La culture des oranges en danger

La culture des oranges en danger
La culture des oranges en danger

Africa-Press – Burkina Faso. Alerte générale à la « maladie des pousses jaunes » ! Elle menace à l’échelle mondiale tous les agrumes, et les orangers en particulier. Si rien n’est fait, le jus d’orange pourrait ainsi venir à disparaître. Son prix a déjà triplé depuis 2022. Or, les vecteurs de cette maladie sont aux portes de l’Europe: les psylles. Ces insectes suceurs-piqueurs proches des pucerons ont été signalés pour la première fois en 2022 au Portugal et en Espagne et à l’été 2023 à Chypre.

« Vu les ravages causés partout dans le monde, il y a de quoi être très, très inquiet pour les années qui viennent « , estime Raphaël Morillon, directeur de recherche au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Le programme scientifique qu’il a déposé en septembre devant l’Union européenne mobilise 30 partenaires publics et privés de 14 pays de l’Union européenne et du pourtour méditerranéen, comme le Portugal, l’Espagne, l’Italie, Chypre, mais aussi africains et orientaux comme Israël, le Maroc et la Tunisie. Pour être à la hauteur d’un fléau contre lequel il n’y a à ce jour aucun remède totalement efficace.

Le nom scientifique de la maladie est HLB, soit « Huanglongbing », « maladie des pousses jaunes » en chinois (parfois appelée « maladie du dragon jaune »), car elle a émergé en Chine au début du 20e siècle. Les Américains l’ont traduit par « citrus greening » (verdissement des agrumes) en raison des anomalies de couleurs constatées sur les fruits atteints quand elle est apparue dans l’ensemble des Amériques en 2004.

« C’est une maladie bactérienne qui est transmise par un insecte vecteur, comme le paludisme ou le chikungunya chez l’humain « , explique Patrick Ollitrault, généticien au Cirad. La maladie est causée par une bactérie du genre Candidatus liberibacter. Celle-ci colonise les vaisseaux conducteurs de la sève, qui finissent par être obstrués par l’émission excessive de molécules de défense de l’arbre. Les sucres produits dans les feuilles par photosynthèse ne sont plus distribués. Quand les premiers symptômes apparaissent, il est trop tard. Les marbrures jaunes sur les feuilles, la déformation des fruits, l’assèchement de branches signent une mort certaine dans les années qui suivent. « Les orangers vivent habituellement jusqu’à 50 ans. Or, la maladie réduit drastiquement leur durée de vie à moins de 15 ans « , déplore Patrick Ollitrault.

Trois espèces de bactéries ont été identifiées et nommées selon leur zone de diffusion privilégiée: Candidatus liberibacter asiaticus, Candidatus l. africanus (originaire d’Afrique du Sud) et Candidatus l. americanus. Les trois espèces de Candidatus liberibacter se propagent donc grâce aux psylles. Ces hémiptères de 2 à 5 millimètres de longueur insèrent leur rostre dans les plantes pour y sucer la sève. En s’approvisionnant à une plante déjà infectée, ils se contaminent et vont transmettre la bactérie à une plante saine.

Les psylles sont généralement spécialisés dans une catégorie de végétaux. Il existe ainsi deux espèces qui s’intéressent principalement aux agrumes. Le psylle asiatique Diaphorina citri, repéré à Chypre, est le plus redouté car cet excellent vecteur pour la bactérie s’adapte bien au climat des zones qu’il a conquises. D’Asie, ce psylle s’est en effet répandu dans l’ensemble des Amériques du Sud et du Nord et dans les Caraïbes. Le psylle africain Trioza erytreae est plus inféodé aux conditions fraîches des plateaux africains, et moins efficace pour répandre C. liberibacter. C’est lui que l’on retrouve cependant au Portugal et en Espagne depuis 2022.

