L’Afrique dans l’édition 2024 du rapport annuel de l’institut “ELCANO”

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L’Afrique dans l’édition 2024 du rapport annuel de l’institut
L’Afrique dans l’édition 2024 du rapport annuel de l’institut "ELCANO"

Mustapha OUARAB

Africa-Press – Benin. Dans la dernière édition de son rapport annuel, intitulée “l’Espagne dans le monde en 2024: perspectives et défis “, le célébrissime Institut Royal Espagnol (ELCANO) apporte son lot de prévisions concernant l’Afrique pour la nouvelle année. Une lecture pas des plus optimistes pour le continent.

Depuis 12 ans déjà, c’est devenu une tradition pour l’Institut Royal Espagnol d’études stratégiques (ELCANO) d’éditer un rapport durant le premier mois de l’année, où des experts de tous bords de l’institut dressent les perspectives sur les questions relatives à la politique étrangère de l’Espagne pour l’année entrante.

L’institut joui d’une influence et une crédibilité reconnues parmi les sphères des affaires étrangères, mais aussi de la défense en Espagne.

Et si dans l’édition de l’année 2023, le fameux rapport ELCANO mettait en exergue la guerre en Ukraine et ses impacts sur la politique étrangère Espagnole, l’édition 2024 met davantage l’accent sur la guerre sur Gaza (qu’il qualifie de “guerre entre le Hamas et Israël”. Guerre qui défrayera la chronique durant l’année en cours, non seulement au niveau du Proche-Orient, mais également de l’Afrique.

Répercussions de la guerre sur Gaza

La guerre menée par Israël à Gaza n’est plus un conflit régional, avec l’implication d’autres acteurs régionaux et internationaux. Elle prend par conséquent de plus en plus d’ampleur, et ses répercussions sont loin d’épargner le Maghreb et tout le continent Africain.

Les experts Espagnols soulignent dans leur rapport que la prolongation de la guerre à Gaza pourrait entraîner l’ouverture de nouveaux fronts au Sud du Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen. Israël pourrait donc provoquer un transfert forcé de la population Palestinienne vers l’Égypte voisine de Gaza. De plus, la Jordanie pourrait rompre le traité de paix conclu avec Israël depuis 1994, avec toutes les conséquences graves que cela pourrait engendrer.

Le rapport voit donc sous un œil pessimiste la prolongation de cette guerre commencée le 7 octobre dernier, jusqu’au milieu de l’année 2024. «Les niveaux de destruction sont si élevés que l’Égypte autorise l’entrée massive de femmes et d’enfants palestiniens dans le Sinaï. Les manifestations de masse reviennent dans plusieurs pays arabes, y compris au Maghreb, où l’Occident pourrait être perçu comme complice d’un prétendu génocide contre les Palestiniens. Ils (ces pays) mélangent rejet de la politique israélienne, frustration face à l’impuissance de ses propres dirigeants et malaise face aux difficultés économiques aggravées par l’inflation et la crise de la dette».

Effet attendu ̶ selon le rapport ̶ à cette guerre atroce «des attaques terroristes contre les intérêts occidentaux se produiront en 2024, et les tensions liées à la guerre à Gaza éloignent les pays occidentaux du reste du monde».

Par ailleurs, l’Institut observe que l’année 2024 marquera une période de grande volatilité dans le voisinage sud de l’Espagne. La stabilité au Moyen-Orient et au Maghreb est confrontée à une série de défis qui se superposent, constituant une conjoncture inédite depuis des décennies, souligne la même source. Plusieurs scénarios plausibles sont envisageables, mettant sérieusement en péril la paix et la sécurité internationales.

Menace de déstabilisation du Maghreb

Le rapport de l’institut ELCANO exprime ̶ par ailleurs ̶ des inquiétudes quant à une possible déstabilisation du Maghreb, en raison de l’escalade des tensions entre l’Algérie et le Maroc. Selon le rapport, parmi les signes avant-coureurs qui avertissent sur un éventuel regain de tension, le fait qu’il n’y a aucun signe d’apaisement entre les deux grands pays du Maghreb, avec des relations diplomatiques toujours rompues depuis août 2021. Le think-tank Espagnol pointe aussi du doigt la course à l’armement qui augmente le risque d’incidents, intentionnels ou accidentels, entre les deux nations.

Il est à rappeler dans ce sens, que dans une conjoncture géopolitique régionale des plus compliquées et des relations de voisinage pour le moins tendues, le Maroc a relevé le budget de la défense pour le porter à 12,1 milliards de dollars (124 milliards de dirhams) pour les exercices 2024-2025 dans le cadre du projet de loi de finances 2024. C’est un record absolu, sachant qu’il y a peu d’année le budget alloué par le royaume à la défense était de quelques 4 milliards de dollars seulement.

L’Algérie consacre pour sa part un budget colossal de défense de 21,6 milliards de dollars en 2024. C’est le pays qui dépense le plus en matière de défense en Afrique et le troisième dans le monde arabe.

Dans cette perspective, les experts de l’institut ELCANO met en avant cette course aux armements qui accroît le risque d’incidents ou de confrontations délibérées.

Il reste à noter toutefois, que ce n’est pas la première fois que l’édition annuelle du rapport de l’institut émet de telles mises en garde sur une possible déstabilisation militaire du Maghreb. Les précédentes éditions sur les perspectives pour les années 2022 et 2023 avaient aussi mis en garde sur un éventuel affrontement armé entre les deux pays frères-ennemis.

