Africa-Press – Benin. Il y a un mois, le cyclone Chido a ravagé l’île de Mayotte, faisant au moins 39 morts et plus de 5600 blessés. Infrastructures, plantations, et écosystèmes sont dévastés, les amas de déchets jonchent les rues et un nouveau risque préoccupe les autorités sanitaires: une épidémie pourrait-elle se déclarer ? Renaud Piarroux est professeur à la Sorbonne Université, chef de service à la Pitié Salpêtrière et spécialiste des épidémies.
Sciences et Avenir: Sur quels facteurs repose le risque d’épidémie après une catastrophe naturelle ?
Renaud Piarroux: On fait constamment état de craintes d’épidémies au décours de catastrophes naturelles, mais le lien entre ces deux calamités n’est pas si simple. Pour les tremblements de terre, par exemple, la survenue secondaire d’épidémies est loin d’être évidente. Ce risque est néanmoins plus important en cas de catastrophe météorologique comme celle qui vient de frapper Mayotte. Lors de cyclones ou d’inondations, plusieurs facteurs peuvent amplifier le risque d’épidémie: destruction des ressources en eau potable, fragilisation des populations dont l’habitat a été détruit, modifications environnementales pouvant favoriser la prolifération de moustiques…
Dans un tel contexte, outre les maladies transmises par les moustiques, il est légitime de surveiller de près l’apparition de maladies diarrhéiques et d’hépatites, de fièvre typhoïde, mais aussi de maladies respiratoires (rougeole, grippe, pneumonies) ou cutanées dont la transmission peut être facilitée par la précarisation des conditions de vie des victimes de la catastrophe. Plus rarement, des cas de leptospirose ont été rapportés, liés à la promiscuité entre les rongeurs et les sinistrés ainsi que des cas de tétanos consécutifs à des blessures survenues lors de la catastrophe ou dans les jours suivants lorsque les victimes tentent de se réinstaller dans les logements détruits.
Quant aux épidémies de choléra, elles surviennent rarement dans de telles circonstances. On sait qu’elles peuvent être favorisées par la saison des pluies en milieu tropical, mais, à de rares exceptions près, les épidémies ne sont pas plus marquées ni plus meurtrières en cas de cyclone. De plus, il faut que le choléra soit déjà présent sur place pour qu’une épidémie survienne. A Mayotte, le risque est donc très minime.
Haïti, un cas à part
En 2010, Haïti a subi deux fléaux majeurs, d’abord un tremblement de terre qui s’est avéré être le plus dévastateur de ce début du 21ème siècle, puis une épidémie de choléra, qui elle aussi fut la plus meurtrière de ces dernières décennies. « En réalité, les deux événements ne sont pas liés, explique Renaud Piarroux. Le tremblement eut lieu en janvier et frappa la région de Port-au-Prince et le choléra, lui, débuta neuf mois plus tard dans le nord du pays, dans une zone épargnée par le séisme. L’importation du choléra était due à une mauvaise gestion sanitaire lors d’un mouvement de troupes de l’ONU dans le cadre d’une mission de la paix qui avait été mise en place en 2004. C’est à l’occasion de la relève d’un contingent de Casques bleus népalais que des matières fécales contaminées par Vibrio cholerae avaient été déversées dans un affluent du fleuve Artibonite dont les eaux étaient largement utilisées par les ménages vivant en aval. »
« L’accumulation de déchets peut être un facteur favorisant certaines maladies infectieuses »
Quelles sont les priorités dans la gestion sanitaire après une catastrophe naturelle ?
Les besoins sont réels après une catastrophe comme le cyclone Chido. Dans les premiers jours, il faut en priorité assurer un approvisionnement en eau potable et en nourriture et trouver des solutions pour abriter les victimes. Il faut aussi assurer le plus rapidement possible un accès aux soins, tant pour les blessures liées à la catastrophe, que pour les maladies banales (diarrhées, fièvres, infections respiratoires, cutanées), sans oublier la prise en charge des maladies chroniques dont on a tendance à négliger l’importance en termes de mortalité.
