Africa-Press – Benin. jeunes couples, enfants, venus découvrir ce diptyque grandiose entre art classique et art contemporain, étendu sur 2 300 mètres carrés, qui fait résonner le proverbe fon : « C’est au bout de l’ancienne corde qu’on tisse la nouvelle. »
Aïssa, consultante et photographe amatrice, n’a jamais vu un tel niveau d’engouement et d’organisation dans la culture : « Ce n’est pas du nationalisme, mais on manque cruellement d’expositions d’art contemporain. Et j’espère que nous verrons revenir d’autres objets et que je les verrai de mon vivant ! » Elle ne croit pas si bien dire. Le dieu Gou, qui est encore au pavillon des Sessions du Louvre, ne devrait pas tarder à rejoindre son pays natal, tout comme la tablette divinatoire de Guèdègbé. D’autres objets sont à l’étude. Ainsi que la « loi-cadre » en France, sur laquelle l’ancien directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, qui était encore au Bénin la semaine dernière, a travaillé à la demande d’Emmanuel Macron pour simplifier la procédure des restitutions, au-delà du cas par cas en vigueur pour cette restitution, d’État à État, des pièces du Quai Branly aux collections nationales du Bénin. Partout, le mouvement prend de l’ampleur : inventaire remis par la Belgique à la RDC pour une liste d’objets à restituer, retour des bronzes au Nigeria…
Mais revenons à Cotonou. Pour cet agronome rencontré aux marches du palais, les trésors de l’ancien Danhomè, pillés il y a cent trente ans lors de la conquête par le général Dodds, sont les « témoins de l’histoire de notre peuple, car nous apprenons à l’école notre histoire sans pouvoir voir les objets. Et aujourd’hui découvrir tout cela, c’est merveilleux. Si quelque chose t’appartient et qu’on vient te le rendre, il y a toujours une joie qui vient avec, n’est-ce pas ? » On pourrait accumuler ainsi les réactions des Béninois en chemin vers « le musée », comme ils renomment le palais présidentiel, transformé en effet en lieu de culture jusqu’au 22 mai (avec, qui sait, la perspective d’une prolongation ?). Personne ne pouvait ignorer l’événement, tant l’exposition s’affiche placardée dans toute la ville, court sur les réseaux sociaux et abreuve le feuilleton des médias, qui suivent une histoire entamée en 2016 par la demande de restitution de Patrice Talon à l’État français.
Ce moment est absolument historique. Notamment dans la mise en valeur de l’art classique autant que de l’art contemporain de ce petit pays du continent africain qui ne cache pas son ambition de se révéler par la culture à lui-même et au monde. Le parcours en tout point remarquable, avec une scénographie signée par une agence française joliment nommée Les Crayons, commence dans la pénombre, où les trônes, les portes du palais royal d’Abomey, les statues anthropozoomorphes des rois (ah, ce Béhanzin à tête de requin !) semblent vous accueillir dans des vitrines fabriquées sur place, avec des matériaux venus de France en deux containers, et des cartels qui stipulent désormais « Collection Dodds restituée ». Quand on voit Bénédicte Savoy, coautrice avec Felwine Sarr du rapport commandé par Emmanuel Macron, s’avancer dans cette salle, les mots deviennent presque inutiles !
L’émotion patriotique
« Par devoir patriotique, explique ce jeune contrôleur aérien béninois, il fallait venir visiter, pour encourager le gouvernement, qui est définitivement rentré dans l’histoire par cet acte. » Des médiatrices et médiateurs formés par l’École du patrimoine africain proposent aux petits groupes de guider leur visite. En chacun, d’où qu’il vienne, l’émotion est palpable. Aveu d’un journaliste béninois devant les asens, ces objets qui font le lien entre les morts et les vivants : « C’est pratiquement le sang qui parle. » Comme en écho, dans l’immense espace contemporain qui suit, les œuvres d’Éliane Aïsso revisitent cette cérémonie rituelle des asens dans une installation sculpture et multimédia de toute beauté, De l’invisible au visible. Aux artistes du XIXe siècle de ce royaume du Danhomè répondent ceux d’aujourd’hui : ainsi de Youss Atacora réinterprétant sur toile les silhouettes mi-hommes mi-animaux des rois.
L’inauguration (après le vernissage du vendredi), par Patrice Talon samedi, s’est faite avec plusieurs circuits de visites : le matin, les officiels (dont la délégation française avec la ministre de la culture Roselyne Bachelot), et l’après-midi ses majestés des royaumes du Bénin venues dans leurs tenues traditionnelles et voisinant avec les acteurs du milieu de l’art : aussi bien du continent (Côte d’Ivoire, Nigeria, Maroc) que de France, avec la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, le Centre Pompidou, mais encore la Fondation Louis Vuitton, jusqu’aux maisons de ventes Piazza et Artcurial et, bien sûr, les collectionneurs ou leurs représentants. Et en tendant partout l’oreille, on n’a pas entendu un bémol. Trop fort ? Non. À la hauteur du pari. « Cela prouve que quand on veut, on peut », commente la directrice de la Fondation Donwahi d’Abidjan. « Qui l’eût cru en 2005 ? » demande André Magnin, galeriste spécialiste du continent et qui n’a jamais vu, sauf en Afrique du Sud, une exposition collective de niveau international de cette ampleur. « Cela montre que nous ne faisons qu’une seule humanité, Afrique et Occident », commente une reine d’Abomey, récade à la main.
