Cotonou, petite métropole deviendra grande

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Bénin : Cotonou, petite métropole deviendra grande
Bénin : Cotonou, petite métropole deviendra grande

Africa-PressBenin. À l’instar du reste du pays et malgré la conjoncture mondiale morose, la capitale économique du Bénin est en pleine mutation. Son ambition : se tailler une place de choix dans le chapelet des métropoles côtières ouest-africaines.

Il est encore tôt sur le boulevard de la Marina quand deux véhicules militaires pénètrent dans la cour de la résidence de Mathieu Kérékou. Sous le regard de la petite escouade d’hommes qui en descend, les huissiers entament leur office.

Les effets personnels de l’ancien président sont entassés dans les couloirs avant d’être évacués, les voitures sorties des garages… Il faut faire place nette, rapidement. En ce matin du 5 novembre 2019, au terme d’un long bras de fer judiciaire, l’État reprend possession manu militari de la résidence Les Filaos, où Kérékou a vécu de 1965 jusqu’à sa mort, en 2015.

La scène aurait dû rester discrète. Mais les images ne tardent pas à se retrouver sur les réseaux sociaux, sans que l’on sache vraiment, encore aujourd’hui, si ce sont des membres de la famille de l’ancien chef de l’État, choqués, ou des militaires, trop heureux de ce scoop, qui ont pris et partagé ces photos.

Moins d’un an plus tard, les bulldozers sont passés. Il ne reste aujourd’hui plus rien du bâtiment, détruit jusqu’à ses fondations pour laisser la place au jardin Mathieu-Kérékou, concession faite au devoir de mémoire vis-à-vis de l’ancien chef du parti unique, qui aura ouvert le Bénin au multipartisme.

Bientôt, ici, les Cotonois pourront se promener à l’ombre des filaos, au cœur d’un nouvel espace vert, lequel s’intègre au vaste plan de rénovation urbaine qui, depuis deux ans, modifie en profondeur la physionomie de la ville. Ironie du sort, la résidence de l’ancien président marxiste-léniniste est devenue le passé dont les promoteurs du Cotonou nouveau ont choisi de faire table rase.

Dans les couloirs du ministère du Cadre de vie, comme au sein des services de l’État chargés de mettre en musique le très ambitieux volet urbanistique du Programme d’actions du gouvernement (PAG) 2016-2021 – lancé quelques mois après que le président Patrice Talon a pris ses quartiers au Palais de la marina –, on préfère éviter de revenir sur cet épisode.

De même, quand on évoque l’expulsion des habitants des berges lagunaires de Xwlacodji, en août 2019, ou celle des commerçants de Dantokpa, en février dernier, on préférera parler d’opération de « libération de l’espace public » plutôt que de « déguerpissement ».

Coincée sur une bande de terre de 4 km de large entre l’océan Atlantique au sud et le lac Nokoué au nord, et partagée en deux, en son centre, par une lagune enjambée par trois ponts, Cotonou fait sa révolution. Une révolution urbaine menée à marche forcée avec un objectif fixé par le « patron », Patrice Talon : améliorer la vie des Cotonois et rendre Cotonou plus attrayante pour les investisseurs, voire incontournable.

Comparé à Lomé la togolaise, ou à Accra la ghanéenne, Cotonou peut et doit « se faire une place, à son échelle et avec son identité, sans se fondre dans une “ville globale” », martèle José Tonato, le ministre du Cadre de vie. Sur les pavés, l’asphaltage

Sous la houlette du ministre, depuis deux ans, la métropole béninoise est un chantier à ciel ouvert. Partout, les engins creusent des canalisations et éventrent les routes constellées de nids-de-poule pour dérouler à la place de larges bandes de bitume qui, à peine sèches et ouvertes à la circulation, font le bonheur des zémidjans et de leurs passagers.

Le projet Asphaltage est entré dans sa phase active en août 2018. Il prévoyait dans sa première phase la réfection de 237 km de voirie à Cotonou – sur un total de 646 km prévus sur le plan national, pour un budget global de 900 milliards de F CFA (près de 1,4 milliard d’euros), dont environ 300 milliards pour Cotonou.

La quasi-totalité des rues du centre historique ont déjà été bitumées ou pavées, ou sont en passe de l’être. Plusieurs axes stratégiques (dits pénétrants) l’ont également été, afin de désenclaver les quartiers résidentiels et de faciliter l’accès aux principaux axes structurants qui traversent la ville d’est en ouest pour la relier aux autres localités de l’agglomération du Grand Nokoué – Abomey-Calavi, Porto-Novo, Ouidah et Sèmè-Kpodji –, qui compte 2,3 millions d’habitants, dont environ 700 000 à Cotonou intra-muros.

La pandémie de Covid-19 a certes retardé certains des chantiers, mais sur ce projet « l’essentiel du gros œuvre a été réalisé et tout est désormais en cours de finition », souligne Gilbert Francisco, directeur général par intérim de l’Agence du cadre de vie pour le développement du territoire, qui assure que « la phase 1 sera terminée dans les deux prochains mois », donc d’ici à janvier 2021.

Vulnérabilité environnementale Ces finitions, c’est l’une des promesses du plan : la rénovation de façade à façade, c’est-à-dire assainissement, trottoirs, mobilier urbain et éclairage compris.

« C’est cela aussi qui transforme radicalement la vie des habitants », souligne Gilbert Francisco. L’ingénieur des Ponts et Chaussées, qui dirige le bras armé opérationnel du ministère du Cadre de vie, a déjà conduit des projets de rénovation urbaine au Maroc, au Qatar et en Norvège.