Le facteur essentiel, et de très loin, est la fourniture d’une eau potable. C’est l’urgence absolue lorsque l’on veut éviter la survenue d’épidémies telles que les maladies diarrhéiques, certaines hépatites, la fièvre typhoïde ou le choléra. Souvent, dans les pays les moins développés, il n’existe pas de réseau d’évacuation des déchets. C’est même le cas dans les bangas (bidonvilles) de Mayotte. Ce sont alors les eaux de surface, à commencer par les rivières, qui charrient les excréta vers la mer. Ces eaux sont donc impropres à la consommation et à la baignade. On en revient à la priorité qui est d’assurer l’accès à une eau potable à la population. L’évacuation des déchets solides est elle aussi un problème chronique, non lié spécifiquement aux situations de catastrophe. L’accumulation de déchets peut être un facteur favorisant certaines maladies infectieuses, soit transmises par les rongeurs qui y trouvent leur nourriture, soit transmises par les moustiques qui peuvent pondre leurs œufs dans les multiples collections d’eau que recèlent les déchets.
« L’enterrement des cadavres ne pose pas de problème (sanitaire) »
A Mayotte, la très grande majorité de la population est musulmane. La tradition veut que les morts soient enterrés dans les 24 heures suivant leur décès. Dans les conditions catastrophiques liées au passage du cyclone, cela pourrait-il représenter un risque sanitaire ?
En réalité, les risques sont très limités en dehors de quelques situations très particulières. La gestion des cadavres est surtout importante en cas d’épidémie à virus Ebola, de choléra ou de peste. Ces trois situations ont donné lieu à des épidémies secondaires à des rituels funéraires lorsque ceux-ci n’étaient pas correctement encadrés. Les rassemblements funéraires et les rituels qui l’accompagnent ont d’ailleurs joué un rôle lors de l’épidémie de choléra qui a frappé Mayotte au printemps dernier. Dans le cas des catastrophes naturelles, et en l’absence de choléra comme actuellement à Mayotte, l’enterrement des cadavres ne pose pas de problème. Les familles ne doivent pas être traumatisées une deuxième fois par des mesures autoritaires qui aboutiraient à leur enlever leurs proches décédés au nom d’un risque infectieux fantasmé. Les cadavres, par eux-mêmes, ne transmettent pas de maladies.
Comment les États peuvent-ils se préparer aux catastrophes naturelles afin de limiter le risque d’épidémie qui s’ensuit ?
La mortalité provoquée par les catastrophes naturelles découle de deux facteurs: l’importance de la catastrophe et la vulnérabilité de la population. Le séisme le plus violent du 21ème siècle est le séisme de Tōhoku. Ce tremblement de terre de magnitude 9,1 est survenu en 2011 au large des côtes nord-est de l’île de Honshū, au Japon. Il a été immédiatement suivi d’un tsunami dévastateur qui fut à l’origine de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Le tsunami, dont les vagues ont pu atteindre jusqu’à 30 mètres de haut, a ravagé des centaines de kilomètres de côtes, pénétrant jusqu’à 10 kilomètres dans des zones souvent très peuplées. Son bilan humain, quoique déjà très lourd avec un peu plus de 18.000 morts et disparus, est pourtant bien moins sévère que le tremblement de terre qui avait frappé Haïti l’année précédente (100 à 300.000 morts selon les sources) ou que le tsunami qui avait pris par surprise plusieurs pays de l’océan Indien en décembre 2004. La différence est que le Japon est le pays au monde le mieux préparé vis-à-vis des séismes comme des tsunamis.
A Mayotte, la vulnérabilité principale tient à la présence de bidonvilles très mal protégés contre les catastrophes où vivaient des dizaines de milliers d’habitants, certains en situation irrégulière, d’autres non. Ces bidonvilles hébergent de très nombreux enfants dont beaucoup sont nés sur place. Le risque qu’il faudrait à tout prix éviter, est que ces bidonvilles se reconstituent dans un contexte sanitaire encore dégradé par rapport à la situation avant Chido, en particulier, sans aucun accès à l’eau potable. Cela augmenterait notablement le risque de maladies à transmission hydrique, dont le choléra. Cependant, interdire leur reconstruction n’a de sens que si une solution alternative de logement est trouvée, prenant en compte les mineurs dont beaucoup sont scolarisés. Rappelons que la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, indique dans son article 3 que dans toute décision concernant un enfant, l’ « intérêt supérieur de l’enfant » doit être une « considération primordiale ». Espérons que cette dimension du problème sera prise en compte avec tout le sérieux qu’elle nécessite.
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