Le Japon « redimensionne » sa part de gâteau en Afrique au sein de la concurrence des puissances internationales

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Le Japon « redimensionne » sa part de gâteau en Afrique au sein de la concurrence des puissances internationales
Le Japon « redimensionne » sa part de gâteau en Afrique au sein de la concurrence des puissances internationales

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Benin. A l’instar de toutes les puissances internationales qui ont mis pied à terre sur le Continent africain, où déjà la Chine, les États-Unis et la Russie se font concurrence en Afrique, hormis la France et ses partenaires européens, d’une manière qui rappelle les rivalités de la guerre froide sur le continent, le pays du Soleil Levant est entré également dans l’arène de la concurrence africaine, à travers une « grande porte », notamment la 8ème Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD8), qui a été organisée dernièrement en Tunisie.

Le Japon entretient avec l’Afrique des relations anciennes. Il a été présent sur le continent durant la colonisation et, après une interruption due à la 2ème guerre mondial, Il a réactivé ces liens dès les années 1960. Seconde puissance économique mondiale, le Japon a été et, dans une certaine mesure, demeure l’un des plus importants fournisseurs d’aide à l’Afrique, et il a joué un rôle moteur dans la diversification des partenaires du continent après l’effondrement du bloc communiste.

Force est donc de constater que, pendant la période précoloniale, les relations entre le Japon et l’Afrique, bien qu’anciennes, furent plutôt faibles et décousues. Le Japon, qui ne prit pas part au dépeçage de l’Afrique, s’y infiltra quand même de façon discrète à la faveur de l’irruption et de l’installation des Européens tant pendant la période coloniale que dans les années qui suivirent.

Cependant, la crise économique qui a durement frappé l’archipel dans les années 1990 lui a fait baisser la garde, à un moment où d’autres puissances régionales se développaient rapidement. Le Japon a ainsi vu ses positions concurrencées par d’autres pays tels que la Chine, Taiwan, l’Inde ou la Malaisie.

Conscient d’avoir perdu du terrain et voyant son rang de deuxième puissance économique mondiale menacé par la Chine, le Japon tente depuis quelques années de remobiliser toute son énergie en direction de l’Afrique, en se basant sur les opportunités offertes par les conférences TICAD.

D’ailleurs, certains voient le Japon et d’autres grands pays asiatiques comme des alternatives potentielles à la Chine en tant que partenaires en Afrique. Avec le lancement de la TICAD en 1993, le Japon a été ainsi le deuxième pays, après la France, à établir mettre en place un mécanisme officiel de coopération avec tous les pays d’Afrique.

De Shinzo Abe à Fumio Kishida

Le regretté Shinzo Abe (à gauche) et Fumio Kishida (à droite)

Alors que le Japon fût endeuillé par l’assassinat de son ancien Premier ministre Shinzo Abe, qui a aidé à construire un nouvel héritage japonais en Afrique, le Premier ministre sortant Fumio Kishida semble déterminé à poursuivre le travail de son prédécesseur alors qu’il approche d’une année complète au pouvoir. Sous la direction d’Abe, la coopération du Japon est passée de l’aide à l’investissement commercial dans le secteur privé, tandis que Kishida vise à faire avancer les deux objectifs en créant un accord public-privé de trois ans, avec un investissement de 30 milliards de dollars, annoncé lors de la conférence TICAD8.

En effet, les résultats de la Conférence internationale de Tokyo (TICAD8), qui s’est tenue à Tunis, les 27 et 28 Août dernier, en présence d’une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement africains et de 5.000 participants, traduisent l’ambition claire du Japon de se différencier de la Chine.

La conférence a tenu un certain nombre de sous-sessions sur des questions allant de la lutte contre la désertification et la transformation numérique aux questions agricoles, reflétant la taille et la force technique du Japon, et les réunions, tant au niveau ministériel qu’au niveau du sommet lui-même, se sont concentrées sur les plus importants pays en Afrique de l’Ouest et de l’Est et dans la région du Sahel.

Investissements déjà réalisés

TICAD7 qui s’est tenue du 28 au 30 août 2019, à Yokohama au Japon

Le volume des investissements japonais est peut-être bien inférieur à l’initiative chinoise d’infrastructure « Belt and Road » (La Ceinture et la Route), mais il est clair que le Japon veut se positionner comme un partenaire majeur.

