Restitution des œuvres : le « miracle » du pari culturel au Bénin

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Restitution des œuvres : le « miracle » du pari culturel au Bénin
Restitution des œuvres : le « miracle » du pari culturel au Bénin

Africa-Press – Benin. C’est historique ! Le dimanche 20 février 2022, les Béninois pourront se rendre au palais présidentiel de Cotonou, où seront exposés jusqu’en mai leurs trésors royaux, et admirer enfin les 26 œuvres restituées par la France au Bénin à la demande de son président, Patrice Talon, qui présidera au vernissage de l’exposition ce samedi. Les regalia ne sont pas au bout de leur voyage, puisque fin mai elles feront étape à la maison du fort portugais de Ouidah, avant de rejoindre leur destination finale à Abomey où un nouveau musée doit voir le jour. Mais elles sont revenues au pays des ancêtres, comme l’écrivait Felwine Sarr, coauteur du rapport demandé par Emmanuel Macron sur la restitution, (à lire ici), comme déjà le sabre d’El Hadj Oumar Tall est revenu au Sénégal.

Cet événement béninois s’assortit de la mise en lumière, dans le même lieu, de la création contemporaine, avec une exposition de 34 artistes, du disparu Cyprien Tokoudagba aux plus jeunes talents, y compris de la diaspora, tel Emo de Medeiros, sans oublier les piliers de l’art vivant du pays et au-delà des frontières que sont Romuald Hazoumè et Dominique Zinkpé pour ne citer qu’eux. Ce diptyque « de la restitution à la révélation » occupera 2 300 mètres carrés. Veillant non seulement à cette manifestation, mais, depuis de nombreuses années, au statut de l’art sur le continent africain, le directeur du programme « Musées » de l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme, historien et conservateur du patrimoine (il a fondé l’École du patrimoine africain), Alain Godonou, relate pour Le Point le destin des œuvres restituées et l’inscrit au sein d’une politique culturelle béninoise exceptionnellement engagée dans l’avenir économique du pays.

Le Point : Comment ont voyagé les 26 pièces restituées depuis la France jusqu’au palais présidentiel du Bénin ?
Alain Godonou : Le transport et le convoyage des œuvres d’art, qu’elles soient anciennes ou contemporaines, se font dans des conditions professionnelles et dans un cadre réglementé. Pour les 26 œuvres, il y a eu un accord entre les deux pays, le Bénin et la France, pour que le musée du Quai Branly-Jacques-Chirac s’occupe de ces questions en France, en conformité avec les pratiques françaises, et aussi du fait de la connaissance que les équipes avaient de ces collections qu’elles avaient en gestion. Concrètement : 10 caisses isothermes ont été spécialement commandées et conçues pour le convoyage de ces objets vers Cotonou. La mise en caisse des collections par l’équipe du Quai Branly au lendemain de la semaine béninoise s’est déroulée sous les yeux de deux collègues béninois qui ont séjourné dans ce musée pour participer à l’ensemble de l’opération de conditionnement. Les caisses sont parties de l’aéroport du Bourget le matin du 10 novembre dernier, transportées par un avion-cargo spécialement affrété par le Bénin. L’acte juridique de transfert au Bénin avait été signé la veille à l’Élysée à Paris par les ministres de la Culture en présence des deux présidents. Évidemment, un lieu spécial de stockage a été préparé, pour l’acclimatation de ces œuvres.

Étiez-vous devant un défi, face à l’antienne « le pays ne dispose pas des infrastructures muséales propices à la conservation et à l’exposition de ces pièces » ?
Bien sûr, c’est une vieille critique qui n’était pas sans fondement. Mais les réponses concrètes avaient commencé par être apportées avec la création en 1998 de l’EPA (École du patrimoine africain), dont le siège est à Porto-Novo, la capitale du Bénin. La question des infrastructures a aussi commencé à être réglée. Les pays africains se dotent peu à peu de nouveaux équipements muséaux aux standards internationaux ; c’est facile de le constater à Dakar, au Sénégal, et à Kinshasa, en République démocratique du Congo. Quant à nous, au Bénin, nous avons décidé d’investir massivement, à hauteur de 120 millions d’euros, dans la construction de quatre nouveaux grands musées thématiques, le Mime (musée international de la Mémoire et de l’Esclavage) qui sera inauguré à la fin de cette année à Ouidah, le MIV (musée international du Vodun) à Porto-Novo, le musée de l’Épopée des Amazones et des rois du Danhomè (Meard) à Abomey et, enfin, le MAAC (musée d’Art contemporain de Cotonou). Nous avons aussi engagé la réhabilitation des musées et site existants, avec la fin des premiers chantiers à Porto-Novo (réhabilitation du Measa, musée Alexandre-Sènou-Adandé et le musée Honmè) et Allada (place mémorielle Toussaint-Louverture et maison du patrimoine et du tourisme) avant la fin de cette année.

