Omer Mbadi – à Yaoundé
Africa-Press – Tchad. Alors que les relations entre le géant anglosaxon de l’audit et sa branche regroupant dix filiales d’Afrique centrale et de l’Ouest étaient tendues depuis des années, leur divorce est acté sur fond de désaccord quant à la gestion des problèmes de conformité.
C’est l’histoire d’un divorce annoncé. « Après un examen stratégique approfondi, les firmes PwC en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Cameroun, en RDC, en République du Congo, à Madagascar, en République de Guinée, au Sénégal, en Guinée Équatoriale et au Tchad se séparent du réseau PwC et opèrent désormais de manière séparée et indépendante », indique le dernier communiqué de Pwc Afrique francophone subsaharienne, en date du 31 mars.
Sauf que la lecture inverse prévaut plutôt dans les milieux de l’audit et du conseil sur le continent. « C’est plutôt le groupe PwC qui a coupé les ponts avec toute la région », ironise le dirigeant de l’une des firmes locales du Top 10 du secteur. Confirmation du fait que le géant mondial de l’audit, membre des « Big Four », et ses filiales en Afrique francophone ne sont plus sur la même longueur d’onde.
Si les démarches en vue d’une séparation en douceur ont été entamées il y a quelques mois, les signaux avant-coureurs du divorce n’ont pas manqué. C’était le cas il y a plus d’un an, lorsque, pour des considérations de conformité, le réseau a exigé que ses firmes locales mettent un terme à certains mandats de commissariat aux comptes et s’abstiennent d’en solliciter d’autres. « Le coup a été rude, au regard des charges et coûts fixes à supporter », confie un ancien cadre évaluant le préjudice financier à plus de 2 millions de dollars.
« Le début de la descente aux enfers »
Mais les tensions remontent à encore plus loin, à savoir il y a plus de trois ans, lorsque, sous l’impulsion de Nadine Tinen, Camerounaise à la tête de l’entité panafricaine depuis six ans, le cluster d’Afrique francophone décide de sortir de l’orbite de PwC France.
La décision, prise pour gagner en autonomie, ne fait toutefois pas que des heureux chez les associés du territoire. Car sa principale conséquence est le changement de supervision, qui passe de PwC France à PwC Global, marqué par son tropisme anglo-saxon principalement américain. « C’est le début de la descente aux enfers », commente un autre ancien responsable du cabinet.
À la faveur des revues annuelles pour s’assurer du respect des règles du groupe, les contrôleurs américains observent des atteintes à la conformité qui, jusque-là, étaient tolérées par leurs confrères hexagonaux. « En fait, il y a des seuils en dessous desquels les éléments examinés ne sont plus pertinents mais étaient tolérés auparavant », constate une source proche du dossier.
Ces normes portent notamment sur le recrutement des employés et des clients ou encore sur les incompatibilités. C’est le cas, par exemple, d’une filiale bancaire dirigée par l’épouse d’un responsable en charge de l’audit chez PwC qui, à son tour, en assure le commissariat aux comptes.
Des écarts que l’on tente de relativiser au sein de PwC Afrique francophone, en rappelant d’abord la sanction de 5,8 millions de dollars que le régulateur britannique des auditeurs vient d’infliger au géant mondial de l’audit et du conseil pour une mission auprès de Wyelands Bank remontant à 2019. Ou encore l’interdiction d’opérer pendant six mois que Pékin a ordonnée l’année dernière à l’endroit de PwC Chine, accompagnée d’une pénalité de 56 millions d’euros, à cause d’insuffisances constatées dans le cadre du scandale Evergrande – du nom du spécialiste des prêts hypothécaires de l’Empire du milieu.
Choc culturel avec les Anglo-saxons
Au-delà des problèmes de conformité, la nouvelle donne rappelle le choc culturel existant entre les contrôleurs anglo-saxons et les responsables des firmes locales. « En réalité, notre environnement est constitué de contraintes telles qu’il est difficile de rester compliance à 100 %, comme chez les Américains, qui ne le comprennent pas toujours. Ce que toléraient les Français, plus enclins à assimiler nos réalités », commente un observateur.
Conscient de ces difficultés, PwC Global a mis en place, dès 2022, un programme draconien de mise en conformité des filiales de la zone. « Au regard des conditionnalités imposées et compte tenu des mandats qui couraient et qu’il était impossible d’interrompre, les superviseurs se sont impatientés », juge notre source.
Deux ans après le lancement du programme, les résultats sont mitigés et le couperet tombe. Le réseau prend la décision de se séparer du cluster Afrique francophone au plus tard le 31 mars 2025.
Ce dernier assure qu’une transition est en cours. Ainsi, Nadine Tinen exerce, depuis le 1er avril, dans son pays et sous la marque Vinka Tax and Legal, en compagnie de Magloire Tchande – qui dirigeait la branche camerounaise de PwC. Cette dernière, comme les neuf autres anciennes entités PwC d’Afrique francophone, expliquent maintenir la continuité du service, notamment auprès des clients dont les contrats courent toujours.
Pour autant, les effets de la rupture ne manqueront pas de se faire ressentir sur les entités locales. La perte des clients référés, c’est-à-dire les filiales des multinationales, dont les maisons-mères opèrent avec PwC dans le cadre du commissariat aux comptes, sera quasi automatique. « Pour des besoins d’image, ces grands comptes ont besoin de signatures internationales pour la validation de leurs comptes », souligne le dirigeant d’un cabinet d’audit. Une activité d’audit qui constitue en général l’essentiel des revenus générés.
« En revanche, sur les métiers de conseil juridique et fiscal, ces clients préfèrent souvent l’expertise locale », poursuit notre analyste. Une chance pour les différentes entités locales, orphelines de l’un des « Big Four », mais qui pourraient rapidement rebondir chez les acteurs du Top 10. Si elles ne se regroupent pas pour mettre un réseau en place.
Source: JeuneAfrique
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