Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Benin. Contrairement au Niger et à d’autres pays du Sahel africain, le Gabon, un pays situé plus au sud sur la côte atlantique, n’a pas eu à lutter auparavant contre des insurrections déstabilisatrices, mais le coup d’État qui y vient d’être perpétré, le 30 août 2023, ayant renversé le gouvernement Ali Bongo, semble bien être un autre signe de recul démocratique dans cette région déjà instable, et un message adressé comme mise en garde à de nombreux présidents africains qui souhaitent encore éterniser au pouvoir.
En effet, un groupe d’officiers supérieurs de l’armée gabonaise est apparu à la télévision tôt mercredi matin et a annoncé la prise du pouvoir peu après que la centrale électorale ait annoncé la victoire du président Ali Bongo dans la course à un troisième mandat.
Apparaissant sur la chaîne de télévision du pays, les officiers (des membres de la Garde républicaine, des soldats de l’armée régulière et des policiers), ont déclaré qu’ils représentaient toutes les forces de sécurité et de défense de ce pays d’Afrique centrale, annonçant de facto l’annulation des résultats des élections et la fermeture de toutes les frontières jusqu’à nouvel ordre, ainsi que la dissolution des institutions étatiques.
Il n’y a eu aucun commentaire immédiat de la part du gouvernement de l’État membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).
Aucune information n’a été exfiltrée dans l’immédiat sur le sort de Bongo.
Les putschistes confirment leur prise du pouvoir
Dans leur message adressé au peuple gabonais et à l’opinion publique nationale et internationale, les officiers se sont présentés comme membres du Comité de transition et de restauration institutionnelle, s’exprimant ainsi à travers l’un d’eux : « Au nom du peuple gabonais, nous avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime actuel ».
Les institutions de l’État dont ils ont annoncé la dissolution comprenaient évidemment :
• le Gouvernement,
• le Sénat,
• l’Assemblée nationale,
• la Cour constitutionnelle,
• et le Centre électoral.
Le Conseil militaire du Gabon, a annoncé également la nomination du général Brice Olegie Njema, le chef des putschistes, « Président de la période de transition ».
Toutefois, il importe de noter que la tension commençait déjà à prendre de l’ampleur au Gabon sur fond de craintes de troubles après les élections présidentielles, parlementaires et législatives organisées samedi, au cours desquelles Bongo cherchait à prolonger l’emprise de sa famille sur le pouvoir qui dure depuis 56 ans, tandis que l’opposition faisait pression pour le changement dans ce pays riche en pétrole, et même en huile et en cacao.
De même, l’absence d’observateurs internationaux, la suspension des émissions de certains médias étrangers et la décision des autorités de couper l’accès à Internet et d’imposer un couvre-feu nocturne dans tout le pays après les élections ont suscité des inquiétudes quant à la transparence du processus électoral.
Le coup d’Etat au Gabon perturbe la démocratie et diminue l’influence de la France en Afrique
L’armée a annoncé s’être emparée du pouvoir au Gabon, avoir pris le contrôle du palais présidentiel, et publié un décret qui annonçait la fermeture des frontières terrestres et aériennes et la dissolution des institutions.
Ce nouveau coup d’État militaire rejoint ainsi la série de coups d’État militaires similaires qui continuent de déferler sur l’Afrique après le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ce qui confirme indiscutablement le déclin de l’influence française dans la région.
La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale est restée silencieuse, tandis que la CEMAC a réagi avec un communiqué officiel signé par son président en exercice, Faustin Archange Touadéra, dans lequel la CEMAC a appelé « au respect de l’intégrité physique du Président Ali Bongo et un retour à l’ordre constitutionnel »
Idem pour le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union Africaine, lequel a « condamné fermement la prise de pouvoir par les militaires en République du Gabon », et a décidé « de suspendre, immédiatement, la participation du Gabon de toutes les activités de l’UA, de ses organes et institutions ».
