Africa-Press – Benin. Tétraplégique depuis ses 14 ans à cause d’un accident de natation, Étienne Moullet, chercheur à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), participait fin 2024 au Cybathlon. Tous les quatre ans, en Suisse, cette compétition met en avant des technologies pour aider les personnes souffrant d’un handicap physique. Pour cette troisième édition, les candidats s’affrontaient au cours d’une course où ils devaient effectuer une dizaine de tâches simples (ramasser des objets, ouvrir une porte, etc.) le plus rapidement possible, assistés par des robots imaginés pour l’occasion.
Étienne Moullet disposait ainsi d’un bras robotique (développé par l’entreprise canadienne Kinova) attaché à son fauteuil, qu’il contrôlait grâce à une caméra. « La caméra permet de traquer la position de la main dans l’espace. Il commence dans une position initiale confortable et s’il bouge la main, le robot bougera dans la même direction jusqu’à ce que la main d’Étienne revienne à la position initiale, résume Robin Gibaud, directeur de l’équipe de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir), à Paris, pour laquelle concourait Étienne Moullet. L’objectif est de pouvoir réaliser un mouvement ample sans demander un grand déplacement de la part de l’utilisateur. »
Si ce système est adapté aux capacités d’Étienne Moullet, il ne conviendrait pas à tous: « J’ai la chance d’avoir une bonne mobilité des membres supérieurs, donc ça ne me pose pas trop de souci d’utiliser ma main pour contrôler le robot pendant quelques minutes, résume-t-il. Mais plus la pathologie va être ‘lourde’, plus la solution optimale devra embarquer des notions d’automatisation. À l’Inria, je travaille justement sur la détection de l’intention de saisir un objet grâce à l’IA, en analysant l’environnement pour comprendre la tâche à réaliser. »
Cette automatisation grâce à l’intelligence artificielle est précisément ce qui a donné l’avantage au vainqueur de la compétition, l’équipe de l’Institut de robotique et mécatronique du Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique. Leur robot utilisait aussi un bras robotique monté sur un fauteuil roulant. Mais le robot était équipé en plus d’une caméra qui lui permettait de voir ce qui l’entourait, pour ainsi adapter son mouvement en fonction des objets avec lesquels il devait interagir. « Si, par exemple, le robot voit une pomme, le bras s’en approche et prend l’orientation nécessaire pour que sa main puisse la saisir. L’utilisateur n’a plus qu’à valider le mouvement « , explique le directeur de l’équipe, Jörn Vogel.
L’intelligence artificielle prend le relais sur certaines actions
Leur intelligence artificielle agit à trois niveaux: d’abord un réseau neuronal détecte l’objet, un autre le localise dans l’espace pour donner sa position exacte par rapport au bras robotique, et un dernier définit comment le robot doit interagir avec l’objet. L’utilisateur garde en partie le contrôle du bras pour l’approcher de l’objet, mais une fois l’objet reconnu, l’IA peut prendre le relais. Grâce à cette collaboration humain-machine, Mattias Atzenhofer, le pilote de l’équipe, pouvait se permettre de rouler et se mouvoir plus lentement que ses concurrents, tout en faisant les tâches plus rapidement et avec plus de précision. « C’est un grand avantage de ne pas avoir à tout contrôler soi-même « , confirme-t-il.
Arrivée en troisième position, l’équipe de l’École polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse (université qui organise le Cybathlon), a tenté d’aller plus loin… littéralement. Contrairement aux robots précédents, le leur n’est pas seulement un bras, mais bien un robot entièrement autonome, qui peut s’éloigner de l’utilisateur pour faire des tâches à distance. Il a l’allure d’un chien mécanique, avec un bras à la place de la tête. Son pilote, Sammy Kunz, contrôle ses mouvements avec des commandes vocales, et pour les mouvements plus précis il utilise une sorte de joystick-paille: en soufflant ou en aspirant, il « dit » au robot s’il doit bouger ses jambes ou son bras. Leur approche n’est pas encore au point, mais elle montre ce que pourrait être le futur des robots assistants.
Les robots ont désormais des capacités conversationnelles
Car si pas moins de six laboratoires (cinq européens et un de Hong Kong) s’affrontent au Cybathlon, c’est dans l’espoir que la compétition sera utile à toutes les personnes souffrant d’un handicap et pour lesquelles ouvrir une porte, ramasser un objet tombé par terre, vider le lave-vaisselle… sont des actions du quotidien parfois insurmontables. « L’idée n’est pas de révolutionner le robot en tant que tel, mais plutôt les moyens de pilotage afin de proposer de nouvelles solutions aux personnes en situation de handicap », explique Robin Gibaud.
