
Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Benin. Les dirigeants des États membres de l’Union africaine ont participé au 38e sommet de l’organisation qui s’est déroulé du 15 au 19 février 2025, à Addis-Abeba, et lors duquel a eu lieu l’élection du nouveau président de la Commission de l’Union, succédant au Tchadien Moussa Faki Mahamat, lequel a fait ses adieux à travers un discours prononcé devant les ministres des Affaires étrangères.
• Mahamoud Ali Youssouf élu président de la Commission de l’Union africaine
Le chef de la diplomatie djiboutienne de 59 ans, « Mahamoud Ali Youssouf », a succédé donc à Moussa Faki Mahamat pour un mandat de quatre ans, battant à l’occasion le favori de l’opposition kényane, Raila Odinga, ancien Premier ministre du Kenya, ainsi que le Malgache Richard Randriamandrato, ministre des Affaires étrangères.
Quant à la diplomate algérienne « Salma Malika Haddadi », elle a été élue Vice-présidente de l’organisation.
A noter que ces élections s’inscrivent dans le cadre du système de rotation régionale adopté en 2018, pour assurer l’équilibre et une représentation équitable entre les cinq principales régions africaines: Sud, Centre, Est, Ouest et Nord.
Conformément aux règles de rotation, le chef de la commission est choisi dans une région différente à chaque cycle électoral, en tenant compte des compétences et d’une représentation équitable des sexes.
• Processus de vote adopté
L’Union africaine a formé un comité spécialisé pour examiner les demandes de nomination et s’assurer que les candidats sont sélectionnés selon des critères de mérite. À la fin de l’année 2023, seuls 3 pays avaient réussi à soumettre leurs candidats dans les délais.
Rappelons que le processus électoral se déroule conformément à l’article 42 des Statuts de l’UA, selon lequel le Président est choisi en premier, suivi du Vice-président, avant la nomination des Commissaires élus par le Conseil exécutif, composé de ministres des Affaires étrangères ou de fonctionnaires désignés des États membres.
Dans le cas où aucun candidat n’obtient la majorité des deux tiers après 3 tours de scrutin, le candidat ayant obtenu le moins de voix se trouve éliminé et des tours supplémentaires sont organisés jusqu’à ce que le quorum requis soit atteint.
Si le candidat unique ne parvient pas à obtenir la majorité requise après 3 tours, les élections sont suspendues. En cas de suspension, le Vice-président assume provisoirement la présidence et, s’il n’y a pas de Vice-président, le Commissaire le plus ancien ou le plus âgé assumera provisoirement la fonction jusqu’à la tenue de nouvelles élections.
• Des ADIEUX marqué par les « recommandations » du président sortant
Le président sortant de la Commission africaine, Moussa Faki Mahamat, a prononcé à Addis-Abeba un discours sur les défis auxquels le continent est confronté, mettant en garde contre de nombreux obstacles empêchant l’union de jouer son plein rôle dans la mise en œuvre des décisions de résolution des conflits et de financement.
M. Faki a tenu à préciser qu’il s’exprimait en toute liberté, car c’était son dernier discours en tant que président de la commission, puisqu’il quittera ses fonctions au milieu du mois de mars prochain. Il a ajouté que le continent africain continue de connaître des divisions et des fragmentations, en raison de la multiplicité des conflits armés dans les régions du Sahel et des Grands Lacs, dans la Corne de l’Afrique et dans d’autres régions.
Il a ajouté qu’il existe des questions urgentes au sein de l’Union qui nécessitent d’être traitées, notamment les décisions du Conseil de paix et de sécurité de l’Union, qui sont « négligées et ignorées par certains pays africains, en raison de certaines interprétations et intérêts ».
Faki a déclaré que les pays africains n’ont que deux options:
A- soit abandonner les textes et décisions émis par l’Union,
B- soit les appliquer strictement, soulignant qu’il y a eu de nombreuses violations des règles et décisions de l’Union par certains États membres, qu’il n’a pas nommés.
