Quelles sont les origines des Yamnayas, qui ont conquis l’Europe il y a 5 000 ans ?

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Quelles sont les origines des Yamnayas, qui ont conquis l'Europe il y a 5 000 ans ?
Quelles sont les origines des Yamnayas, qui ont conquis l'Europe il y a 5 000 ans ?

Africa-Press – Benin. Venus de la steppe pontique, les Yamnayas étaient des pasteurs dont la migration vers l’ouest il y a 5000 ans a durablement marqué le profil génétique des Européens. Mais quels étaient leurs ancêtres et d’où venaient-ils précisément ? Car la steppe pontique, c’est vaste, et les populations qui y ont évolué entre la fin du Néolithique et l’âge du bronze (de 6400 à 2000 avant notre ère) se sont allègrement mélangées, comme le démontrent deux études d’ampleur tout juste publiées dans la revue Nature.

Les chercheurs internationaux réunis autour du paléogénéticien David Reich de l’université de Harvard (États-Unis) réussissent cependant à remonter jusqu’aux origines des Yamnayas, en identifiant, parmi plus de 400 individus inhumés dans la région, le plus ancien porteur d’une ascendance Yamnaya et en retraçant les combinaisons entre populations au gré de leurs migrations.

La paléogénétique retrace les origines des Yamnayas dans la steppe pontique

Apparue vers 3300 avant notre ère, la culture Yamnaya (c’est le terme russe ; en ukrainien: Yamna) se caractérise archéologiquement par la construction de monuments funéraires de type kourgane. Dans ce type de tumulus, les individus sont enterrés dans une fosse funéraire, allongés sur le dos ou sur le côté, les genoux relevés ou fléchis, tandis que le sol est parsemé d’ocre rouge. Mais une pratique rituelle ne suffit pas forcément à déterminer l’origine, c’est pourquoi il est essentiel de recourir à la paléogénétique pour retracer les ascendances et comprendre les trajectoires empruntées par les populations du passé.

Direction la steppe pontique-caspienne donc, c’est-à-dire les régions qui bordent la mer Noire et la mer Caspienne, englobant de nos jours l’Arménie, la Géorgie, la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Albanie, la Hongrie et la Turquie.

Des analyses ADN de 435 individus révèlent des mélanges de populations

Pour leurs deux études, les chercheurs ont analysé l’ADN de 435 individus inhumés dans ces régions entre la fin du Néolithique et l’âge du bronze. Ils découvrent dans un premier temps que les ancêtres des Yamnayas, qui ont vécu à l’âge du cuivre (Chalcolithique ou Énéolithique), relèvent de trois sous-groupes distincts: le premier (cline Caucase-basse Volga) s’est développé dans une zone partant du Caucase vers le cours inférieur de la Volga ; le second (cline de la Volga) résulte du mélange de certains des membres de ce premier groupe avec des populations plus en amont de la Volga ; le troisième (cline du Dniepr) correspond à l’avancée vers l’ouest du premier groupe le long du Dniepr.

Ce dernier mélange de populations avec des chasseurs-cueilleurs néolithiques occupant une zone actuellement située en Ukraine va donner lieu à de nouveaux groupes culturels, les Serednii Stih, à partir desquels les ancêtres des Yamnayas vont se former par un nouveau processus de mélange vers 4000 avant notre ère.

Carte montrant les sites analysés et leur appartenance aux trois clines du Chalcolithique. Crédits: Lazaridis et al., Nature, 2025

Le « noyau Yamnaya » se caractérise par une très forte homogénéité génétique

C’est d’ailleurs au sein de ce groupe que les chercheurs trouvent le « cœur » de la population Yamnaya, sous la forme d’un « sous-ensemble de haute qualité et génétiquement homogène que nous appelons noyau Yamnaya (Core Yamnaya) » constitué d’une centaine d’individus, relatent-ils dans la première étude. Cette homogénéité – qui n’est cependant identifiable que dans les kourganes et donc pour des individus d’élite, concèdent-ils – est tout à fait remarquable puisque le noyau s’étend sur plus de 5000 kilomètres, entre la Hongrie à l’ouest et le sud de la Sibérie à l’est !