Fin de la « dynastie Bongo » : Les « Bongo », père et fils, étaient au pouvoir depuis 1967
Ali Bongo, qui briguait un troisième mandat, réduit de 7 à 5 ans, aux élections organisées le samedi 26 août et qui regroupaient à la fois trois scrutins, présidentiel, législatifs et municipaux, n’aura donc pas survécu à sa réélection, lui qui est arrivé au pouvoir en 2009, suite à la mort de son père qui a régné durant 40 ans.
Les observateurs et experts des affaires africaines, se disent préoccupés par « cette contagion inquiétante », ajoutant que « ceci nuisait énormément à la démocratie », mais soulèvent également la question de l’influence de la France en Afrique car ces coups d’État se produisent essentiellement « dans d’anciennes colonies françaises ».
Les mêmes sources ont souligné que : « Le Gabon était un allié économique par le biais du pétrole », et « si le pays est ébranlé, c’est un nouveau revers pour la France et son influence en Afrique », notant également qu’il y a une présence permanente d’environ 350 militaires français en Gabon.
Ces spécialistes considèrent également que les restrictions imposées par le gouvernement après les élections présidentielles « ont conduit à une montée des tensions » à l’intérieur du pays, notamment avec « la suspension d’Internet et le couvre-feu », soulignant que « l’opposition soupçonnait déjà que le gouvernement voulait annuler le résultat des élections présidentielles ».
Comment l’armée contrôlera les autres leviers du pouvoir et s’il y aura une résistance de la part des loyalistes ?
Jusqu’à l’heure actuelle, on peut dire que la situation n’est pas trop alarmante, car les Gabonais ne sont pas descendus dans la rue pour défendre ce régime, que la plupart jugeait « impopulaire ».
Dans le même contexte, Albert Ondo Ossa, le principal opposant et ancien ministre de l’Enseignement supérieur d’Omar Bongo Ondimba, avait dénoncé « la fraude orchestrée par le camp Bongo » deux heures avant la clôture du scrutin samedi et proclamait déjà sa victoire. Son camp a exhorté lundi Bongo à « organiser une passation du pouvoir sans effusion de sang » sur la base du dépouillement effectué par ses scrutateurs, mais sans fournir aucun document justificatif.
Retour sur la crise de la famille politique gabonaise
Le coup d’État survenu au Gabon peut exprimer, dans son indication directe, « un état de mécontentement général » face à la fraude électorale en faveur de la famille Bongo. Peu avant l’annonce du coup d’État, la Commission électorale a annoncé la victoire de Bongo aux élections générales avec 64,27 % des voix et a déclaré que son principal rival, notamment l’opposant Albert Ondo Osa, n’avait obtenu que 30,77 % des voix.
En fait, le dernier coup d’État reflète le manque de réalisme de la politique gabonaise, sachant que lorsque Omar Bongo accéda au pouvoir en 1967, il n’avait encore que 31 ans. Dans la période postcoloniale, une grande partie de l’Afrique de l’Ouest traverse des conflits ou des coups d’État successifs. Sa famille entretenait des relations solides avec la France, l’ancienne puissance coloniale, et il avait maintenu une ferme emprise sur le pouvoir en concentrant les richesses naturelles du pays sous son contrôle, en investissant une partie dans de grands projets d’infrastructures, tout en « rachetant des opposants politiques » pour s’assurer des mandats successifs.
Bongo père avait réussi à perpétuer un modèle politique dynastique en conservant le pouvoir, un pouvoir qui fût transmis à Ali Bongo, son fils, d’une manière où d’une autre.
Ainsi, la famille politique gabonaise affirme être confrontée à une élite familiale autocratique qui dirige le pays comme une affaire de famille depuis plus d’un demi-siècle. Il n’est pas surprenant que les gens se soient réjouis et aient annoncé qu’ils étaient à nouveau libérés de la domination familiale qui gérait leurs affaires contre leur gré.
A noter que le dilemme de la famille politique au Gabon est incarné par ce qu’on désignait comme « la Bande des Sept », arrêtée par les putschistes, car elle constitue un groupe de conseillers proches et influents du chef de l’État depuis le retour de Bongo d’un long séjour de convalescence après avoir subi un accident vasculaire cérébral en 2018. Ce noyau étroit était généralement appelé la « Jeune Garde », et l’opposition et la société civile les ont généralement décrits comme étant devenus les véritables dirigeants du pays car, selon eux, Ali Bongo était très affaibli en raison des séquelles de l’AVC.