L’un des problèmes urgents qui, selon le président sortant, ne sera pas résolu au sein de l’Union est la question du financement, qui dépend de l’aide étrangère pour plus des deux tiers de son budget.
Il a ajouté également qu’il avait envoyé des messages contenant une certaine sévérité aux Etats membres de l’Union concernant la question de leur engagement à contribuer au financement de l’UA, ajoutant que la situation financière actuelle de l’Union ne lui permet pas d’être indépendante, ce qui affecte ses décisions.
• Les huit priorités de l’Union africaine à débattre cette année:
1. Renforcer le leadership de l’UA en matière de paix et de sécurité
2. Soutenir les efforts de médiation au Soudan
3. Prévenir un conflit régional dans les Grands Lacs
4. Lancer une nouvelle force de l’UA en Somalie
5. Engager le dialogue avec le Sahel central
6. Aider le Cameroun à organiser des élections crédibles
7. Empêcher le Soudan du Sud de s’effondrer
8. Prendre position sur la sécurité climatique
D’autres conflits continuent de sévir sur le continent. Même en Ethiopie, l’armée est engagée dans des combats contre des insurgés dans les régions de l’Oromia et de l’Amhara, et les relations avec l’Erythrée sont délétères.
• Le dossier Palestinien
Faki a choisi de parler en arabe lorsqu’il a évoqué ce qui se passe en Palestine, affirmant que la destruction et les privations auxquelles la bande de Gaza est soumise sont une honte pour toute l’humanité, soulignant le ferme soutien de l’Union africaine au peuple palestinien.
Il a ajouté que ce qui aggrave la situation au Moyen-Orient, ce sont les appels à déplacer le peuple palestinien de Gaza, en référence à ce que demande le président américain Donald Trump.
• Intervention du SG des Nations Unies Antonio Guterres
Il importe de noter que parmi les intervenants à la séance d’ouverture figurait le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, qui s’est engagé à plaider pour que le Continent africain ait deux sièges permanents au Conseil de sécurité de l’ONU, considérant que:
-/- « l’Afrique a été victime de deux grandes injustices, la première étant le colonialisme et la traite transatlantique des esclaves, et il est temps de réparer les torts causés à l’Afrique et d’établir un cadre pour y remédier ».
-/- « l’incapacité de l’Afrique à bénéficier d’une représentation équitable au sein du système des Nations Unies et d’autres organisations internationales », sachant que la présidence sud-africaine du G20 cette année contribuera à faire avancer un certain nombre de questions concernant le continent africain.
Le Secrétaire général des Nations Unies a déclaré entre-autres que le partenariat entre les Nations Unies et l’Union africaine est désormais à son apogée.
• Présidents africains absents lors du Sommet de l’UA
La séance d’ouverture du sommet des dirigeants africains a été marquée par l’absence de plusieurs chefs d’Etat, dont notamment le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, préoccupé par la guerre qui fait rage dans l’Est de son pays, tout comme le roi du Maroc, Mohammed VI, à cause de son état de santé préoccupant, et le président tunisien, Kais Saied.
La liste des absents comprend également les dirigeants de six pays africains dont l’adhésion à l’Union africaine a été suspendue, à savoir le Soudan, le Burkina Faso, le Mali, la Guinée, le Niger et le Gabon, à la suite des coups d’État militaires dont ces pays ont été témoins ces dernières années.
Les dirigeants africains examineront également un certain nombre de projets de résolution qui leur ont été soumis lors des réunions des ministres des Affaires étrangères tenues mardi et mercredi derniers, et de divers organismes affiliés à l’Union africaine.
• Qui est le nouveau Président de la Commission de l’Union africaine ?
Mahmoud Youssef a débuté sa carrière au Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale de Djibouti en 1992, en tant que conseiller puis en tant que Directeur Adjoint du Département des Organisations Internationales en 1993, où il a contribué à coordonner les relations avec les agences des Nations Unies et d’autres organisations.