Les paires d’individus liés par au moins un segment de gène identique hérité révèlent un réseau clairsemé mais fortement connecté dans la période pré-Yamnaya. Aucun segment identique n’est détectable dans la période pré-Yamnaya au-delà de l’échelle de 1000 km, alors que chez les Yamnayas le partage s’étend jusqu’à environ 6000 km. Cependant, des individus étroitement apparentés ne sont présents qu’à de courtes distances les uns des autres, ce qui indique que le partage de segment identique chez les Yamnayas était un héritage de leur origine commune. Crédits: Lazaridis et al., Nature, 2025

Les Yamnayas sont originaires d’une région restreinte, entre Dniepr et Don

Cela signifie inversement que les ancêtres de ce noyau venaient d’une aire géographiquement restreinte. La première étude la situe dans la région située entre le Dniepr et le Don, c’est-à-dire là où s’est développée la culture Serednii Stih. C’est le creuset où le noyau Yamnaya va se mélanger à des agriculteurs européens et des descendants de chasseurs-cueilleurs néolithiques, ces mélanges précédant l’expansion de la culture de la céramique cordée et des Yamnayas vers l’ouest et vers l’est.

Une croissance exponentielle de la population vers 3500 avant notre ère

Grâce à une modélisation, les chercheurs arrivent à estimer la taille de la population du noyau Yamnaya, qui ne comprend que quelques milliers d’individus seulement. Il apparaît que la croissance de la population se produit vers 3642-3374 avant notre ère, c’est-à-dire à la fin de la période des Serednii Stih. Ce qui leur permet de conclure que « les ancêtres des Yamnayas se sont formés par mélange vers 4000 avant J.-C. avant qu’un demi-millénaire plus tard, un sous-groupe parmi eux développe des innovations culturelles, croisse de manière spectaculaire et se manifeste archéologiquement vers 3300 avant J.-C. ».

Modélisation de l’évolution de l’effectif de la population des ancêtres des Yamnayas à partir des individus des 300 premières années de l’échantillonnage (en orange) et des individus des 300 dernières années (en bleu), l’ombrage indiquant les intervalles de confiance. L’affichage conjoint de ces deux trajectoires révèle une expansion extraordinaire de la population à partir de 3642-3374 avant notre ère, à partir de quelques milliers d’individus. Crédits: Lazaridis et al., Nature, 2025

La région au nord de la mer Noire était un point de rencontre entre populations

Afin de mieux pointer la zone exacte d’origine des Yamnayas, une seconde étude se concentre sur 81 individus originaires du nord de la mer Noire puisqu’il s’agit de la « source des migrations vers l’Europe profonde ». Cette région nord-pontique est aussi un point de rencontre majeur entre populations dès le Néolithique: chasseurs-cueilleurs des Balkans et du Caucase, agriculteurs européens et pasteurs de la steppe. Les chercheurs déterminent ainsi l’existence de trois vagues migratoires, « chacune ayant propagé des ancêtres distincts tout en incorporant des étrangers », précisent-ils. La troisième correspond à l’expansion des descendants Yamnayas des Serednii Stih au cours de l’âge du bronze, vers 3300 avant notre ère.

Au néolithique, des chasseurs-cueilleurs ont pour ancêtres des agriculteurs

L’analyse des génomes de ces 81 individus originaires du nord de la mer Noire aboutit à la détermination de deux sous-groupes génétiques supplémentaires par rapport aux trois déjà mis en évidence dans la première étude: en plus du cline Caucase-basse Volga, du cline de la Volga et du cline du Dniepr, les chercheurs distinguent un cline de chasseurs-cueilleurs européens et un cline d’agriculteurs et chasseurs-cueilleurs européens. Ces données correspondent à une migration des populations des Balkans vers la vallée du Dniepr au cours du 7e millénaire avant notre ère, car ces populations balkaniques ont des ancêtres agriculteurs européens.