Implications en matière de sécurité
On est en droit d’affirmer que le retour de l’ère des coups d’État dans la région du Sahel est devenu très clair sur la scène politique et sécuritaire de la région. Le Gabon rejoint désormais six pays qui ont récemment subi des coups d’État, mais la montée des groupes extrémistes et les conflits civils, comme le conflit au Mali ou Boko Haram au Nigeria, tendent à alimenter ces événements. Des conflits sont en cours en République centrafricaine et l’on craint que les problèmes de pays comme le Mali ne se propagent au sud, au Ghana par exemple et à d’autres pays. Aujourd’hui, le Gabon, allié de la France, pourrait rejoindre le Niger, qui était également un allié important de la France et des États-Unis, et organiser des opérations contre les extrémistes du Niger et du bassin du lac Tchad. Il est probable que tout cela soit terminé. La politique russe veut s’attaquer au Niger, et d’autres pays de la région s’opposent à l’influence française et occidentale en général.
L’ensemble de la région du Sahel, qui revêt une importance stratégique et historique et représente un concept de sécurité très complexe et empêtré, est aujourd’hui dans un état d’incertitude et d’instabilité. Cela signifie que des groupes tels qu’Al-Qaïda, Boko Haram et d’autres peuvent se développer et s’établir. Le rôle des organisations régionales et continentales telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) semblera faible si elles sont incapables de soutenir les autres pays qui n’ont pas été témoins de coups d’État.
À la lumière de la vague croissante de colère populaire contre la présence française et occidentale, le discours populiste adopté par les régimes militaires en Afrique de l’Ouest a gagné en légitimité aux yeux des masses, qui ont le sentiment de vivre dans une nouvelle phase de libération et émancipation politique.
Implications géopolitiques
Quelle que soit l’issue du coup d’État au Gabon, et avant lui au Niger, on se sent confronté à une sorte de phénomène de réingénierie géopolitique de la région à travers la formulation d’alliances régionales et internationales.
La région pourrait être témoin des signes d’une nouvelle guerre froide, alors que la Chine et la Russie tentent de combler le vide sécuritaire laissé par le départ des forces françaises et occidentales. Par exemple, des pays comme le Mali, l’Afrique centrale et le Burkina Faso entretiennent des liens de sécurité étroits avec la Russie via le Groupe Wagner. L’absence du leader du groupe, Evgueni Prigojine, mort dans le crash de son avion la semaine dernière, ne devrait pas affecter ces liens. En conséquence, les Européens et les États-Unis doivent prendre des décisions décisives concernant leur sécurité et leurs intérêts stratégiques sur le continent africain.
Outre cela, le coup d’État au Gabon, qui fait suite à une série de coups d’État militaires en Afrique centrale et occidentale, confirme le dilemme des politiques occidentales, avec au cœur la politique française, dans la région.
Il existe un sentiment général de frustration et de ressentiment dans nombre de ces pays face au maintien de l’influence française, en particulier parmi les jeunes populations urbaines. La France entretenait des bases militaires dans toutes ses anciennes colonies et, au plus fort de son influence, stationnait 5.500 soldats dans ces pays. Jusqu’à l’année dernière, elle menait une opération d’une durée de dix ans pour lutter contre les actes meurtriers que commettaient les groupes armés au Niger, au Mali, au Burkina Faso, au Tchad et en Mauritanie.
Certains ont avancé qu’il s’agissait là d’une indication de l’influence continue de l’ancienne puissance coloniale, tandis que d’autres ont soutenu que l’opération militaire contre ces groupes terroristes n’avait pas abouti et que la France poursuivait d’autres objectifs.
Cependant, le danger réside ici dans le fait que le succès d’un coup d’État militaire pousse souvent un groupe militaire d’un pays voisin à mener un autre coup d’État, ce que nous appelons le phénomène de « contagion du coup d’État ». Après tout, l’Afrique, et en particulier certaines régions comme l’Afrique de l’Ouest, ont un fort sentiment d’identité collective, de sorte que les tendances militaristes révolutionnaires contre l’influence occidentale en général peuvent se propager plus facilement à travers le continent.