L’exposition qui s’ouvre le 20 février présente les trésors royaux d’Abomey, mais aussi des œuvres d’artistes contemporains : en quoi la restitution a-t-elle donné un « coup de pouce » à la « révélation » ?
Les imaginaires des artistes et plasticiens béninois contemporains sont imprégnés de l’épopée du royaume, des arts anciens, des images des trésors royaux qui ont circulé. Ils s’inspirent de la décoration des temples, mais aussi d’une figure comme celle de Legba, c’est-à-dire de cette culture immatérielle de la culture vodoun très présente dans le sud du pays. Même s’ils n’ont pu voir de près les œuvres restituées, leurs créations ont été nourries par les arts anciens béninois, et leur font miroir.

Dans quelle mesure le palais présidentiel est-il habituellement un lieu d’exposition pour le grand public béninois et quelles seront les conditions d’accès pour contempler les œuvres ?
La question du lieu d’exposition est toujours actuelle, pour un certain nombre de pays, comme notre grand voisin le Nigeria, pour le Cameroun aussi. Au Bénin, certains auraient voulu que ces œuvres aillent à l’ancien royaume Abomey du Danhomè. Au final, elles deviennent des œuvres à vocation nationale et non pas restituées à un groupe historique particulier, chefferie ou autre, ce qui créerait plus de zizanie qu’autre chose. Juridiquement et légalement, donc, ces œuvres restituées intègrent les collections nationales. C’est l’argent public, celui de l’État et non d’une communauté, et la restitution est le fruit d’une coopération bilatérale, d’État à État. Elles sont donc exposées pour la première fois dans le lieu qui représente la nation, le palais présidentiel. Il n’y a pas d’équivoque. C’est ainsi qu’à leur arrivée, en novembre dernier, les œuvres ont été accueillies à l’aéroport par les cavaliers bariba du nord du pays, et toutes les traditions royales du territoire béninois étaient symboliquement présentes, dont bien sûr celle d’Abomey avec ses danses. L’espace de l’exposition (2 300 mètres carrés) correspond à celui de la salle des fêtes, qui n’est certes pas un musée, mais équipée pour recevoir le peuple. Les trésors royaux occuperont 850 mètres carrés, avec une scénographie classique pour laquelle des vitrines ont été commandées. Concernant les conditions techniques, partie que j’ai dirigée, nous nous sommes assurés de la température, du taux d’humidité, et de la salinité de l’air, puisque le palais de la Marina se situe au bord de mer. Dès le 20 février, le palais sera ouvert au public les jeudi et vendredi à partir de 15 heures, et les week-ends de 10 heures à 18 heures. Jusqu’au terme de l’exposition fin mai, les personnes qui travaillent au palais adaptent leurs horaires et font la journée continue de 8 heures à 15 heures ; bien entendu, la sécurité est au rendez-vous, nous nous sommes d’ailleurs inspirés des dispositifs mis en place en France dans les lieux publics en fonctionnement durant les Journées du patrimoine.

En 2006, plusieurs pièces royales sont « prêtées » à la Fondation Zinsou pour une exposition au succès incontestable (275 000 visites). Cet événement a-t-il donné un coup d’accélérateur aux démarches de demande de restitution, et, à une autre échelle, le travail de retour des œuvres entamé par la galerie Vallois dans son petit musée de la Récade à Cotonou ?
La Fondation Zinsou est une initiative quasiment unique au niveau de l’Afrique, qui ne connaissait pas de fondation s’intéressant à ce point, avec de tels moyens et une telle structure, à l’art contemporain. Avoir une fondation de ce type, dans notre système béninois, qui a accueilli tant de grands artistes, a insufflé une dynamique à l’art contemporain africain. Et le fait que quelques pièces de la collection royale aient été exposées montrait la volonté de cette fondation de donner des garanties sur ses capacités. L’exposition a connu un succès populaire extraordinaire, elle est restée dans les mémoires. Avant elle, nous ne pouvions pas anticiper sur l’accueil de collections patrimoniales, on ne pouvait pas imaginer l’engouement populaire. Il s’est avéré que les Béninois d’aujourd’hui s’intéressent, et avec quelle fièvre, à ces objets-là ! Cela a permis de prendre conscience que, dans le subconscient des Béninois, il y avait des attentes de cette nature.

