Présidentielle au Sénégal : Khalifa Sall à quitte ou double

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Présidentielle au Sénégal : Khalifa Sall à quitte ou double
Présidentielle au Sénégal : Khalifa Sall à quitte ou double

Mehdi Ba

Africa-Press – Senegal. Malgré l’ancienneté de son engagement politique, l’ex-maire de Dakar, 68 ans, disputera en février 2024 sa première – et dernière ? – présidentielle.

« En cas d’insuccès, ce sera sans doute sa dernière élection. S’il n’est pas élu, il est peu probable qu’il se représentera en 2029. » Résumée par un cadre de Taxawu Sénégal, l’équation qui se pose à Khalifa Ababacar Sall tient en un simple constat arithmétique. Le 1er janvier prochain, l’ancien maire de Dakar fêtera son 68e anniversaire. S’il ne l’emporte pas lors de la présidentielle, dont le premier tour est prévu le 25 février 2024, il ne pourra plus envisager de briguer un double mandat cinq ans plus tard. En 2034, il aura en effet dépassé la limite d’âge fixée à 75 ans.

Au crépuscule d’une carrière militante entamée dès l’adolescence, le candidat de Taxawu Sénégal jouera donc son va-tout au cours des quatre prochains mois.

Sa tâche s’annonce d’autant plus difficile que l’alliance constituée en 2022 entre son parti et les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) d’Ousmane Sonko a définitivement volé en éclats. La mise hors jeu judiciaire de cet opposant radical, condamné le 1er juin pour « corruption de la jeunesse » et dont la radiation des listes électorales est encore en suspens, aurait pu conduire à une union sacrée de la coalition Yewwi Askan Wi derrière la candidature de Khalifa Sall.

Mais l’implosion, en octobre, de la principale coalition de l’opposition, qui a abouti à la mise au ban du fondateur de Taxawu Sénégal par les militants et sympathisants du parti d’Ousmane Sonko, rend désormais ce scénario caduc.

Comme si de rien n’était

Fidèle à sa discrétion de toujours, le sexagénaire veut pourtant croire en ses chances et poursuit, comme si de rien n’était, une campagne électorale entamée précocement à travers le pays et dans la diaspora. Sous le mot d’ordre Mottali Yéene (« Faire aboutir notre projet »), il a donc repris sa tournée à travers les quatorze régions du Sénégal et dans certains pays de la diaspora, sur trois continents.

En guise de programme, un socle basé sur les conclusions adoptées en 2009 lors des Assises nationales. « Les différentes commissions du parti ont achevé leur travail et en ont livré une restitution fin septembre afin que ce programme fasse ensuite l’objet d’échanges à la base, auprès des populations », indique Vydia Tamby, l’assistante personnelle de Khalifa Sall, qui résume ainsi le projet du candidat : « Renforcer l’État et adopter des réformes institutionnelles importantes afin de régler les problèmes de gouvernance. »

Résumé dans un document d’une quinzaine de pages, le projet politique de Khalifa Sall se décline en un triptyque quasi métaphysique : « L’humain, l’eau et la terre. » Reste que les principaux mots d’ordre égrenés dans ce document de campagne apparaissent plutôt convenus : « un État fort et rassembleur » ; le « respect de l’État de droit » ; la « bonne gouvernance » ; « une distribution équitable des ressources et une approche territoriale » ; « l’humain au cœur du programme » ; « une diplomatie ouverte »…

Homme de terrain

Ces priorités à la portée aussi générale que consensuelle suffiront-elles à séduire un électorat où la jeunesse est fortement représentée ? « Khalifa Sall est un homme de terrain qui aime aller au contact des populations à la base, jusque dans les villages et les hameaux, afin de recueillir les aspirations des populations avant de leur présenter son projet », indique Ibrahima Ndiaye, le coordinateur de la communication du candidat.

C’est pourquoi, selon ses collaborateurs, il pratique une campagne électorale immersive, restant plusieurs jours dans chaque ville-étape au lieu de la traverser au pas de course. Même si son équipe assure sa présence sur les réseaux sociaux et que l’intéressé a donné, en juillet, une salve d’interviews à quelques médias internationaux, Khalifa Sall reste globalement fidèle à la ligne qu’il a toujours privilégiée, préférant le porte-à-porte dans le pays profond aux caméras et aux micros des journalistes.

Électorat orphelin

Dans un contexte où une part non négligeable de l’électorat sénégalais se retrouve orpheline d’Ousmane Sonko – condamné en juin et incarcéré depuis juillet – et où une autre attend désespérément, depuis plus de cinq ans, que le candidat censé porter les couleurs du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition), Karim Wade, se décide à remettre le pied au Sénégal pour y battre campagne, reste à savoir où Khalifa Sall trouvera un vivier électoral dans lequel puiser s’il entend se faire une place au second tour dans un pays habitué à voir les scrutins présidentiels se régler par K.-O. dès le premier.