Entre 1996 et 1997, il occupe le poste de Directeur du Département du Monde Arabe, œuvrant au renforcement des relations diplomatiques de Djibouti avec les pays arabes et à l’organisation de la participation du pays aux activités des organisations régionales arabes.
En 1997, il devient Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire en Égypte et Représentant permanent auprès de la Ligue des États arabes, et œuvre au renforcement des relations bilatérales entre les deux pays dans divers secteurs.
Il a également été commissaire non-résident de Djibouti au Liban, au Soudan, en Libye, en Syrie et en Turquie, et a contribué à la signature de nombreux accords conjoints dans divers domaines, notamment le commerce, la sécurité et la culture.
En mai 2001, Youssef est nommé Commissaire à la coopération internationale au ministère des Affaires étrangères de Djibouti et parvient à élargir les partenariats de développement de son pays et à conclure des accords conjoints.
En 2005, il devient ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, et porte-parole officiel du gouvernement à Djibouti, jusqu’au jour de son élection en février 2025.
• Qui est la Vice-présidente algérienne qui assistera Mahamoud Ali Youssouf ?
L’ambassadeur d’Algérie à Addis-Abeba et sa représentante permanente auprès de l’Union africaine, a été élue en l’emportant face à la Marocaine Latifa Akharbach et à l’Égyptienne Hanan Morsy.
A noter que l’Algérie, l’Egypte et le Maroc étaient en compétition pour ce poste attribué à un candidat de l’Afrique du Nord. L’Algérie ayant désigné la diplomate Salma Malika Haddadi, tandis que l’Egypte a désigné la diplomate Hanan Morsi, et le Maroc a présenté l’ancienne ambassadrice Latifa Akharbach comme candidate. Selon le système de l’Union, si le commissaire est un homme, son adjoint sera une femme, conformément au principe d’égalité, et les postes seront répartis selon les régions.
Salma Malika Haddadi était jusqu’à présent ambassadrice de l’Algérie en Éthiopie. Cette diplomate qui maîtrise, elle aussi, les trois langues de l’UA, a axé sa campagne sur la consolidation de la gestion administrative et financière de la Commission, et souhaite, également, « renforcer la confiance et la synergie entre la Commission et les États membres de l’UA ».
La candidate algérienne a recueilli 33 voix, contre 24 voix pour sa concurrente marocaine au septième tour de scrutin, tandis que la candidate égyptienne s’est retirée au quatrième tour après avoir recueilli seulement deux voix. Haddadi possède une expérience diplomatique et juridique, ayant été ambassadeur d’Algérie au Kenya et au Soudan du Sud, et directeur général des affaires africaines au ministère algérien des Affaires étrangères. Elle a récemment été nommée ambassadrice à Addis-Abeba et auprès de l’Union africaine.
A noter que l’Algérie a fait pression en faveur de Salma Haddadi depuis la mi-décembre 2024, le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf ayant visité plus de dix pays africains pour solliciter leur soutien lors des élections.
De son côté, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a également envoyé des ministres du gouvernement algérien auprès des dirigeants de 20 pays africains pour assurer les chances de Haddadi.
• A propos d’Israël
L’Union africaine a anticipé toute controverse potentielle sur la participation d’Israël à son prochain sommet prévu à la mi-février 2025, et a publié une déclaration définissant clairement les règles de participation des 87 États et entités observateurs.
Un mémorandum officiel publié par la Commission de l’Union africaine précise que la présence des observateurs sera limitée exclusivement aux séances d’ouverture et de clôture, soulignant que les invitations sont strictement adressées au nom des participants – selon le mémorandum – uniquement aux chefs de missions, sans autoriser aucune délégation ou conseiller accompagnateur – qu’Israël a exploité lors des 36e et 37e sommets – avant d’avoir été expulsés de la salle.
Une source diplomatique africaine a déclaré à Al Jazeera que l’union cherche, à travers cette décision, à éviter tout scénario similaire à celui qui s’est produit lors du sommet précédent, qui avait provoqué un état de confusion lors de la séance d’ouverture, lorsqu’une délégation israélienne s’était infiltrée avant d’être expulsée de la salle de réunion.