Conséquence: les chasseurs-cueilleurs du néolithique ukrainiens descendent en partie de ces agriculteurs européens, ce qui « fournit un exemple extrêmement précoce de l’incorporation d’une ascendance d’agriculteurs dans les communautés de chasseurs-cueilleurs à la périphérie de l’expansion néolithique en Europe ».

Les Yamnayas descendent-ils d’agriculteurs ?

Dans la mesure où le noyau Yamnaya correspond à un mélange de chasseurs-cueilleurs du cline Caucase-basse Volga avec la population de la région pontique, la question se pose donc de savoir si les Yamnayas ont une ascendance d’agriculteurs européens, mais le résultat est négatif. En analysant ensuite le génome de l’individu le plus ancien relevant du noyau Yamnaya, daté de 3653-3383 avant notre ère, inhumé à Mykhailivka (région de Kherson), dans la basse vallée du Dniepr, en Ukraine, il apparaît que cette femme ne possède aucune autre ascendance que ce noyau Yamnaya ; ainsi, elle n’a pas d’ancêtres parmi les chasseurs-cueilleurs ukrainiens, ni parmi les agriculteurs européens.

D’autres individus, originaires de Moldavie, et dont l’ascendance relève majoritairement du noyau Yamnaya, présentent pour leur part des preuves de mélange avec d’autres populations génétiques, alors que d’autres individus inhumés en Ukraine ne montrent aucune trace de mélange avec des agriculteurs européens. Enfin, des individus inhumés en Ukraine dans le nord-ouest de la région pontique présentent un mélange génétiquement proche des populations néolithiques Trypillia de Bulgarie. Les chercheurs en concluent que le premier mélange entre populations Yamnayas et agriculteurs européens, au cours de leur expansion vers l’ouest à partir de l’Ukraine, se serait donc produit dans cette zone nord-ouest de la région pontique.

Carte montrant les lieux d’échantillonnage au nord de la mer Noire. Le site de Mykhailivka est marqué par un losange rouge. Crédits: Nikitin et al., Nature, 2025

Le site de Mykhailivka en Ukraine est le lieu où les Yamnayas sont apparus pour la première fois

Ils en déduisent également que le lieu d’origine des Yamnayas semble bien concorder avec le site de Mykhailivka, en actuelle Ukraine, occupé depuis la fin du Chalcolithique jusqu’à l’âge du bronze. Toute la zone située le long du cours inférieur du Dniepr autour de cet établissement correspond d’ailleurs « à un carrefour de l’ancien réseau de ’routes’ à travers la steppe pontique-caspienne », ajoutent les auteurs, et c’est « le lieu où les Yamnayas sont apparus pour la première fois ».

Comment expliquer l’homogénéité du noyau Yamnaya ?

Pour expliquer l’existence du noyau Yamnaya dans un contexte de mélanges répétés et sur une aire géographique « allant de l’Altaï à la Bulgarie », les chercheurs avancent plusieurs explications: une expansion rapide en premier lieu, mais peut-être aussi, « la conséquence d’un isolement relatif pendant leur période de formation ou d’une volonté d’éviter l’hétérogamie ». Sachant que cette homogénéité ne dure pas, puisque les Yamnayas qui ont ensuite migré vers l’ouest ont des ancêtres issus de communautés diversifiées.

Enfin, les chercheurs notent également que ce mélange génétique à partir du noyau Yamnaya se produit vers 4000 avant notre ère, soit « à l’apogée du hiatus steppique », caractérisé par un brutal changement climatique qui a fait baisser les températures et rendu la steppe aride. « Ainsi, le hiatus steppique peut être une raison de l’émergence de l’ascendance du noyau Yamnaya à partir d’une population proto-Yamnaya naissante dérivée des Serednii Stih qui a été isolée en raison des bouleversements climatiques », conjecturent-ils. Et cet isolement détermine aussi peut-être la volonté de partir ensuite très loin et très vite.

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