Africa-Press – Senegal. Jadis opposante radicale à Macky Sall, la très charismatique Aïssata Tall Sall est désormais sa ministre des Affaires étrangères. Une nomination qui consacre la « transhumance » politique de cette socialiste historique.
Nous sommes en 2006. Aïssata Tall Sall, vêtue de la robe noire d’avocate, a troqué les amples foulards dont elle se coiffe habituellement pour deux tresses qui lui encadrent le visage. Un style sobre, pour une prestation enflammée. Dossier sous le bras, elle livre une plaidoirie passionnée, prenant la défense de l’Afrique face aux tenants de l’orthodoxie budgétaire.
La « violence » et le « cynisme » d’une dette « insoutenable », la responsabilité du FMI dans le « mal » provoqué par les ajustements structurels sur les États et les peuples du continent… L’argumentaire qu’elle déploie est implacable, le ton ferme et vindicatif. Si la scène est fictionnelle, saisie par l’objectif du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako pour son film Bamako, Aïssata Tall Sall est aux antipodes d’un rôle de composition. À l’écran, c’est bien elle qui plaide.
Avocate de formation, elle s’est forgée une réputation d’infaillible oratrice. Dans les prétoires sénégalais et africains d’abord, avant de faire résonner sa verve dans l’arène politique. Ils sont nombreux, alliés ou adversaires, à se délecter dans l’hémicycle des saillies verbales de celle qui a été élue député-maire de Podor en 2009. « La vie politique est très proche du métier d’avocat. C’est affaire de rhétorique, de convictions et de contradictions ».
« Éternelle socialiste »
De fait, convictions et contradictions auront rythmé le parcours de celle que l’on surnomme la « Lionne du Fouta », socialiste historique qui, en 2019, amorce un retournement qui va la conduire à accepter le portefeuille ministériel des Affaires étrangères au sein du gouvernement du président libéral Macky Sall, en novembre 2020.
Du côté de la majorité présidentielle, on préfère mettre en avant les compétences et l’aura de la femme politique, plutôt que de s’appesantir sur la valeur de la « prise politique » que constitue son ralliement au pouvoir. « Elle est une personnalité emblématique de la vie politique sénégalaise. Après avoir cheminé avec Abdou Diouf puis Ousmane Tanor Dieng, elle a su s’imposer et remplit aujourd’hui amplement le fauteuil de ministres des Affaires étrangères », loue ainsi Mor Ngom, ministre conseiller de Macky Sall.
Tour à tour ministre de la Communication d’Abdou Diouf (entre 1998 et 2000) et porte-parole de sa formation politique, « Aïssata Tall Sall a rapidement été considérée comme une figure montante du Parti socialiste (PS). C’est une personnalité charismatique qui maîtrise toujours son sujet et s’est rapidement imposée comme l’un des socles du PS », se souvient son ancien camarade Bamba Fall, dissident socialiste et maire de la Médina qui salue malgré tout « une éternelle socialiste ».
Ostracisée
Plus elle prend du galon au sein de la plus vieille formation du pays, plus la tentation présidentielle s’affiche, jusqu’à vouloir briguer, en 2014, la succession de l’indéboulonnable Ousmane Tanor Dieng à la tête de la formation socialiste. Trahison ultime au sein d’un PS caporalisé, Aïssata Tall Sall est rapidement mise sur la touche, même si un cacique du PS assure aujourd’hui qu’il n’y avait à l’époque « rien de personnel » dans cet ostracisme. « L’ambition n’est pas un délit, nous n’avions rien à lui reprocher », insiste pour sa part Bamba Fall.
Frondeuse, intègre, Aïssata Tall Sall n’hésite pas à aller au combat, quitte à se mettre quelques personnes à dos au sein même de sa formation politique. Quitte à se voir ostraciser aussi, comme ce fût le cas en 2017, lorsqu’elle est exclue du PS aux côtés de Bamba Fall, Khalifa Sall (ancien maire de Dakar), Barthélémy Dias (maire de Mermoz-Sacré-Coeur) et 61 autres camarades pour avoir rejeté l’alliance du PS avec Macky Sall. « Malgré cela, elle a continué à se battre, obtenu un siège de député et continué à porter sa voix dans l’hémicycle. Sa sortie du PS est loin de l’avoir tuée politiquement », analyse Bamba Fall.
Si l’exclusion du PS vaut à l’ancienne l’avocate d’être érigée par l’opinion en modèle d’intégrité, certains de ses soutiens ne lui pardonnent pas sa « transhumance » de 2019. Alors qu’elle porte les couleurs de sa coalition « Osez l’avenir » et vise la magistrature suprême, la candidate voit sa collecte de parrainages retoquée par le Conseil constitutionnel.
Le ralliement de 2019
Empêchée de se présenter, celle qui s’était posée en opposante indocile du candidat sortant apporte finalement son soutien à Macky Sall. « Personne ne s’y attendait, mais je ne pense pas qu’il y ait eu de ressentiments. En politique, il faut accepter, je crois, les intérêts personnels de chacun », admet Bamba Fall, qui revendique « d’excellentes relations avec celle qui a toujours mis gratuitement ses qualités d’avocate au service du parti et des camarades ».
En 2015 pourtant, elle vilipendait « l’apologie de la transhumance » sur les plateaux de télévisions. « La transhumance, il nous appartient à nous, politiques, de la combattre par des principes, par notre posture, notre attitudes et nos idées », défendait-t-elle à l’époque.
Sur les réseaux sociaux, dans les médias, c’est l’incompréhension. Figure de la société civile, le rappeur Kilifeu, du groupe Keur Gui, supplie : « De grâce, Maman, restez digne comme vous l’avez toujours été ! ».
Présidentiable ?
Face aux critiques, la maire de Podor se dit sûr d’elle : « Notre coalition est en phase avec elle-même, avec ce qu’elle croit être l’intérêt du Sénégal. Voilà pourquoi nous avons décidé, de façon consciencieuse, méticuleuse, studieuse, de soutenir le candidat Macky Sall », assure alors la désormais ex-opposante.
« Que des hommes et femmes politique, que Idrissa Seck ou Aïssata Tall Sall rejoignent Benno Bokk Yakaar [la coalition présidentielle – ndlr] est évocateur de ce qu’il se joue dans le pays. Ces opposants on fait le choix de l’unité nationale face aux défis du pays. Ce n’est plus une question d’ambition, c’est une question de Sénégal », martèle Mor Ngom.
Si certains peuvent y voir un tremplin, la nomination d’Aïssata Tall Sall à la tête de la diplomatie sénégalaise pourrait aussi être une manière pour le chef de l’État de garder un certain contrôle.
« Un ministre des Affaires étrangères est toujours entre deux avions, il ne passe jamais plus de deux mois d’affilée au Sénégal. Quel meilleur moyen d’empêcher quelqu’un de faire campagne pour soi dans le pays que de le nommer à ce poste ? », souligne un ténor de l’APR, le parti de Macky Sall, sous couvert d’anonymat.
En 2015, pourtant, elle confiait à mots à peine couverts ses ambitions présidentielles dans un entretien à Jeune Afrique. Des velléités désormais mises entre parenthèses par son entrée au gouvernement ? L’entourage d’Aïssata Tall Sall n’a pas souhaité répondre sur ce point.
Une chose est sûre, elle appartient désormais à une majorité au sein de laquelle les « présidentiables » peuvent rapidement se trouver écarter, à l’image du sort qu’a connu tout récemment une autre femme puissante de la scène politique sénégalais, l’ancienne Première ministre Aminata Touré…