A noter que lors du discours de clôture de la conférence, Kishida a appelé à un siège africain permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et a déclaré que son pays œuvrerait dans cette optique lorsqu’il deviendrait membre non permanent entre 2023 et 2024. Le Japon peut faire la différence avec le rôle central de son secteur privé fort dans les domaines de la coopération Japon-Afrique, avec des géants tels que Toyota Tsusho, Rakuten, Sony, Nippon Steel et Ajinomoto, qui dirigeront et ouvriront la voie au Japon.

On relève d’ailleurs que le nombre d’entreprises japonaises opérant sur la scène africaine est passé de 169 en 2013 à 259 en 2019, travaillant dans les domaines de l’innovation, et où ces entreprises obtiennent un net avantage par rapport à la Chine, qui est plutôt axée le plus sur les infrastructures.

C’est pourquoi, dans l’objectif de couronner cette politique, l’Agence japonaise de coopération internationale a mis en place le programme « Innover l’avenir avec le Japon » afin de créer davantage d’opportunités d’investissement, d’innovation et de création d’entreprises, ce qui permettrait à l’Afrique de pouvoir tirer les leçons de l’expérience du Japon en tant que propriétaire de la plus longue histoire dans la vie des entreprises.

En effet, le Japon compte 33.000 entreprises centenaires qui peuvent aider les startups en Afrique, qui ont un besoin urgent du soutien du Japon dans les domaines de la durabilité et de la mise à l’échelle des entreprises.

Force et capacités japonaises

Le Japon classé 3ème puissance économique mondiale

Il importe de reconnaître que le Japon a tellement d’atouts qu’il a raison de relever le plafond de ses ambitions en Afrique. Le Japon étant devenu une puissance mondiale dans le domaine de l’économie, peut donc bénéficier de ses énormes atouts en Afrique, surtout que la relation entre les deux parties n’est pas d’aujourd’hui, puisqu’un Yasuke d’origine africaine du Mozambique était arrivé comme esclave au Japon au début du XVIe siècle, avant qu’il ne devienne le premier samouraï étranger dans le pays, et historiquement, l’implication du Japon dans les affaires mondiales était limitée par sa géographie isolée dans la période entre les XVIIe et XIXe siècles.

Au jour d’aujourd’hui, il n’y a que douze mille Africains au Japon, contre environ 11 millions en Europe, cinq millions au Moyen-Orient, plus de trois millions en Amérique du Nord et environ un demi-million en Chine.

Par ailleurs, le Japon a également des avantages uniques en Afrique, ce n’est ni un ancien empire colonial ni une puissance mondiale aux vues hégémoniques, et ceci lui donne la liberté d’explorer différents domaines de coopération et de construire une relation innovante avec les nouvelles générations.

Toutefois, en tant que troisième plus grande économie du monde, le pays du Soleil Levant peut tirer parti de sa puissance manufacturière dans les domaines du transport, de la fabrication d’équipements électroniques et de l’acier pour le développement des infrastructures, ainsi que de sa puissance douce dans les arts traditionnels, les sciences culinaires, les sports, les industries créatives, l’aérospatiale, les jeux, la science et la technologie.

Parmi les objectifs japonais avec l’Afrique

Le Japon en quête de main-d’œuvre africaine pour combler son déficit en travailleurs

Le Japon et l’Afrique se complètent également de manière à aider ce pays d’Asie de l’Est à atteindre ses objectifs nationaux. Alors que les efforts du Japon pour moderniser son économie et passer à une économie à faibles émissions de carbone se heurtent à de nombreux défis, c’est le pays le plus endetté au monde en termes de dette intérieure à 234% du PIB, ayant la plus forte proportion de la population totale âgée de plus de 65 ans, sachant que la diminution de l’effectif de la main-d’œuvre en âge de travailler crée une société pyramidale qui entrave la croissance économique.

Selon les statistiques gouvernementales, les entreprises offrent 129 emplois pour 100 demandeurs d’emploi au Japon, tandis que l’Afrique a les proportions de jeunes en âge de travailler qui augmentent le plus rapidement, en plus de plusieurs des économies les plus dynamiques au monde également, donc l’Afrique peut contribuer à combler cet écart en matière d’emploi et à injecter de la force dans l’économie japonaise.

