Patrice Talon, un candidat seul face à lui-même ?

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Présidentielle au Bénin : Patrice Talon, un candidat seul face à lui-même ?
Présidentielle au Bénin : Patrice Talon, un candidat seul face à lui-même ?

Africa-PressBenin. Le « président-patron » est candidat à un second mandat, avec un bilan économique honorable compte tenu du contexte de crise mondiale. Face à lui, une opposition affaiblie, profondément bousculée par les réformes politiques, dénonce un scrutin joué d’avance.

« Je serai candidat pour défendre la démocratie, nos libertés et la bonne gouvernance. » Depuis Adjohoun, dans l’Ouémé, Patrice Talon a officialisé vendredi 15 janvier son intention de briguer un deuxième mandat, le 11 avril prochain. Une candidature « pour rendre durable la bonne gouvernance jusqu’à ce que cela soit un acquis pour chacun et pour tous », a-t-il affirmé, affichant sa volonté de « rester dans la dynamique ». Cette annonce met fin à un faux suspens entretenu depuis plusieurs semaines.

Mi-décembre, seul sur la scène du Palais des Congrès de Cotonou, qu’il arpente d’un pas nonchalant, visiblement à l’aise, Patrice Talon s’adresse à la salle comme le ferait un patron de la Silicone Valley. Ministres, députés, élus locaux, représentants des corps constitués, des partis de la mouvance présidentielle… À voir le public, on pouvait alors déjà penser à un discours d’investiture à la présidentielle. Mais Patrice Talon n’est alors pas encore — officiellement — candidat.

Dans sa veste saharienne couleur sable claire, sans notes et sans bafouiller, le président béninois conduit le show d’une main de maître pendant près de deux heures, ne faisant une pause que le temps de laisser Wilfried Houngbedji, son responsable de la communication, énumérer les chantiers et réformes conduites au cours du mandat qui s’achève.

Qu’était, en somme, le Plan d’action du gouvernement (PAG), feuille de route de l’exécutif ? Un moyen de « prouver enfin que nous ne sommes pas condamnés à la pauvreté », lance celui qui, quelques semaines auparavant, assumait dans un entretien à Jeune Afrique avoir « pris le risque d’être impopulaire ». Mais en ce 14 décembre, l’heure est au contraire à la séduction. À la reddition des comptes, même. Le discours est d’autant plus rôdé que, depuis le 12 novembre, Patrice Talon s’est lancé dans une tournée marathon qui l’a conduit aux quatre coins du pays. Fidèle à son image de président-patron, le PDG de Bénin S.A. en a profité, à chaque étape, pour dresser le bilan comptable des travaux réalisés et assurer que ce qui n’avait pas encore été fait le sera bientôt. Mais ce dont il se proclame le plus fier, c’est d’avoir « créé une dynamique ».

L’heure du bilan

« En réalité, c’est cela, ce que nous avons fait de plus grand : nos réformes. Construire des kilomètres de route, à la limite, ce n’est pas grand chose. Amener de l’eau aux uns et aux autres, certes c’est vital, mais notre nation étant éternelle, ce qu’il importe surtout c’est d’assurer notre survie et notre développement éternellement, lance le président béninois. Le vrai bilan de notre action, c’est notre capacité à faire face à notre destin, de manière durable. »

Un bilan que Talon, qui s’était pourtant engagé en 2016 à ne faire qu’un seul et unique mandat, est bien décidé à mettre en avant lors de la campagne présidentielle. « Sa décision est prise depuis plusieurs mois, mais il souhaite l’annoncer lui-même aux Béninois, pour ne pas être un président en campagne pendant trop longtemps », confie un habitué du palais de la Marina. Son mandat a porté ses fruits sur tous plans, qu’il s’agisse de l’économie ou de la politique. »

« Pour nous, sa candidature s’impose naturellement. Le pays a maintenant un niveau d’infrastructures jamais atteint depuis les indépendances, abonde Gérard Gbénonchi, député de l’Union progressiste (UP), l’un des deux partis de la mouvance présidentielle, avec le Bloc républicain (BR), qui détiennent à eux seuls la totalité des sièges à l’Assemblée nationale. Et il suffit de voir les bons résultats que nous avons auprès du FMI ou des agences de notations : son mandat a porté ses fruits sur tous plans, qu’il s’agisse de l’économie ou de la politique. »

La pandémie a pourtant eu un fort impact les finances du pays. Le 21 décembre, le FMI a approuvé une aide d’urgence de 177,96 millions de dollars. Une somme qui vient s’ajouter aux 103,3 millions de dollars déjà débloqués en mai. Depuis ce premier appui, « les perspectives macroéconomiques se sont encore détériorées », selon Mitsuhiro Furusawa, directeur général adjoint du FMI, qui constate que « la croissance économique devrait ralentir autour de 2 % en 2020, contre presque 7 % en 2019 ». L’inflation, repartie à la hausse (3% en 2020, contre 0,18% en 2018), devrait, en outre, peser sur le pouvoir d’achat des Béninois.

Une politique contestée

Si la pandémie et ses conséquences sont la cause première de cet effondrement, la fermeture de la frontière avec le Nigeria levée en décembre, qui a duré 16 mois, a aussi largement pesé. Reste que, dans un contexte ouest africain où la majorité des pays sont entrés en récession (croissance négative de 2%), le Bénin tire son épingle du jeu.

À tel point que, du côté de l’opposition, les critiques sont rares sur le plan de la gouvernance économique. Seul l’universitaire Frédéric Joël Aïvo, premier et unique candidat déclaré pour le moment s’y risque : « Le seul bilan de Talon, ce sont les routes. Quelle peut être la crédibilité d’un taux de croissance qui ne profite pas aux Béninois ? » Elles sont en revanche nombreuses sur le plan politique.