« Un triomphe »
L’homme fort du Bénin, dans tous les sens du terme, vient de montrer la puissance d’une nation du continent africain à exposer au monde ses trésors retournés au pays natal, et à mettre en valeur ses artistes contemporains, au cœur même de l’emblème de la nation, et ce n’est pas le collectionneur béninois Idelphonse Affelbogo qui s’en plaindrait. « C’est un triomphe », a résumé Marie-Cécile Zinsou, qui depuis des années accueille des artistes dans la Fondation de Cotonou et au musée de Ouidah, sans oublier que c’est dans ses murs qu’eut lieu la première exposition d’une petite partie des trésors en 2006. Son père, Lionel Zinsou, abonde : « La culture transcende les oppositions politiques et très peu de pays peuvent ainsi s’unir par amour de l’art. »
Dans la partie contemporaine des « Révélations », Romuald Hazoumè n’a pas résisté à présenter son masque intitulé Pantalonnade, réalisé en d’autres temps, mais ses deux toiles exposées à côté marquent surtout la présence spirituelle d’un des artistes les plus renommés à l’international, et qui a tenu à accompagner ce grand mouvement en faveur de l’art. « C’est un des grands artistes du pays, qui est connu à l’étranger », souligne le jeune médiateur à l’intention des visiteurs qui le découvrent. Et tandis que les créateurs de la diaspora sont de la fête, tel Dimitri Fagbohun ou Leila Adjovi (qui cosigne l’affiche de l’expo), Yacine Lassissi de la Galerie nationale, structure créée il y a deux ans et qui a déjà acquis une centaine d’œuvres, a sillonné le Bénin avec son équipe pour en compter tous les talents. Il s’agit de ne pas laisser partir les artistes, entend-on, sur l’air de « on ne va pas rejouer ce qui s’est passé avec les arts anciens » ! Le peintre Julien Sinzogan, ami du couple présidentiel, témoigne : « J’ai 3 500 toiles dehors, et pas plus d’une trentaine au Bénin, donc le président veut me garder [sourire]. » C’est pourquoi la Galerie nationale n’est qu’une première étape du projet scientifique et culturel du pays, inspiré du modèle français et qui, parmi les quatre musées en construction, compte l’ouverture d’un musée d’art contemporain en 2024 au cœur de Cotonou. Devant les casques de cauris d’Emo de Medeiros, les enfants sont médusés. Tout comme cette actrice béninoise, qui évoque aussi son émerveillement devant la reine Tassi Hangbé, mise en lumière, parmi d’autres femmes qui ont fait l’histoire de l’Afrique, dans sa série Agbara Women par Ishola Akpo.
En grande pompe, la politique culturelle du Bénin est lancée, nous y reviendrons, avec un budget de près d’un milliard d’euros et une coopération intense avec la France. Tant d’argent pour la culture ? Qu’en dit ce jeune ingénieur de 26 ans, interrogé la veille dans le quartier d’Abomey-Calavi, où Dominique Zinkpè a reçu une délégation dans sa maison-atelier : « Bon, c’est une bonne décision de faire revenir les œuvres au Bénin, et tous ces nouveaux musées-là, pour le pays, cela donnera du travail à mes amis qui font des études de tourisme, et si ça peut donner de l’emploi, je suis pour. » Jean-Michel Abimbola, ministre de la Culture du Bénin, qui va jusqu’à évoquer l’idée d’un Louvre-Cotonou, lui fait écho. Et rassure sur tout type de fantasmes : « D’abord, on ne veut pas mettre nos objets en prison, dire que les œuvres béninoises doivent rester au pays, ou tous les objets du Bénin doivent être au Bénin, c’est absurde, le but est de les faire circuler. Ensuite, si l’on garde chez nous nos jeunes, dans un pays dont le fer de lance est le tourisme et la culture, cela peut peut-être apaiser la peur du “grand remplacement”… »
En quittant le Palais national, et ces trésors qui feront étape à Ouidah avant Abomey, on croise Claude, l’un des 1 147 visiteurs comptabilisés ce jour. Il est sous le choc et nous confie, sur ces mêmes marches : « Je reviendrai et je souhaiterais que les amis se déplacent massivement. Mince, on a toutes ces œuvres, ici au Bénin ? Je vous assure qu’en sortant d’ici, je ne suis pas le même que quand je suis arrivé. » Ceux qui ont vécu ces heures au Bénin non plus.
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