Africa-Press – Benin. Si l’on connaît encore mal l’histoire génétique des populations du nord de l’Afrique, les recherches menées sur l’ADN ancien prélevé sur des sites préhistoriques du Maghreb révèlent progressivement des ancestralités que l’on ne pouvait jusqu’à présent que soupçonner. Une récente étude publiée dans la revue Nature nous apprend en effet que des individus ayant vécu pendant le néolithique en actuelle Tunisie comptaient parmi leurs ancêtres des chasseurs-cueilleurs européens, corroborant l’hypothèse de contacts par le biais de la Méditerranée.
Centrées sur le Maghreb oriental, les analyses dirigées par deux généticiens de renom, David Reich, de l’université de Harvard, et Ron Pinhasi, de l’université de Vienne, mettent également en évidence que contrairement au Maghreb occidental (l’actuel Maroc), où les agriculteurs européens sont venus s’établir au cours du néolithique, les populations vivant alors dans les régions correspondant aujourd’hui à l’Algérie et à la Tunisie ont résisté à ce nouvel apport et continué à vivre de chasse et de cueillette tout en adoptant le pastoralisme importé par des migrants venus du Proche-Orient.
Première preuve génétique d’un métissage entre chasseurs-cueilleurs européens et populations nord-africaines au mésolithique
Très parcimonieuses, les données génomiques issues d’Afrique du Nord sont jusqu’à présent principalement issues de sites préhistoriques datés du néolithique et situés dans la région occidentale du Maghreb, c’est-dire au Maroc. Des recherches précédentes ont déjà permis d’établir plusieurs ancestralités: l’une est locale, les autres résultent de deux apports migratoires. Sur le site d’Ifri n’Amr o’Moussa, des individus ayant vécu il y a environ 7000 ans « avaient des ancêtres issus d’un pool génétique ‘maghrébin’ liés à des individus du paléolithique supérieur beaucoup plus anciens (15000-14000 avant le présent) du site de Taforalt », indiquent les chercheurs dans la revue Nature.
Sur un autre site marocain, Kaf Taht el-Ghar, la majorité des ancêtres d’individus ayant vécu il y a environ 7200 ans étaient des agriculteurs européens ayant migré depuis l’Ibérie (Espagne et Portugal actuels). Un millénaire plus tard, il y a environ 6400 ans, les habitants du site de Skhirat-Rouazi descendaient en grande partie de pasteurs levantins, c’est-à-dire d’éleveurs venus du Proche-Orient. Ces trois composantes de l’ancestralité du Maghreb occidental néolithique se retrouvent chez les individus du site néolithique de Kehf el Baroud, datant de 5700 ans.
Emplacement des sites préhistoriques mentionnés, actuellement situés au Maroc, en Algérie et en Tunisie. TAF = Taforalt ; OUB = Ifri Ouberrid ; KTG = Kaf Taht el-Ghar ; IAM = Ifri n’Amr o’Moussa ; SKH = Skhirat-Rouazi ; KEB = Kehf el Baroud ; ABR =Afalou Bou Rhummel ; DEK = Doukanet el Khoutifa. Crédits: Lipson et al., 2025 / Springer Nature
Une néolithisation tardive dans l’est du Maghreb
Pour ce qui est des populations du Maghreb oriental (Algérie et Tunisie actuelles), les données culturelles laissent entendre que le processus de néolithisation, impliquant l’adoption de l’agriculture et l’élevage d’animaux domestiques, ne s’est produit que très tardivement. Les habitants ont continué à vivre selon le mode de subsistance antérieur et à pratiquer la chasse et la cueillette, « en se concentrant sur les mollusques terrestres, les grands herbivores (gazelles, girafes, rhinocéros, sangliers…) et les plantes sauvages », précisent les chercheurs, même si des animaux domestiqués, tels des caprins et, en moindre nombre, des bovins, apparaissent au cours du 5e millénaire avant notre ère.
Des ancestralités partiellement différentes entre Maghreb occidental et oriental
Comment expliquer cette différence par rapport au mode de subsistance des populations du Maghreb occidental? Autrement dit, les agriculteurs européens n’ont-ils pas gagné ces régions, ni transformé leur mode d’exploitation? Des études génomiques réalisées sur huit individus provenant de quatre sites préhistoriques de l’est du Maghreb (Afalou Bou Rhummel, en Algérie ; Djebba, Hergla et Doukanel el Khoutifa, en Tunisie) montrent en effet que les populations de la région présentent des ascendances partiellement différentes par rapport à celles des sites marocains.
