Africa-Press – Benin. La Commission électorale a dévoilé la liste – encore provisoire – des candidats pour la présidentielle du 11 avril prochain. Face à Patrice Talon, les candidatures d’Alassane Soumanou et de Corentin Kohoué ont été validées. Reckya Madougou et Joël Aïvo ont en revanche été recalés.
On connaît désormais l’affiche – très probable – du premier tour de la présidentielle du 11 avril prochain. Et elle sera pour le moins réduite. Alors que pas moins de 20 candidats avaient déposé leur dossier devant la Commission électorale nationale autonome (Cena), seulement trois « duos » ont en effet été retenus.
Outre la candidature de Patrice Talon, dont la colistière pour le poste de vice-présidente est Mariam Chabi Talata, la Cena a validé les candidatures d’Alassane Soumanou et de Paul Hounkpè, des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), ainsi que celle de Corentin Kohoué et Irenée Agossa, des dissidents du parti Les Démocrates. Cette liste, encore provisoire, doit être validée par la Cour constitutionnelle, qui examinera les éventuels recours et publiera la liste définitive le 22 février prochain.
La validation de la candidature du « ticket » présenté par Patrice Talon, qui a laissé planer pendant plusieurs mois un faux suspens quant à son intention de briguer un second mandat avant de finalement se dévoiler, le 15 janvier dernier, faisait peu de doute. Outre l’instauration d’un poste de vice-président, les récentes réformes constitutionnelles obligent en effet les candidats à la présidentielle à obtenir le parrainage d’au moins 10 % des députés et maires du pays.
Formalité et pomme de discorde
Une formalité pour Patrice Talon. Mais un obstacle insurmontable pour la majeure partie des formations de l’opposition. Lors des législatives de 2019, seuls deux partis appartenant à la mouvance présidentielle – l’Union progressiste (UP) et le Bloc républicain (BR) ont en effet pu participer au scrutin. Un an plus tard, lors des communales, seuls les FCBE sont parvenus à décrocher une poignée de mairies (7 sur les 77 que compte le pays).
Pomme de discorde dès son instauration, le système des parrainages a été très vivement critiqué par une large partie de l’opposition. Lorsque Patrice Talon a promis, à plusieurs reprises lors de la tournée marathon qu’il a réalisé dans tout le pays entre novembre 2020 et janvier 2021, que « les Démocrates et les FCBE obtiendraient leurs parrainages », beaucoup de sourcils se sont froncés de part et d’autre du spectre politique. D’un côté, les opposants doutaient de la promesse. De l’autre, certains membres de la majorité présidentielle renâclaient à la perspective de concéder leur parrainage à de potentiels adversaires de taille… Au final, à en croire la liste publiée par la Cena, les parrainages détenus par les partis présidentiels ont cependant été accordés à certains des candidats de l’opposition.
« Nous avons fait le choix de la real politik », assume Alassane Soumanou Djimba, le candidat des FCBE, qui revendique d’être parti en quête de parrainages auprès des élus de la majorité. Accusé par une partie de l’opposition d’être « le candidat du pouvoir » ou « un faux opposant », il n’en démord pas. « On peut regretter les lois qui sont en place, mais les élections sont régies par ces lois. Et si vous voulez vraiment aller aux élections, il faut s’y conformer, quitte à la modifier une fois que vous êtes au pouvoir », explique-t-il à Jeune Afrique. L’ancien ministre de Thomas Boni Yayi se dit d’ailleurs confiant quant à ses chances. « Patrice Talon est arrivé par les urnes, il partira par les urnes. Ce sera le choix du peuple. »
Un optimisme rare au sein de l’opposition béninoise. Avant même que la Commission électorale nationale indépendante ne rende son verdict, certains des candidats de l’opposition avaient déjà fait le deuil de la campagne à venir, s’affirmant d’ores et déjà exclus de la compétition. C’était le cas, d’abord, de ceux qui avaient choisi de ne pas présenter de candidat au poste de vice-président. Et en particulier Ganiou Soglo, qui affirmait, au moment de déposer sa candidature, ne pas reconnaître la validité des récentes réformes ayant instauré le parrainage et le poste de vice-président. « La seule Constitution qui compte, c’est celle de 1990, qui a été votée par l’ensemble du peuple béninois », expliquait-il au lendemain du dépôt de son dossier devant la CENA.
Une candidature de témoignage ? « La candidature de la voix du peuple, qui dit qu’il ne transige pas avec les libertés publiques », rétorquait alors le fils de l’ancien président béninois Nicéphore Soglo. Victime vendredi 5 février d’une attaque à main armée près du village de Zinvié, où il est tombé dans une embuscade en revenant d’un meeting de campagne, Ganiou Soglo a été touché par balle et admis en urgence en soins intensifs au centre national hospitalier universitaire Hubert Maga. Affirmant, depuis son lit d’hôpital, être « prêt à aller jusqu’au bout » dans cette campagne présidentielle, l’opposant a été évacué en France pour s’y faire soigner. Il a assuré de son intention de revenir au Bénin dès que son état de santé le lui permettrait.