Aujourd’hui déjà, ces robots sont une réalité. « Ce sont principalement des bras robotiques montés sur des fauteuils roulants, qui peuvent être déjà utilisés pour faire toutes les tâches que la personne ne peut pas faire « , expose Serena Ivaldi, directrice de l’équipe Hucebot, pour human-centered robotics (robotique centrée sur l’humain), à l’Inria. Mais l’adjonction d’un robot autonome ouvre des perspectives inédites. « Nous développons la commande vocale qui repose sur le langage naturel, détaille Serena Ivaldi. Le robot, doté de capteurs, de caméras, etc., voit ce qui l’entoure et traduit ces commandes en quelque chose qui a du sens selon la situation dans laquelle il se trouve. Le but est que la personne n’ait pas toute la charge cognitive. »
Alors qu’il fallait auparavant prononcer des mots-clés pour activer les actions, l’émergence de grands modèles de langage permet désormais de parler au robot naturellement. « Le robot fait sa prédiction de ce qu’il doit faire, mais l’humain doit la valider, prévient-elle. Il faut être sûr que c’est exactement ce que l’utilisateur veut et que l’action soit sécurisée pour lui et son entourage. »
L’arrivée de ces modèles de langage a aussi donné aux robots une capacité conversationnelle qu’ils n’avaient pas auparavant. Tel est le cas de certains robots assistants déjà testés à l’hôpital. Le plus récent est Mirokaï, un robot haut de 1,23 mètre développé en France par Enchanted Tools. En plus de saisir et transporter des objets, ce robot peut aussi parler avec son interlocuteur et exprimer des émotions grâce à un visage projeté. L’Isir étudie actuellement ce robot, notamment pour tenter de rendre l’interaction robot-humain le plus naturelle possible.
Mirokaï, un robot roulant au visage animé conçu par Enchanted Tools, est utilisé depuis octobre 2024 à l’Institut du cancer de Montpellier, où il accompagne les enfants dans le service de radiothérapie pédiatrique. Crédit: HÔPITAL BROCA AP-HP
Depuis octobre 2024, il est utilisé à l’Institut du cancer de Montpellier, où son rôle est d’accompagner les enfants dans le service de radiothérapie pédiatrique et de les rassurer dans leur parcours médical. Ce qui soulève une question: les patients sont-ils vraiment réconfortés par ces robots ? Des chercheurs de l’Inria et de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont tenté d’y répondre, en étudiant les interactions de seniors avec un robot assistant humanoïde au sein du service de gérontologie de l’hôpital Broca, à Paris.
Le robot en question s’appelle Ari, conçu par l’entreprise espagnole PAL robotics. Il peut suivre des conversations en temps réel et même s’adapter à son interlocuteur: en analysant son regard et ses expressions faciales, il peut déduire s’il est content de l’interaction ou s’il s’ennuie. Dans ce cas, il peut changer de stratégie et parler d’autre chose. Les résultats de cette expérience, mis en ligne en preprint (publication non encore validée par les pairs) en avril 2024, montrent que certains utilisateurs n’ont pas voulu interagir avec le robot, mais que la majorité l’acceptait sans problème, grâce à sa capacité conversationnelle. « Un tel robot pourrait rendre l’attente plus simple et agréable « , affirme le directeur de l’étude, Xavier Alameda-Pineda, chercheur à l’Inria.
Ari, conçu par PAL Robotics, a été testé en 2024 à l’hôpital Broca, à Paris, pour accueillir et diriger les patients et visiteurs. Crédit: THE NATIONAL ROBOTARIUM
Les fabricants de ces robots assistants espèrent pouvoir les proposer aux seniors et aux personnes avec un handicap dans un futur proche, pour les accompagner et les aider dans les tâches du quotidien. Mais voudront-ils vraiment de cette compagnie ? Serena Ivaldi en est certaine: « Je pense que si cette technologie parvient à leur redonner de l’autonomie, elle sera acceptée. »
L’acceptation dépend de la culture
Les robots pour le soin arrivent, mais les malades les accepteront-ils ? Cette acceptation aurait une composante culturelle importante, selon une étude de l’université Chiba, au Japon, publiée en novembre 2024 dans Scientific Reports. Les auteurs ont demandé à des seniors et leurs aidants au Japon, en Irlande et en Finlande, ce qu’ils pensaient de ces robots assistants. Le pays avec la plus grande acceptation est le Japon, où près de trois participants sur quatre souhaitent les utiliser. Proportion qui chute de moitié en Finlande.
Cette différence dépendrait de la culture de chaque pays: ainsi, c’est aussi au Japon que les participants déclarent être le plus habitués aux robots et en avoir une meilleure image. En France, une étude de l’hôpital Broca publiée en 2014 dans Clinical Interventions in Aging montre un faible intérêt pour les robots sociaux ainsi qu’une attitude plutôt négative envers ces compagnons robotiques. Mais cela pourrait changer avec les nouvelles générations: selon une étude de l’université de Lorraine présentée à la Conférence internationale de robotique sociale en 2022, les enfants apprécieraient beaucoup plus ces robots que leurs parents.
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