Quand le pays du Soleil Levant investit dans les relations humaines

Dans ce contexte, la démographie africaine peut être enracinée dans la relation nippo-africaine, surtout lorsque les taux d’éducation et de formation sur le continent augmentent et que le niveau de pauvreté diminue.

En ouvrant donc les frontières avec l’Afrique, le Japon peut développer des relations bénéfiques entre les deux peuples et trouver des solutions aux défis des faibles taux de production et des taux élevés de vieillissement de la population au Japon. Les Africains qui ont grandi en connaissant en moyenne quatre langues sur un continent qui compte des milliers de dialectes, ont été largement exposés au chinois mandarin dans leurs classes avec l’influence chinoise croissante sur le continent, mais en comparaison, seuls 13.000 Africains ont appris le japonais jusqu’à 2018. Ensuite, il sera possible d’atteindre un réveil culturel sur le continent avec plus de connaissances et de compréhension.

Transfert de technologie

On doit savoir entre-autres que le Japon se classe au troisième rang mondial dans le domaine des TIC avec une part de marché de 6,4 %, et fait de gros paris sur les réseaux 5G, le cloud computing et l’edge computing.

Cependant, la technologie ne résoudra pas à elle seule les dilemmes sociaux qui entravent la croissance inclusive. En 2016, le Conseil pour la science, la technologie et l’innovation a proposé le concept de société 5.0, qui se définit comme « une société centrée sur l’humain qui équilibre le progrès économique et la résolution des problèmes sociaux grâce à un système qui intègre largement le cyberespace et les espaces physiques ». C’est la version japonaise du Metaverse, le monde virtuel de Facebook, mais il vise vraiment à résoudre les problèmes sociaux.

Néanmoins, pour libérer ces idées, il doit y avoir une approche pangouvernementale, et afin de mettre en œuvre les recommandations de la TICAD8, les dirigeants africains doivent examiner comment les jeunes Africains peuvent contribuer à cette vision globale, et quels investissements sont nécessaires dans l’infrastructure numérique pour atteindre les objectifs des deux :

• L’Afrique, d’un côté

• et le Japon, d’un autre côté.

Conciliation entre « Climat & Développement »

Le réchauffement climatique

A ne pas oublier que, plus tôt cette année 2022, le Congrès américain avait adopté la loi sur la réduction de l’inflation, qui comprend l’injection de près de 400 milliards de dollars d’investissements visant à lutter contre le changement climatique, et en tant que deuxième plus grand pollueur au monde, après la Chine, les États-Unis ont pris des mesures concrètes pour atteindre l’objectif d’investir les 4,5 à 5.000 milliards de dollars d’investissement climatique requis chaque année, afin d’éviter une hausse de température de plus de 1,5 degrés Celsius par an.

Le Japon devrait donc prendre soin du rapport « Perspectives économiques pour l’Afrique 2022 » afin d’atteindre les objectifs énergétiques pour l’Afrique.

En outre, le septième point des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, c’est l’intérêt pour les initiatives d’énergie abordable et propre, un domaine dans lequel le Japon semble déjà perdre son influence stratégique. Il y a donc un besoin urgent de plans de financement pour atteindre les objectifs de développement durable en Afrique, car le continent n’est maintenant qu’à mi-chemin de la réalisation de ces objectifs d’ici 2030.

C’est encore plus important, car le Japon a donné la priorité à cette question lors de la précédente conférence TICAD7 de 2019, et plus précisément dans le « Yokohama Monitor System of Action Plans », une plateforme en ligne qui permet aux partenaires de rendre compte de l’avancement des KPI (Indicateurs de performance clés).

Ces objectifs s’alignent bien sur :

• le Plan de développement des infrastructures du Programme de l’Union africaine,

• le Partenariat mondial du Groupe des Sept (G7) pour l’Initiative mondiale sur les infrastructures

• le Dialogue 2+2 Inde-États-Unis.

Bien que perturbées par la pandémie mondiale «Coronavirus» et maintenant la guerre russe contre l’Ukraine, ces initiatives offrent au Japon des opportunités de s’associer à ses alliés mondiaux et de construire une approche collective du développement du continent et du contexte concurrentiel de l’Indo-Pacifique offrant une opportunité historique pour une telle coopération entre l’Occident (en particulier les États-Unis et la France) et les grandes puissances asiatiques (Japon et Inde).

C’est le témoignage le plus récent de l’attrait du continent africain.

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