Seule reste la musique quand tout s’est effacé

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Seule reste la musique quand tout s'est effacé
Seule reste la musique quand tout s'est effacé

Africa-Press – Benin. Trois notes d’orgue, et vous reconnaissez le morceau. Pourtant, son titre vous échappe, son compositeur aussi, vous ne l’avez pas entendu récemment et il n’y a aucun disque de ce genre chez vous. Vous apprendrez plus tard qu’il s’agissait de la Toccata en ré mineur de Bach. Ce sentiment qu’une musique vous est familière, une demi-seconde suffit pour l’éprouver.

C’est ce qu’ont montré les chercheurs en neurosciences Suzanne Filipic, Emmanuel Bigand et Barbara Tillmann, qui ont fait écouter à des étudiants (non musiciens) 48 extraits musicaux. « La même note répétée trois fois avec un timbre orchestral spécifique suggère le début de la 5e Symphonie de Beethoven, même si le célèbre motif d’ouverture de quatre notes n’est pas complet », ajoutent les auteurs dans leur article, paru en 2010.

Le phénomène vient de ce que le cerveau stocke la plupart des grands tubes, entendus à la radio, dans des films, en fond sonore, qu’on les aime ou non. Toutefois, un stimulus bref ne fonctionne vraiment que si l’auditeur est exposé à des versions originales, et non à des adaptations ou réorchestrations. Car la mémoire n’enregistre pas seulement une suite de notes, mais une structure musicale, une dynamique, des timbres instrumentaux, autant d’éléments qui, combinés, fournissent au cerveau quantité d’informations même en un temps très court. Cette reconnaissance musicale peut aller plus loin.

Des auditeurs qui ne sont, là encore, pas musiciens sont capables de se rappeler un morceau dans la bonne tonalité. C’est l’un des résultats d’une expérimentation menée en 2003 par des chercheurs de l’université de Toronto à Mississauga (Canada) à partir de musiques d’émissions de télévision.

Dans le coma, il se met à fredonner une chanson de son groupe préféré

Mais là où la mémoire musicale reste peut-être la plus impressionnante, c’est quand elle réussit à… sortir des patients du coma. Comme l’Anglaise Charlotte Neve, 7 ans, victime d’une hémorragie cérébrale en 2012. La petite fille s’est mise à sourire lorsque sa mère a commencé à lui chanter Rolling in the Deep d’Adèle. Deux jours plus tard, elle reprenait complètement conscience. En 2013, David Hassal, dans le coma après un accident de voiture, se mit à fredonner les paroles de Livin’on a Prayer de son groupe préféré, Bon Jovi, dont ses parents diffusaient la musique dans sa chambre d’hôpital.

Des cas similaires impliquent des chansons des Rolling Stones, de Green Day, Bryan Adams, des Righteous Brothers… Ils sont liés à ce qu’une équipe de l’université de Californie à Davis (États-Unis) a nommé, dans un article fondateur de 2007, les MEAMs ( music-evoked autobiographical memories ), les souvenirs autobiographiques évoqués par la musique. La recherche a cependant mis du temps à s’intéresser à l’interaction entre musique et mémoire.

« Les premières publications de psychologie scientifique consacrées à l’effet de la musique sur le corps et la cognition, décortiquaient les processus perceptifs et émotionnels ou ceux liés à la créativité. Mais assez peu ceux relatifs à la mémoire », note Hervé Platel, directeur du laboratoire Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine à l’université de Caen Normandie. Il a été l’un des premiers, à partir des années 1990, à mener des travaux d’imagerie cérébrale en la matière. Mais le sujet n’a pris vraiment son essor qu’au mitan des années 2000.

L’une des premières découvertes a été de constater qu’il n’existe pas de zone spécifique du cerveau dédiée à la mémoire musicale. Avec ses notions de fréquence, de timbres, d’instruments, de rythmes, la musique fait au contraire travailler des régions dispersées dans les deux hémisphères. Ce qui a pu être décevant pour des chercheurs en quête d’un « centre de la musique » s’est avéré prometteur du point de vue clinique: « Ce caractère diffus de la fonction musicale lui permet d’être largement préservée des maladies du cerveau, parce que les voies d’entrée sont multiples », poursuit Hervé Platel. À l’inverse du langage, par exemple, contrôlé par un réseau dédié: si cette zone subit des dommages, aucune autre ne peut être sollicitée, ce qui rend le langage bien plus difficile à récupérer.

D’où la mise en place, dans certaines unités de soins neurologiques, d’ateliers musicaux. « On a tous eu l’expérience de patients complètement apathiques qui, soudain, à l’écoute d’une musique qui a du sens pour eux, se redressent, ont les yeux qui s’écarquillent », raconte Hervé Platel. Ce fut le cas, emblématique, de l’ancienne danseuse espagnole de ballet Marta Cinta González Saldaña, 89 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Dans une vidéo qui a fait sensation en 2020 (un an après son décès), on la voit, alors qu’elle est recroquevillée sur elle-même dans un fauteuil roulant, s’animer à l’écoute du Lac des cygnes et reprendre des mouvements de sa chorégraphie des années 1960.

Capables de retrouver d’eux-mêmes une mélodie quatre mois plus tard

Les expériences menées par l’équipe d’Hervé Platel ont aussi montré que des patients atteints de maladie d’Alzheimer peuvent encoder de nouvelles informations, dès lors qu’il s’agit de musique, grâce à des exercices répétés. « On a pu faire apprendre à des patients de nouvelles chansons. Ils n’arrivent pas à retenir toutes les paroles, mais lorsqu’on leur présente le texte quatre mois plus tard, certains sont capables de retrouver d’eux-mêmes la mélodie. » Ils n’ont cependant pas conscience d’avoir appris quelque chose de nouveau.

D’autre part, tous les patients ne sont pas sensibles de la même manière à ces exercices. Reste que vu ses bénéfices, ce type d’activité peut être proposé en prévention à des personnes âgées sans affection cérébrale, ou montrant les premiers signes d’une dégénérescence cognitive. Cela n’empêchera pas cette dernière de s’installer, y compris chez des musiciens, comme ce fut le cas du chef d’orchestre Seiji Ozawa ou du compositeur Maurice Ravel. Mais le déclin sera moins brutal. Et, surtout, une communication pourra se maintenir plus longtemps entre le patient et son entourage.

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