Pression sur le jus d’orange

Depuis 2022, le prix du jus d’orange du Brésil, désormais seul exportateur mondial depuis la disparition des agrumes de Floride, a triplé. La HLB frappe des arbres par ailleurs affaiblis par la sécheresse. Selon une étude de l’institut des géosciences de l’université de São Paulo (Brésil) publiée en février dernier dans Nature, la région du centre-est brésilien connaît un déficit de pluies depuis les années 1970.

Cette situation va affecter des habitudes de consommation très culturelles. Ainsi, les Allemands boivent principalement du jus d’orange pur quand, en France, près des trois quarts des volumes de boissons fraîches contiennent de 6,5 à 9 % de jus d’orange concentré avec les sodas. La production méditerranéenne ne peut se substituer à celle du Brésil car elle est bien plus faible, moins industrialisée et destinée à 80 % à la consommation en fruit.

L’insecte a voyagé sous forme d’œuf ou de larve

L’émergence de la maladie au Brésil et en Amérique du Nord a constitué une mauvaise surprise. « Nous n’avons pas retrouvé le point d’origine de l’introduction des psylles asiatiques en Amérique, mais le plus vraisemblable est que l’insecte ait voyagé sous forme d’œuf ou de larve grâce aux échanges de végétaux, notamment pour des usages récréatifs, car de nombreux amateurs collectionnent les agrumes « , suppute Virginie Ravigné, chercheuse en écologie des communautés microbiennes au Cirad.

Les effets ont été immédiats. Et ravageurs. Entre 2004 et 2019, au Brésil, 56 millions d’arbres ont été arrachés et près de 45 % des orangers de « la ceinture de citrus  » dans les États de São Paulo et du Minas Gerais, sont aujourd’hui infectés. En Floride, pays de l’orange dont le symbole est présent jusqu’aux plaques d’immatriculation des voitures, le secteur de l’agrumiculture s’est effondré et ne donne pas de signe de renaissance. En deux à trois ans, la production a plongé de 60 % partout aux Amériques et dans les Caraïbes – notamment en Guadeloupe et en Martinique. Si la production d’agrumes (notamment celle d’oranges qui représente 40 % des volumes commercialisés) s’est maintenue, c’est parce que les agriculteurs ont augmenté leurs surfaces.

Ceux-ci ne sont pas restés inertes. Suppléant la défaillance des États-Unis, le Brésil est devenu le premier producteur mondial (après la Chine, qui réserve ses agrumes pour son marché intérieur) en arrachant les arbres infectés et surtout en épandant des tonnages imposants de pesticides. Les champs peuvent ainsi recevoir jusqu’à 46 traitements par an ! Une stratégie qui touche ses limites. « L’insecte a développé pour la première fois une résistance à plusieurs insecticides en 2011 en Floride, détaille Virginie Ravigné. Depuis, des résistances ont été observées pour la plupart des classes d’insecticides de synthèse dont les organo-phosphorés, les carbamates, les pyréthrinoïdes et les néonicotinoïdes.  » Il faut trouver des solutions ailleurs.

Le programme de lutte que le Cirad et ses partenaires présentent à la Commission européenne comprend ainsi plusieurs étages. « La première action de court terme est de diffuser l’information auprès des agriculteurs, des pépiniéristes, mais aussi des citoyens du pourtour méditerranéen pour qu’ils prennent conscience du risque, apprennent à reconnaître la maladie, énumère Raphaël Morillon. La deuxième, c’est de déployer les mesures de prophylaxie, notamment par l’arrachage des arbres atteints. À moyen terme, il faudra trouver et diffuser des techniques de lutte contre les psylles, notamment la lutte biologique. Enfin, à très long terme, les moyens mis dans la génétique déboucheront sur des arbres résistant à la bactérie.  »

Il faut donc en premier lieu donner l’alerte dans toutes les régions agrumicoles européennes et africaines encore épargnées. Cela passe par des campagnes d’information, mais aussi des visites auprès des agriculteurs pour les convaincre d’arracher leurs arbres dès que l’infection est détectée. La stratégie consiste en effet à faire baisser le nombre d’insectes infectés en arrachant le plus vite possible les arbres porteurs de la maladie.