La source diplomatique a confirmé que cette déclaration est une indication de la poursuite des désaccords sur la tentative d’Israël de participer aux sommets africains, expliquant que la question de l’adhésion d’Israël en tant qu’observateur soulève une controverse sans fin, et qu’il tente d’assister à la séance d’ouverture parmi les ambassadeurs accrédités auprès du pays hôte, qui sont au nombre de 135, et que la déclaration de l’union est préventive et précise l’invitation aux membres observateurs de l’union et non aux ambassadeurs accrédités.
En 2002, après la création de l’Union africaine, le statut d’observateur a été accordé à des États non membres situés hors du continent africain, soit 87 pays.
Pour rappel, au cours des dernières décennies, Israël a cherché à devenir membre observateur de l’Union africaine pour contrer l’influence palestinienne, et a pu obtenir ce statut en 2021.
Cependant, Israël a été plus tard expulsé par décision des pays africains parce que son acceptation de l’adhésion en tant qu’observateur violait les termes de la Charte de l’Union africaine en raison de son occupation continue des territoires palestiniens.
A l’issue de leur sommet aujourd’hui, dimanche, dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, les dirigeants africains ont appelé les Etats membres de l’Union africaine à cesser toute forme de coopération avec Israël, conformément aux résolutions internationales condamnant les pratiques de l’occupation.
Dans sa déclaration finale, l’Union a exprimé son soutien total à l’obtention par la Palestine d’un statut de membre à part entière des Nations Unies. Le sommet africain a également condamné avec force la guerre israélienne contre Gaza, la qualifiant d’agression barbare.
Les participants au sommet ont appelé la communauté internationale à intervenir d’urgence pour mettre un terme à la « catastrophe humanitaire à laquelle est confronté le peuple palestinien et à lever immédiatement le siège imposé à la bande de Gaza ».
Le sommet a accusé Israël d’avoir commis un génocide contre les Palestiniens, appelant à ce qu’il soit tenu internationalement responsable de ses violations du droit international, notamment en ciblant les civils et les infrastructures.
• Le sommet africain appelle à l’arrêt de la coopération avec Israël
A l’issue de leur sommet qui a pris fin le dimanche 16 février, les dirigeants africains ont appelé les Etats membres de l’Union africaine à cesser toute forme de coopération avec Israël, conformément aux résolutions internationales condamnant les pratiques de l’occupation, tout en exprimant le soutien total de l’UA à l’obtention par la Palestine d’un statut de membre à part entière des Nations Unies.
• Les droits des Palestiniens n’ont pas été négligés lors de ce sommet
La déclaration finale a souligné entre-autres le ferme soutien de l’Union africaine au droit du peuple palestinien à l’autodétermination, appelant à la libération immédiate de tous les prisonniers palestiniens, en particulier les femmes et les enfants, et à la nécessité de mettre fin à l’occupation et de se retirer complètement des territoires occupés en 1967.
Le sommet africain a souligné que la solution politique basée sur la solution à deux États est la seule façon d’assurer la stabilité dans la région, appelant la communauté internationale à redoubler d’efforts pour parvenir à une paix juste et globale qui mette fin aux souffrances des Palestiniens.
Pour conclure, on peut dire que la victoire djiboutienne n’a pas surpris les fin-connaisseurs de l’Union africaine. Ces derniers jours, en coulisses, beaucoup de diplomates vantaient sa compétence, sa maitrise des dossiers et sa connaissance de l’institution. Des qualités essentielles à l’heure où l’Union africaine traverse une crise de son leadership.
Mahamoud Ali Youssouf l’a emporté au 7e tour avec 33 voix sur 49, et il succède ainsi au Tchadien Moussa Faki Mahamat, dont le second mandat à la tête de l’organisation africaine s’achèvera le 15 mars prochain.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Benin, suivez Africa-Press