Des chasseurs-cueilleurs seraient venus de Sicile jusqu’en Tunisie
Les individus les plus anciens sont certes génétiquement similaires aux groupes qui vivaient à la même époque au Maghreb occidental, ce qui signifie que l’ascendance dite maghrébine correspond à des groupes qui ont longtemps occupé une vaste région de l’Afrique du Nord. Mais dans les génomes de deux individus inhumés à Djebba, en Tunisie, les chercheurs ont détecté des « preuves de mélange avec des chasseurs-cueilleurs d’Europe occidentale ». Ils soupçonnent une voie d’arrivée par la Sicile, comme le démontrent diverses similitudes de part et d’autre de la Méditerranée.
Le développement vers 6500 avant notre ère de nouvelles techniques et la présence sur des sites maghrébins de matières premières jusqu’alors inconnues, comme l’obsidienne de Pantelleria – une île volcanique située entre la Tunisie et la Sicile –, signalent sans équivoque « une navigation extensive à travers le détroit de Sicile au cours de cette période ». La récente découverte de la présence de chasseurs-cueilleurs européens sur l’île de Malte, au large de la Sicile, va dans le même sens, et indique « des mouvements, au moins du nord au sud, et peut-être dans les deux sens », soulignent les chercheurs.
Les agriculteurs européens sont-ils aussi venus par la Sicile?
Si ces mouvements sont étonnants pour la fin du paléolithique, alors que l’on ne connaît pas encore la voile, ils le sont moins au néolithique. Ce qui explique l’arrivée des agriculteurs ibériques au Maghreb occidental. Mais cette ascendance d’agriculteurs européens est bien moindre (20% au maximum) dans la zone orientale qu’au Maroc, où elle peut atteindre 80%.
Elle est d’ailleurs surprenante au regard des preuves archéologiques, notent les chercheurs, car les fouilles n’ont documenté aucune poterie relevant de la culture néolithique ibérique (style cardial). Ce qui les amène à envisager que cette ascendance puisse non seulement s’être propagée depuis l’ouest du Maghreb, mais peut-être une nouvelle fois depuis la Sicile.
Proportions d’ascendance pour les groupes anciens déjà publiés du Maghreb ocidental et les groupes nouvellement analysés du Maghreb oriental. WHG = Chasseurs-cueilleurs d’Europe occidentale. Crédits: Lipson et al., 2025 / Springer Nature
Des migrants venus du Proche-Orient introduisent le pastoralisme
Quant à l’ascendance levantine, elle est présente plus tôt au Maghreb oriental (dès 4800 avant notre ère) qu’au Maroc (vers 4400 avant notre ère), ce qui confirme l’hypothèse selon laquelle les migrants du Proche-Orient ont traversé l’Afrique du Nord d’est en ouest, et ce, avant l’arrivée des agriculteurs européens. Ils ont donc été les premiers à introduire des animaux domestiqués, comme moutons et chèvres, dans le Nord de l’Afrique.
Une combinaison d’ascendances
Ces recherches démontrent combien la transition néolithique s’est produite de manière complètement différente en Europe et en Afrique du Nord. On rappelle que les Européens du néolithique descendent presque totalement de migrants venus d’Anatolie (l’actuelle Turquie) qui ont pratiquement évincé les chasseurs-cueilleurs locaux. En Afrique du Nord, les populations sont plus hétérogènes, puisqu’elles combinent trois, voire quatre ascendances. Dans le même temps, la partie orientale du Maghreb se caractérise par une plus grande stabilité de l’ascendance locale, qui a subsisté même après l’arrivée de plusieurs vagues migratoires et l’introduction de nouvelles techniques.
Pourquoi les lignées locales ont-elles mieux résisté à la néolithisation au Maghreb oriental?
Les chercheurs avancent deux causes probables pour expliquer cette « résistance » dans cette région marquée par un refroidissement vers 6200 avant notre ère: des conditions climatiques défavorables et un apport migratoire plus faible. Ainsi, « la région était moins propice à l’agriculture, qui ne s’y est développée que beaucoup plus tard, au cours du premier millénaire avant notre ère », analysent-ils, tout en calculant que « la taille plus importante des populations du Maghreb oriental, combinée au faible nombre de migrants, pourrait expliquer une dilution moins importante de l’ascendance locale qu’en Europe ou au Maghreb occidental ».
Par ailleurs, c’est la première fois que la génétique peut apporter la preuve de contacts précoces entre chasseurs-cueilleurs européens et populations nord-africaines, une hypothèse déjà avancée il y a plusieurs décennies par des anthropologues sur la base de la morphologie, et dont la possibilité a été récemment confirmée par la découverte d’une occupation humaine mésolithique sur l’île de Malte, jusqu’alors considérée comme vierge jusqu’au néolithique.
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