Epidémiologie comportementale

Ce qui implique d’imaginer un système de compensations ou d’assurances qui puisse indemniser des producteurs européens, plus fragiles que les grandes plantations industrielles du Brésil. « On voit ainsi émerger une nouvelle science: l’épidémiologie comportementale, expose Virginie Ravigné. Aux modèles de diffusion de la maladie, se superposent les études socio-économiques sur le comportement des agriculteurs et des entreprises du secteur, leurs réticences face à des mesures difficiles à mettre en œuvre et les conditions de leur participation à la lutte. » Les agriculteurs peuvent ainsi souffrir d’avoir à arracher des arbres qui les ont fait vivre pendant toute leur vie.

Fort heureusement, la lutte biologique contre les psylles a déjà démontré son efficacité. « Les deux psylles africains et asiatiques étaient présents dans l’île de La Réunion dans les années 1960-1970 et le HLB y affectait fortement la production d’agrumes, se remémore Patrick Ollitrault. Mais au début des années 1980, le HLB avait été quasiment éradiqué grâce à deux parasites des psylles affectant chacun une espèce, mais également avec l’aide des pesticides et la mise en place d’un système de production de plants sains pour renouveler les vergers. » Tamarixia radiata s’attaque ainsi aux larves du psylle asiatique et Tamarixia dryi à celles de l’espèce africaine. La diffusion de ces hyménoptères entomophages est désormais pratiquée dans de nombreux pays, dont le Brésil et ses plantations industrielles.

Une autre technique consiste à utiliser la faculté des agrumes à se reproduire de façon asexuée, sans fécondation, ni méiose. Le Cirad et d’autres équipes de chercheurs ont pu observer que ces arbres appelés « tétraploïdes » pouvaient présenter des propriétés supérieures d’adaptation aux maladies et survivre plus longtemps au HLB. L’idée est désormais de développer cette faculté sur des orangers produisant des oranges douces, c’est-à-dire les variétés utilisées pour la consommation ou la fabrication de jus.

Les premiers croisements issus de ce programme de six ans seront testés dans des champs expérimentaux dès avril 2025 en Guadeloupe, puis en octobre 2025 au Brésil. Et ensuite en Espagne et au Portugal. Car il ne reste que quelques mois à la région méditerranéenne pour contrer avec succès l’envahisseur.

Du citron au pamplemousse, une seule famille

Les agrumes possèdent un patrimoine génétique complexe du fait d’une domestication ancienne par l’humain, qui a sélectionné et multiplié à l’identique de nombreuses formes hybrides. Les agrumes cultivés ont une origine asiatique avec cinq ancêtres principaux: Citrus maxima (pamplemoussiers), Citrus reticulata (mandariniers), Citrus medica (cédratiers), Citrus micrantha (une espèce sauvage des Philippines) et Citrus ichangensis qui a contribué à la naissance de plusieurs variétés japonaises dont le yuzu.

L’oranger n’est qu’un hybride issu de croisements entre pamplemoussiers et mandariniers. « Jusqu’en 2016, les généticiens ne se sont pas intéressés à la création de variétés résistantes au HLB parce que l’ensemble des variétés cultivées étaient sensibles à la maladie, raconte Patrick Ollitrault, généticien au Cirad. Mais en 2016, il s’est avéré que diverses espèces éloignées d’origine océanienne – dont le Citrus australasica ou citron caviar – étaient bien résistantes.  » Si ce citron caviar est bien sexuellement compatible avec les autres membres de la famille, il en est cependant génétiquement assez éloigné. Il faudra donc procéder à de très nombreuses hybridations pour pouvoir insérer les gènes de résistance dans les variétés cultivées. Comme il faut quatre ans pour qu’un agrume arrive à maturité et puisse montrer sa capacité à contrer la maladie, l’arrivée d’arbres hybrides résistants va demander beaucoup de temps.

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