Évoquant l’accord de pêche entre le Maroc et l’UE, le rapport de l’institut Espagnol souligne la nécessité d’attendre la décision en appel de la Cour de justice de l’UE. Il précise également que cette situation pourrait engendrer des perturbations dans les relations euro-marocaines si les verdicts des deux instances, invalidant ces accords en raison de l’intégration des ressources du Sahara, venaient à être confirmés.

En conclusion, «En 2024, le voisinage sud de l’Espagne sera caractérisé par un degré élevé de volatilité. La stabilité du Moyen-Orient et du Maghreb est confrontée à une accumulation de défis qui se chevauchent et qui ne se sont pas produits depuis des décennies. Il existe de nombreux scénarios plausibles dans lesquels la paix et la sécurité internationales pourraient être sérieusement compromises. Les trois principaux risques proviennent de l’extension géographique du conflit armé à Gaza à d’autres scénarios régionaux, de la déstabilisation interne des pays de la région et de l’aggravation des crises économiques avec les conséquences sociales et politiques qui en résultent. Le gouvernement espagnol est conscient de ces risques et a essayé de le faire comprendre au reste des partenaires européens, même si tous n’ont pas été réceptifs. Il est nécessaire de continuer à rechercher un consensus au sein de l’UE pour éviter des maux plus graves dans son voisinage méridional qui finissent par l’affecter pleinement», avertit le rapport.

“Désoccidentalisation” de l’Afrique

Les analystes de l’Institut mettent en garde ̶ dans leur rapport ̶ contre l’impact négatif qu’une instabilité accrue dans la région du Maghreb aurait pour l’Espagne et pour l’Union européenne, exacerbant la fragilité et la situation déjà volatile dans les pays du Sahel. «Une déstabilisation majeure au Maghreb serait une mauvaise nouvelle pour l’Espagne et l’UE, s’ajoutant à la fragilité croissante et aux nombreux coups d’État dans les pays du Sahel. L’Espagne doit mobiliser tous les canaux possibles pour éviter les scénarios les plus négatifs et se préparer au cas où ils se concrétiseraient».

«La tension qui augmente au Moyen-Orient n’épargnera personne dans les pays de la région, et l’hostilité régionale contre les gouvernements qui soutiennent Israël s’étendra aux pays et sociétés africains. Le terrorisme djihadiste tirera profit de la situation pour se renforcer au Moyen-Orient et se développer sur le territoire africain, sans pour autant déboucher sur une insurrection armée», prédit le rapport.

Et d’ajouter: «La situation d’instabilité dans les régions Sud et Est de la Méditerranée présente de nouvelles sources de déstabilisation à compter de 2023, notamment le Sahel et Gaza. Ces éléments accentueront l’éloignement entre les acteurs locaux (Africains) et les intervenants européens et occidentaux, tout en contribuant à l’expansion du terrorisme en Afrique».

Dans ce sens, le rapport prédit un scénario selon lequel «le terrorisme djihadiste profitera de la situation pour se renforcer au Moyen-Orient et se développer sur le territoire africain, sans pour autant déboucher sur une insurrection armée».

Le nœud du problème pour les Européens étant le flux de migrants en général, et Africains en particulier, le rapport fait un lien direct entre la prolifération du “terrorisme djihadiste” et l’immigration. Il en tire conclusion que «malgré l’approbation du Pacte sur la migration et l’asile, sa mise en œuvre est rare, faible et conflictuelle. La déstabilisation dans les pays d’origine accélère les flux migratoires et certains d’entre eux suspendent leurs accords de rapatriement avec les États européens, augmentant la pression migratoire vers l’Europe et les tensions sur le partage des charges».

Selon les analystes de l’institut Espagnol, les conséquences du contexte actuel ne se limiteront pas à cela seulement. En 2024, «Les régimes autoritaires africains profiteront de l’environnement hostile pour réduire la présence et l’influence occidentales en Afrique».

Qui de l’économie?

Côté économie, le rapport ne voit pas d’un œil optimiste la situation dans notre continent et dans le monde, surtout pour les pays défavorisés en ressources. «Le ralentissement léger mais persistant dans lequel l’économie mondiale est plongée depuis deux ans ne permet pas d’envisager avec optimisme une année 2024, où l’on s’attend à des politiques monétaires et fiscales restrictives».

Ces politiques «entraîneraient une hausse des prix de l’énergie et des perturbations majeures dans les échanges commerciaux (depuis les produits alimentaires jusqu’aux semi-conducteurs), voire potentiellement une récession mondiale». Et d’enchainer que «de même, si l’inflation s’accélérait et si les banques centrales étaient contraintes d’augmenter encore les taux d’intérêt, si les problèmes des banques américaines et les problèmes de défaut des pays émergents réapparaissaient ou si la zone euro était contrainte de se tourner vers l’austérité en raison d’une réforme des règles budgétaires trop étroite, la croissance serait également sérieusement endommagée».

Selon les experts d’ELCANO, «Les trois principaux risques découlent de l’extension géographique du conflit armé à Gaza à d’autres zones régionales, de la déstabilisation interne des pays de la région et de l’aggravation des crises économiques entraînant des répercussions sociales et politiques significatives».

Vu que les conflits internationaux s’intensifient, avec un effet économique négatif (y compris sur les chaînes d’approvisionnement) et un frein aux échanges dans la sphère « douce ». Les restrictions commerciales entre puissances et blocs augmentent. Les agendas nationaux sont priorisés, au détriment du système multilatéral. Tout cela conduit à une dégradation globale des indicateurs de développement humain.

Ce scénario alarmant mènerait à prévoir que «la croissance va chuter durant l’année en cours, dans les régions présentant un intérêt particulier», parmi lesquelles le rapport cite les pays du Maghreb.

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