S’il a essuyé deux échecs consécutifs devant le Parlement en tentant de passer la révision constitutionnelle instituant le mandat unique, Patrice Talon a fait passer plusieurs réformes politiques majeures, en particulier la révision du code électoral et la mise en place de la Charte des partis politiques. Un véritable changement de logiciel qui n’a pas été sans heurts. Les violences post-électorales qui ont suivi le scrutin des législatives contestées de 2019, lors desquelles seuls les deux partis de la mouvance présidentielle avaient été autorisés à se présenter, a laissé des traces au sein de l’opposition.

Patrice Talon est, de plus, accusé « d’instrumentaliser » la justice. En avril, l’ancien ministre Komi Koutché a été condamné à vingt ans de prison par la Cour de répression de l’enrichissement illicite et du terrorisme (Criet) pour détournement de fonds. La même instance qui, un an auparavant, avait condamné à la même peine Sébastien Ajavon pour trafic de drogue.

Ce dernier, ayant obtenu le statut de réfugié politique en France, mène depuis une offensive tous azimuts devant les instances internationales. Début décembre, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a exigé l’abrogation de la réforme constitutionnelle et le retour à la Constitution de 1990, donnant du grain à moudre aux opposants. Qualifié de « non événement » par Séverin Quenum, le ministre de la Justice, de « décision politique » par Alain Orounla, porte-parole du gouvernement, l’arrêt est au contraire brandi comme la preuve que « les conditions pour que l’élection présidentielle se déroule de manière démocratique ne sont pas réunies » par Léonce Houngbadji, président du Parti pour la libération du peuple qui vit aujourd’hui en France.

« La volonté du pouvoir d’écarter les opposant, et en particulier Sébastien Ajavon, est manifeste », juge Géraldo Gomez, secrétaire général adjoint de l’Union sociale libérale (USL), le parti d’Ajavon, qui n’est pas légalement reconnu. « Toutes les personnes qui se disent « écartées » pour des raisons politiques ont été poursuivies pour des faits de criminalité économique ou de droit commun. Il n’y a rien de politique là-dedans », répond Sacca Lafia, ministre de l’Intérieur, qui est aussi l’un des principaux cadres du BR.

Une autre question agite les débats sur les bords du lac Nokoué : le parrainage des candidats à la présidentielle. Il leur faut obtenir la signature d’au moins 10% des 93 députés et 77 maires. Patrice Talon a plusieurs fois répété que l’élection serait « ouverte », promettant même que « les Forces Cauris pour un Bénin émergent [FCBE] et les Démocrates obtiendront leurs parrainages ». Pour l’opposition, il est certain que la mouvance présidentielle en profitera pour choisir le challenger du « patron ». On ne peut pas d’un côté jouer la politique de la chaise vide, et se plaindre que l’on a pas assez d’élus dans les mairies. »

« Sur le principe, ce parrainage n’est pas critiquable. Mais c’est dans la mise en œuvre que cela peut être problématique, l’Assemblée et les mairies étant tenues par le pouvoir, pointe Steve Kpoton, juriste et analyste politique. En outre, l’anonymat pose question : pourquoi les élus ne devraient-ils pas assumer leur choix ? ». Le juriste n’en juge pas moins que l’attitude de l’opposition est, sur ce sujet, ambiguë : « On ne peut pas d’un côté jouer la politique de la chaise vide, comme lors des communales de 2020, et se plaindre que l’on a pas assez d’élus dans les mairies ».

Si la candidature de Patrice Talon à la présidentielle est désormais acquise, la question se pose en revanche sur l’identité du numéro 2 du « ticket ». Car c’est une autre révolution institutionnelle majeure : le Bénin aura, à l’issue du scrutin d’avril, un vice-président. Poste symbolique, l’élu devra cependant assurer l’intérim du président, en cas de force majeure, jusqu’à la fin du mandat.

Paradoxalement, alors que ces réformes ont pour objectif de « renforcer le système partisan », Patrice Talon n’a officiellement rejoint aucun des deux partis qui le soutiennent. Le choix du candidat à la vice-présidence ne pourra donc se faire sur une base uniquement partisane. Plusieurs noms sont évoqués : ceux de l’ancien Premier ministre Pascal Koupaki, actuellement secrétaire général de la Présidence, et de Abdoulaye Bio Tchané, ministre d’État chargé du Plan et du Développement ou encore celui de Romuald Wadagni, ministre de l’Économie et des finances.

« C’est le Président qui décidera, et il pourrait très bien choisir quelqu’un en dehors du système partisan », assure un de ses conseillers. « Il fera comme pour la présidence de l’Assemblée nationale : il choisira quelqu’un qui n’a pas de réelle ambition politique, qu’il peut contrôler », glisse un député.

Un autre facteur pourrait également peser : la région d’origine. Patrice Talon, natif de Ouidah, sait en effet que ses bastions électoraux sont dans le sud du pays. En outre, l’élection à la présidence de l’Assemblée, avec l’onction présidentielle, de Louis Vlavonou, un homme du sud, avait déjà fait grincer des dents.

L’option choisie sera tout sauf anodine. Entre l’Union progressiste et le Bloc républicain, l’alliance est fragile. Les premières dissensions ont d’ailleurs éclaté au grand jour à l’occasion des communales de mai dernier. Un ministre le concède, l’après Talon est dans toutes les têtes : « Pour le moment, nous voulons que les réformes avancent. Mais en 2026, c’est une certitude, nous serons farouchement opposés pour la conquête du pouvoir. »

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