Peut-être que cela pourrait conduire à des transformations sécuritaires et géopolitiques généralisées.
Drôle d’anecdote ou d’histoire de famille…derrière le coup d’Etat ?
Pour terminer ce dossier, nous avons voulu relater ici la drôle d’histoire qui commence à prendre de l’ampleur autour de « qui est le cerveau de ce coup d’Etat au Gabon ! », et qui pourrait bien s’avérer « véridique », sait-on jamais.
Il semble que Brice Olegie Njema, celui qui était chargé de la protection du chef d’État gabonais, Ali Bongo, et qui a pris le pouvoir, « ne serait pas le cerveau du coup de force ».
Selon cette « anecdote », Pascaline Bongo, la fille ainée du président disparu Omar Bongo, donc sœur du président déchu Ali Bongo, serait derrière le coup d’État, comme l’aurait déclaré le principal opposant de Bongo, Albert Ondo Ossa : « La situation actuelle dans le pays est à mettre dans son contexte. Il ne faut pas que les Gabonais se trompent. Il n’y a pas de coup d’État militaire. Mais c’est une révolution de Palais. C’est Pascaline Bongo qui est derrière. C’est une révolution de palais »
Photo de famille des Bongo où l’on voit l’ex président Omar et derrière lui son fils Ali Bongo et Pascaline (à droite)
On croit savoir que Pascaline occupait le poste de Haute Représentante Personnelle de son frère de Président, et fût également ministre déléguée aux Affaires étrangères, puis directrice de cabinet de son père, avant de se voir écartée du cercle familial, en se faisant remercier par son frère.
Albert Ondo Ossa a ajouté que la junte militaire au pouvoir au Gabon n’a pas réellement participé à un coup d’État, mais plutôt à une « révolution de palais », afin que la famille Bongo puisse garder le pouvoir, sachant qu’elle dirigeait le Gabon depuis prés 60 ans.
Il considère que la famille Bongo au pouvoir a décidé de mettre Ali Bongo de côté et de poursuivre son régime à travers une façade appelée coup d’État, soulignant à ce sujet que : « Les Gabonais sont descendus dans la rue la nuit pour célébrer le départ de Bongo, mais je dis que la famille Bongo n’est pas partie, car l’un d’eux a pris le pouvoir à l’autre ».
Pour lui, le coup d’État militaire n’était qu’une pièce de théâtre menée en secret par des membres de la famille Bongo, en application de la célèbre théorie du complot.
Certes, la junte n’a pas beaucoup clarifié ses projets actuels après avoir mis fin au règne de la dynastie Bongo, c’est pourquoi l’opposition a exigé qu’elle remette le pouvoir aux civils.
Pour ainsi dire, selon cette histoire, il s’agirait d’un limogeage qui a mal passé, car l’opposition l’accuse de tirer les ficelles du coup d’État contre Ali Bongo.
Appui médiatique : Vidéo d’ALI BONGO
Ali Bongo a appelé à l’aide tout en s’interrogeant sur le sort réservé à sa femme et son fils. Le Président déchu a confié dans cette séquence : « Je suis Ali Bongo Ondimba, Président du Gabon. J’adresse un message à tous les amis que nous avons dans le monde pour les inviter à faire du bruit (…) Mon fils est quelque part, ma femme, ailleurs, et moi, je suis à la résidence. Actuellement, je suis à la résidence et rien ne se passe. Je ne sais pas ce qui se passe. Donc, je vous demande de faire réellement du bruit. Je vous remercie ».
Vidéo : https://www.facebook.com/watch/?extid=NS-UNK-UNK-UNK-IOS_GK0T-GK1C&mibextid=2Rb1fB&v=1008082543946225
Néanmoins, les militaires au pouvoir n’ont pas manqué d’évoquer le sort réservé au Président déchu, et ont tenté de d’être rassurants : « C’est un chef d’Etat gabonais. Il est mis à la retraite, il jouit de tous ses droits. C’est un Gabonais normal, comme tout le monde ».
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