiste du premier chef d’Etat sénégalais.

Fall évoque la loi dite des trois courants votée le 19 mars 1976, qui sommait tous les partis politiques d’être socialistes (comme celui du président), libéraux-démocratiques ou marxistes-léninistes.

Un choix parmi trois est donc imposé au PDS d’Abdoulaye Wade, au PAI de Majmout Diop, au PRA-Sénégal d’Abdoulaye Ly et au RND de l’historien Cheikh Anta Diop, qui refusaient de se soumettre à cette loi. Ces partis d’opposition ne seront reconnus officiellement qu’à la suite du multipartisme intégral survenu juste après la démission de Léopold Sédar Senghor. Ces leaders de l’opposition étaient jugés « séditieux ».

Au Sénégal, il a fallu attendre l’élection présidentielle de 1978 pour voir Léopold Sédar Senghor affronter le seul opposant « digne de ce nom », Abdoulaye Wade, qui récolte 17,8 % des voix.

Cette élection couplée aux législatives matérialise l’entrée du PDS à l’Assemblée nationale, avec 17 députés, un nombre suffisant pour constituer un groupe parlementaire.

« Que faut-il en penser, Wade une créature de Senghor, ou du tandem Collin et Diouf, pour canaliser la rage sociale ? », se demande Ibou Fall dans son analyse des rapports de force entre le pouvoir et l’opposition.

Son livre est aussi un précieux document sur la crise de Mai 1968 et d’autres événements d’envergure nationale. Par exemple, la mort non encore élucidée du jeune marxiste Omar Blondin Diop. Même si ce dernier est officiellement mort de « suicide » par pendaison.

L’histoire reste muette sur ce qu’il s’est réellement passé dans sa cellule de prison à Gorée, le 11 mai 1973.

Ibou Fall parle même d’une « tragédie » pour évoquer la mort de ce jeune prodige reçu à la prestigieuse Ecole normale supérieure de Paris. Léopold Sédar Senghor a échoué d’y entrer en se présentant au concours, plusieurs décennies auparavant, selon Fall, un des précurseurs de la presse satirique au Sénégal.

Les parcours du ministre Jean Collin, « résolument plus Sénégalais que les Sénégalais ordinaires », et d’autres personnalités politiques sont également revisités. Bref, il s’agit de l’histoire politique du Sénégal au cours des soixante-dix dernières années.

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