Selon lui, si le projet Asphaltage est le plus spectaculaire, il est loin d’être le seul projet à participer à la révolution urbaine en cours à Cotonou. Alors qu’en juillet et en août certaines rues de la ville se sont de nouveau transformées en torrents, la mise sur les rails du Programme d’assainissement pluvial de Cotonou (PAPC) devrait à terme permettre à la ville de mieux résister aux inondations.

Sa situation en aval du fleuve Ouémé rend la ville d’autant plus vulnérable qu’elle n’a quasiment aucun relief. Pour y remédier, le PAPC prévoit la réfection d’un réseau de drainage et de collecte des eaux long de 136 km, la création de nouveaux bassins de rétention, l’aménagement de nouvelles rues dans certains quartiers particulièrement touchés, afin d’améliorer l’écoulement des eaux.

Le coût du PAPC – 250 milliards de F CFA – a été financé grâce au soutien de plusieurs bailleurs de fonds, dont la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Agence française de développement, la Banque ouest-africaine de développement, la Banque européenne d’investissement et la Banque islamique de développement. Le port, poumon économique

Si, dans ce combat contre les inondations pluviales, tout reste à faire, celui contre l’érosion côtière semble gagné. Tout au moins sur le segment du littoral de Cotonou, où d’importants travaux ont été réalisés. « Nous allons également valoriser ces atouts en aménageant le complexe lagunaire pour favoriser le développement du tourisme », ajoute Gilbert Francisco.

« La situation géographique de Cotonou est une bénédiction dont il nous faut tirer le meilleur parti, s’enthousiasme Luc Atrokpo, le nouveau maire de Cotonou. Les marchandises qui arrivent au Port autonome de Cotonou [PAC] peuvent rejoindre Lomé dans la journée et être rapidement convoyées vers le Niger ou vers d’autres pays de l’hinterland. Par ailleurs, notre proximité avec le Nigeria, malgré les difficultés de ces derniers mois, est aussi un grand atout qu’il nous faut positiver. »

Véritable poumon économique de la ville et du pays – c’est ici que se concentre l’essentiel de la collecte des droits de douane, l’une des principales ressources fiscales de l’État –, le PAC est lui aussi en pleine mutation. Depuis que sa gestion a été confiée, en 2018, au port belge d’Anvers (Port of Antwerp International), il fait l’objet d’un plan d’investissement de 350 milliards de F CFA et est soumis par le gouvernement béninois à une politique de résultats, destinée à améliorer rapidement l’efficacité de sa gestion et de ses prestations, ainsi que sa rentabilité.

Renforcer le rôle de hub logistique La fermeture des frontières terrestres avec le Nigeria, depuis août 2019, et les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 ont fortement pesé sur le trafic. Cependant, les investissements du PAC, dirigé par Joris Thys, restent plus que jamais d’actualité.

À la fin de septembre, Bénin Terminal, une filiale du français Bolloré Transport & Logistics, a ainsi annoncé la réception de deux nouveaux portiques. Un investissement de 2,1 milliards de F CFA, qui doit permettre au port de renforcer sa place de hub logistique régional de croissance pour le Niger, le Mali, le Burkina Faso, mais aussi le Nigeria.

Luc Atrokpo, qui a pris ses fonctions à la tête de la municipalité le 7 juin, est convaincu que le visage de la capitale économique aura complètement changé avant la fin de son mandat.

« Dans cinq ans, Cotonou sera comme une ville nouvelle », dit-il. Conscient que les ressources propres de la municipalité sont trop faibles pour lui accorder une grande marge de manœuvre, le nouvel édile assure vouloir agir « en complémentarité » avec l’État pour aménager la ville, dont le budget annuel s’élève à près de 18 milliards de F CFA en 2020.

« Nous intervenons sur les espaces où l’État n’intervient pas, explique le maire. Comme avec notre projet de verdissement des axes routiers, la création d’espace consacrés aux pratiques sportives ou le relooking de certains carrefours du centre-ville. »

Si le gouvernement promet de faire entrer la décentralisation dans sa phase opérationnelle, notamment par le transfert progressif aux municipalités, d’ici à cinq ans, de l’entretien des voiries et autres équipements, les maires des communes du Grand Nokoué sont d’ores et déjà associés aux décisions portant sur les principaux projets de développement urbain. Reste que, à l’heure actuelle, les moyens financiers et humains dont disposent les communes ne leur permettent pas de faire face aux défis auxquels elles sont confrontées.

Nouveaux équilibres Bien qu’ils aient déjà changé la physionomie de la ville, la plupart des travaux en cours dans l’agglomération n’ont pour le moment porté que sur des opérations de rattrapage et de mise à niveau de ce qui existe. Désormais, l’un des chantiers prioritaires pour les années à venir sera la mise en place d’un véritable réseau de transports urbains.

Autre volet sur lequel tout reste à faire : la définition de la vision de la future Cotonou. « L’espace de développement de Cotonou aujourd’hui, son nouveau poumon, c’est le plateau d’Abomey-Calavi, au nord, explique José Tonato. Par le simple fait qu’y seront établis de nombreux projets phares, la centralité de Cotonou va s’y déplacer dans les années à venir. »

Il faudra évidemment penser et concevoir ces nouveaux équilibres en fonction des collectivités et métropoles voisines, parmi lesquelles Lomé, à 140 km à l’ouest, et la géante Lagos, forte de ses 20 millions d’habitants, qui n’est qu’à quelque 120 km à l’Est.

« Cotonou, ville trait [d’union] dans la chaîne des capitales ouest-africaines, coincée entre son désir de prendre son envol vers son avenir et son souci de s’adosser à son passé colonial et à ses dieux voduns. Cotonou, ou Cototrou, ville surtout oublieuse du monde », écrivait l’auteur béninois Florent Couao-Zotti dans Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire (Serpent à plumes, 2010). Le futur plan « Cotonou 2050 » devrait le faire mentir.

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