Une fois l’exposition terminée, les œuvres ne vont pas encore intégrer leur destination finale à Abomey, mais seront provisoirement accueillies à Ouidah : pourquoi n’avoir pas attendu l’ouverture du futur musée ?
Il faut bien comprendre la politique muséale actuelle du Bénin : mettre en place un équipement culturel de telle façon que la culture devienne un pilier de l’économie nationale. Des investissements massifs sont engagés, pour faire du pays une destination culturelle mondiale. Le Mime, dans le fort portugais de Ouidah, sera ouvert la fin de cette année et la partie d’exposition temporaire pourra accueillir les 26 œuvres. Et il faut comprendre que les Béninois soient impatients de les voir, ces œuvres ! La construction des autres musées s’échelonnera jusqu’en 2024. Il ne s’agit pas de coopération culturelle, mais d’outil de développement du pays. Accueillir des œuvres, c’est une chose, mais le but est aussi de faire circuler des collections d’autres pays, et les nôtres ailleurs, et non de les enterrer à Abomey. Nous travaillons à la mise en place d’une collection nationale : pour cela, nous avons d’ailleurs révisé la loi sur le patrimoine.

Où se trouvent les collections nationales de la République du Bénin et sont-elles accessibles au public ? Contiennent-elles des pièces de l’importance des 26 restituées, un exemple ?
Au musée d’Abomey actuel, dans les réserves, se trouvent des collections intéressantes, ainsi qu’au Musée ethnographique de Porto-Novo.

Dans votre mission de directeur de programmes des musées de l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme, et plus généralement au regard de votre carrière, comment considérez-vous cette étape de l’engagement du Bénin dans le secteur culturel ?
Ç’a été un moment unique. En tant que professionnels du monde de l’art, nous avons toujours souhaité que les politiques se mêlent de l’affaire. Pendant des années nous avons entendu des chefs d’État africains considérer que les hommes de culture retardaient le développement du continent ; au mieux, considérer la culture comme folklore… On avait du mal à convaincre que ce secteur puisse être une économie et générer des emplois. Nous donnions l’exemple de l’aura du Sénégal, et de Senghor, car ce qui l’a propulsé, c’est bien la culture. Alors je dois dire que, oui, c’est un miracle d’avoir un président qui, sans être un second Senghor, est un fin observateur. Il a compris la culture en tant qu’économie. Et que si notre pays n’avait ni pétrole ni diamant, il possédait une culture très vivante. D’ailleurs, Patrice Talon est un connaisseur, et même un collectionneur, et un amateur de spectacle vivant, on ne connaît pas bien cet aspect-là du président. Voilà quelqu’un qui sait à la fois compter et apprécier l’art. Un miracle, oui !

Au regard des neuf victimes du terrorisme la semaine dernière, au nord du pays, ne redoutez-vous pas que la sécurité soit un obstacle ?
Il s’agit d’une zone frontalière entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger. Ce qui s’est passé est plus lié à l’état de la situation dans cette zone sahélienne qu’à la situation au Bénin. Le droit de poursuite est toujours délicat entre États voisins… Les trois pays ont décidé maintenant de répondre ensemble. C’est très positif pour la sécurité des populations.

Le Bénin s’apprête-t-il à demander la restitution d’autres œuvres au Quai Branly ou ailleurs ?
Les prochaines étapes reposent sur cette dynamique de coopération internationale. Je tiens ainsi à dire que voir des agitateurs s’emparer des objets de leurs ancêtres dans les musées n’est pas concevable et que des individus qui se comportent de cette façon font essentiellement leur autopromotion médiatique. Nous sommes quant à nous dans la coopération, en réfléchissant à partir de nos investissements dans des musées thématiques cités plus haut ; liés à notre histoire, celle de la traite ; du vodun, des royautés. Nous recherchons dans les inventaires ce qui peut entrer dans ces équipements, et avons déjà établi une liste d’objets. Mais toute cette dynamique de coopération peut se conjuguer en dépôt à long terme, en circulation des œuvres, des expositions, pas forcément par la restitution. Cela dit le Dieu Gou du Louvre, actuellement en restauration, et qui se trouve au pavillon des Sessions, aurait sa place à Porto-Novo en notre futur musée vodoun. Et les reliques des Amazones, perdues dans les réserves des musées européens, sont les bienvenues dans les nôtres où elles sont religieusement attendues. Mais nous savons aussi qu’Emmanuel Macron travaille à ces questions compte tenu du principe d’inaliénabilité des collections en France. Reste que nous disposons aujourd’hui, avec l’École du patrimoine africain, de formation des cadres pour travailler dans ces équipements. Nous donnons les moyens à ces institutions de fonctionner correctement, dans le cadre d’un véritable écosystème touristique qui comprend des routes, des hôtels…

« Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui, de la restitution à la révélation. Trésors royaux et art contemporain du Bénin », jusqu’au 22 mai, palais de la Marina, Cotonou, Bénin.

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