Les Démocrates écartés
Autre candidate écartée: Reckya Madougou. Sa candidature sous les couleurs du parti Les Démocrates de cette ancienne ministre de la Justice de Thomas Boni Yayi, devenue par la suite conseillère spéciale du président togolais Faure Gnassingbé, avait surpris jusque dans ses propres rangs. Le duo formé par Corentin Kohoué et Irenée Agossa sont d’ailleurs issus des rangs des Démocrates, dont ils ont été exclus.
La principale intéressée s’était préparée à l’invalidation de sa candidature. « Pour nous, cela ne fait désormais plus l’ombre d’un doute : Patrice Talon a décidé de nous exclure de la compétition », affirmait-elle à Jeune Afrique, quelques heures avant que la CENA ne publie la liste provisoire.
Mercredi soir, lors d’une conférence de presse, Alassane Tigri, l’un des cadres du parti, avait déjà reconnu que Les Démocrates n’avaient déposé aucun des 16 parrainages requis. Affirmant que des députés et des maires avaient « fait l’objet de menace » pour « remettre leur parrainage aux présidents des blocs Union progressiste et Bloc républicains », il a par ailleurs accusé le pouvoir d’avoir « instrumentalisé certains militants » du parti pour le diviser. En l’occurrence, le « ticket » présenté par Corentin Kohoué et Josias Agossa.
« Des groupes de députés et de maires des partis de la majorité se sont rapprochés de nous, mais lorsqu’est venu le moment de nous apporter leurs parrainages, ils n’ont pas eu le courage d’aller jusqu’au bout », affirme Reckya Madougou.
« C’est un tissu de contrevérités », glisse un ministre contacté vendredi soir. « Je m’inscris totalement en faux contre ces allégations mensongères », abonde Abdoulaye Gounou Salifou, député de Natitingou (extrême nord-ouest du pays) et président du groupe Bloc républicain à l’Assemblée nationale. Rappelant qu’Éric Houndété, le président des Démocrates, a lui même affirmé, lors du dépôt de candidature de Reckya Madougou, que le parti ne souhaitait pas réclamer les parrainages, il assure que des discussions on eu lieu. « Moi-même, je peux vous le dire : je n’ai pas parrainé Patrice Talon. Nous nous sommes organisés entre nous pour permettre à l’opposition d’avoir des parrainages. Mais certains nous ont découragé, et c’est le cas de Madougou. Est-ce à nous de courir derrière eux ? »
« Ils mentent quand ils disent qu’ils sont venus chercher les parrainages et qu’on leur a refusé », assure de son côté Orden Alladatin, député de l’Union progressiste et président de la commission des lois à l’Assemblée. Ce poids lourd du principal parti de la mouvance présidentielle l’affirme : « Reckya Madougou n’a appelé personne d’entre nous, députés. »
L’autre « ticket » absent de la compétition est celui formé du constitutionnaliste Joël Aïvo et de l’ancien ambassadeur Moïse Tchando Kerekou. Jeudi, ce dernier avait encore « bon espoir » de pouvoir obtenir les parrainages nécessaires. « Nous avons fait la demande aux directions des deux partis de la majorité, qui leur a été adressée par huissier le 5 février, afin qu’ils acceptent de nous céder les parrainages nécessaires », affirmait alors le fils de l’ancien président Mathieu Kerekou. « Si nous n’obtenons pas ces parrainages, cela signifiera que nous aurons eu tort de croire aux promesses d’élections inclusives », lâchait-il alors. Dans un message publié sur les réseaux sociaux vendredi soir, Joël Aïvo a pour sa part estimé que Patrice Talon « a choisi de sélectionner ses adversaires parmi ses alliés et refusé la compétition aux candidats capables de le battre dans les urnes ».
« L’opposition a surtout été victime de sa dispersion, estime au contraire un membre de la majorité. Il y avait pas moins de quatre duos de candidats qui sont issus ou proches des Démocrates, cela n’a pas aidé à obtenir les parrainages. »
Si des voies de recours sont encore possibles devant la Cour constitutionnelle, qui livrera son verdict définitif le 22 février, une autre stratégie se dessine désormais parmi les candidats qui n’ont pas été retenus : remettre en cause le calendrier électoral. Alors que le premier tour de la présidentielle est prévu le 11 avril, plusieurs voix se sont élevées pour affirmer que le mandat de Patrice Talon doit théoriquement se terminer le 5 avril. « Le prochain président démocratiquement élu devra prêter serment le 6 avril 2021 à Porto Novo devant le peuple qui l’aura librement choisi », a notamment écrit Thomas Boni Yayi, dans un message sur Facebook publié mardi 9 février. L’ancien président béninois qui, après avoir claqué la porte des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), a été l’un des principaux initiateurs de la création du parti Les Démocrates, a même lancé un « appel patriotique et humaniste aux Forces Armées », leur demandant « d’aider par l’abstention de l’usage de la force à la relance des bases du consensus issu de la Conférence Nationale de 1990 ».
Nul doute que, dans les jours et semaines qui viennent, tandis que les candidats validés commenceront à dérouler leur programme de campagne, les « recalés » par la Cena multiplieront de leur côté les initiatives dénonçant leur mise à l’écart. Et il se peut même que l’unité un temps affichée face à Patrice Talon, qui a spectaculairement éclaté quand est venue l’heure du dépôt des candidatures, ne soit alors de nouveau à l’ordre du jour.