« Les gens oublient souvent que la région de Dakar, où il est très populaire, représente environ 25 % du corps électoral », rappelle Ibrahima Ndiaye. Pour autant, si Barthélémy Dias, son principal lieutenant – qui devait être intronisé directeur de campagne –, a effectivement remporté la mairie de Dakar en janvier 2022, Khalifa Sall devra convaincre bien au-delà de ce bastion pour espérer l’emporter face à ses rivaux de l’opposition et à la « machine de guerre » transpartisane qu’incarne Benno Bokk Yakaar (BBY, coalition présidentielle).

Ralliements

« La LD [Ligue démocratique] Debout s’est déjà ralliée à sa candidature en septembre, et d’autres partis de la gauche sénégalaise vont rejoindre le mouvement », veut croire Moussa Taye, conseiller politique et porte-parole du candidat. « Nous avons de bonnes raisons de penser que différents partis politiques et mouvements citoyens rallieront sa candidature en temps voulu, ajoute-t-il. Nous martelons depuis 2019 que notre projet est socialiste et que notre candidature l’est aussi, c’est pourquoi Khalifa Sall a tendu la main aux cadres et aux électeurs du parti socialiste en leur rappelant qu’eux-mêmes n’auront pas de véritable candidat le 25 février prochain. »

Il est vrai que, comme en 2019, l’ancien parti de Senghor se contentera en 2024 de faire campagne pour le candidat de l’Alliance pour la République (APR, parti présidentiel), Macky Sall hier et Amadou Ba aujourd’hui.

Dans l’entourage de Khalifa Sall, on laisse donc entendre que la masse de soutiens qu’il espère engranger pourrait déporter vers lui des militants mais aussi certains hauts responsables du Parti socialiste, lequel fut longtemps sa famille avant que feu Ousmane Tanor Dieng le renie sans égards, en décembre 2016. Il y a quelques mois, Khalifa Sall avait d’ailleurs lancé un appel à cette gauche sénégalaise dont il est lui-même originaire pour l’inciter à se rallier à sa candidature.

« Je suis le mieux placé et le mieux indiqué pour être le candidat de toutes les forces de gauche qui sont dans BBY », avait-il lancé depuis Tambacounda, le 17 février 2023. L’ancien maire de Dakar avait également appelé « tous [ses] camarades socialistes à se joindre à [lui] pour mener le combat ». « Il se revendique du socialisme et il campe sur un positionement idéologique de gauche », confirme Vydia Tamby.

Micropartis

Mais aujourd’hui, le candidat de Taxawu Sénégal ne peut espérer compter que sur une constellation de micropartis puisque les deux principales formations sénégalaises historiquement estampillées à gauche – le Parti socialiste et l’Alliance des forces de progrès (AFP) – ont déjà confirmé qu’elles perpétueraient, derrière Amadou Ba, l’alliance nouée il y a plus de dix ans avec Macky Sall.

Le seul accord électoral officialisé à l’heure où la campagne de recueil des parrainages citoyens débutait, le 27 septembre, concerne donc la LD Debout. Dans un communiqué conjoint publié trois semaines plus tôt avec Taxawu Sénégal, les deux organisations s’étaient en effet « félicitées de la qualité [de leurs] échanges, facilités notamment par le partage des valeurs et principes de gauche. Ces derniers vont sans nul doute contribuer à la mise en place d’une alliance stratégique conquérante et victorieuse pour une véritable alternative de progrès au Sénégal ».

Ce ralliement peut-il faire tache d’huile ? Selon Moussa Taye, « la direction actuelle du PS est obsolète, dépassée par les événements et soumise à une logique alimentaire et de survie politique. Certains camarades socialistes nous rejoignent d’ailleurs lors des meetings de Khalifa Sall ».

Rempart

Dans le camp de ce dernier, on veut croire que la population sénégalaise aspire au changement après douze années de « mackysme ». Or, analyse Moussa Taye, « Amadou Ba incarne la poursuite de la politique de Macky Sall sous un autre visage ». Aussi veut-il croire que l’ancien maire de Dakar, étant à ses yeux « le plus expérimenté, le plus pondéré, celui qui parle aux leaders de tous les autres partis », sera « le mieux placé pour faire rempart au candidat du camp au pouvoir ».

Khalifa Ababacar Sall saura-t-il pour autant convaincre les centaines de milliers d’électeurs potentiels d’Ousmane Sonko, lesquels seront probablement enclins à s’abstenir si leur candidat ne pouvait se présenter, Pastef ayant fait savoir qu’il n’y aurait « pas de plan B » si Ousmane Sonko était placé dans l’impossibilité de concourir ?

« Nous avons dit et répété que nous voulions une présidentielle inclusive à laquelle tous les candidats, dont bien sûr Ousmane Sonko, devaient pouvoir participer », rappelle Moussa Taye. Mais que se passera-t-il si cet appel n’est pas suivi d’effet ? « Nous aviserons en temps voulu, quand nous connaîtrons la position de Pastef, répond-il. Pour l’heure, on ne saurait présager de rien… ni pour le premier tour ni pour le second. »

source: jeuneafrique

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