Au Burkina Faso, le « train de l’enfer a démarré » pour les Peuls

Au Burkina Faso, le « train de l’enfer a démarré » pour les Peuls
Au Burkina Faso, le « train de l’enfer a démarré » pour les Peuls

Matteo Maillard

Africa-Press – Burkina Faso. La région de Solenzo a une nouvelle fois été le théâtre de massacres perpétrés sur les populations peules par des Volontaires pour la défense de la patrie, supplétifs de l’armée burkinabè. « Jeune Afrique » raconte l’horreur au quotidien.

De sa tête, on ne voit émerger que des tresses plaquées et une boucle dorée à l’oreille gauche. Son bébé est encore emmailloté contre elle. On les croirait endormis. Mais du sang s’écoule de leurs crânes. Un homme, le couteau à la main, jette un dernier cadavre sur l’empilement de corps qui débordent à l’arrière du triporteur bleu. Puis, il s’assied sur la femme, l’entrecuisse du jean bruni de sang. Il signale au chauffeur de démarrer, emportant les victimes du massacre que lui et ses compagnons viennent de commettre vers une fosse commune.

Sur le maillot gris du tueur se détachent la figure d’un lion et ces mots: Groupe d’autodéfense de Mahouna. Autour de lui, plusieurs de ses camarades, fusil en bandoulière, crient et filment la scène. Ils portent des maillots verts les identifiant comme la Force rapide de Kouka. Ces deux unités font partie des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) opérant dans la Boucle du Mouhoun, l’une des régions les plus frappées par le terrorisme au Burkina Faso. Ils sont rattachés aux Forces de défense et de sécurité (FDS) d’Ibrahim Traoré, qui dirige le gouvernement depuis son coup d’État du 30 septembre 2022.

Lundi 10 mars, une vaste opération de ratissage a été déclenchée dans cette région du Nord-Ouest, bordant la frontière malienne. Ce qui devait être un engagement visant les regroupements de jihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) a dérapé en exactions sur les communautés civiles du département de Solenzo. Dans les villages à majorité peule de Bèna, Ban, Darsalam, des civils ont été arrêtés. Sur une vidéo, femmes, enfants et vieillards ligotés au sol subissent les interrogatoires des VDP à la recherche des jihadistes.

Pogroms

Sur une deuxième, ils ont été exécutés. On dénombre une vingtaine de cadavres jonchant la terre, dont de nombreux enfants et adolescents, certains les yeux bandés. Un bébé pleure près du corps de sa mère. « Ne filmez pas ! » répète un milicien hors champs. Les mêmes scènes se répètent dans d’autres villages. « Où sont vos leaders, ceux qui tiennent les fusils ? » lance un VDP à une femme blessée, couchée dans les feuilles mortes. « Je ne sais pas, j’ai mal, il est cassé », murmure-t-elle, pointant vers son dos.

« Ah bon ? Tu n’as rien vu ? Vous les Peuls, vous vous êtes entendus pour nous prendre notre Burkina Faso. Vous n’y arriverez jamais. D’ailleurs, tu sais que pour toi, c’est fini ? » La femme, trop affaiblie, ne répond plus. Elle ne bouge plus. Le milicien soulève l’enfant assis à côté d’elle et l’emporte avec lui. Ces scènes d’une insoutenable violence circulent depuis le 10 mars sur les réseaux sociaux burkinabè, relayées par des associations locales et des organisations de défense des droits de l’homme.

Elles témoignent des pogroms qui ont eu lieu entre le 10 et le 12 mars dans une zone rurale comprise entre les localités de Mahouna, Kouka et Solenzo, dans la province des Banwa, limitrophe de la frontière malienne. Dans ces villages, les populations peules ont trouvé refuge face aux tensions communautaires et à l’armement de dizaines de milliers de jeunes citoyens, les VDP, recrutés après quelques jours de formation afin de gonfler les rangs des Forces de sécurité et de défense, dépassées par les attaques terroristes.

« Achetez vos linceuls »

Le haut-commissaire de la province des Banwa, Sanfiénalé Joseph Sirima, l’avait annoncé deux mois auparavant, mi-janvier, en parcourant la latérite de la caserne du 18e Bataillon d’Intervention Rapide (BIR): « 2025 sera une année de grande victoire des FDS et des VDP sur l’ennemi ». Il s’agissait de laver l’affront survenu le 21 novembre 2024, lorsque les jihadistes ont débordé une position des VDP dans le département de Solenzo, tuant quinze de leurs membres.

Exaspérées par l’aggravation de la situation sécuritaire, les populations de Solenzo s’étaient violemment retournées contre le chef de canton qui avait été lynché à mort par la foule. Une agression rarissime au Burkina Faso, où les autorités traditionnelles et religieuses sont en général épargnées par les colères populaires. Craignant une profonde rupture de confiance avec les forces armées, les autorités de Ouagadougou ont remplacé, début janvier, le commandant du 18e Bataillon d’intervention rapide (BIR), en charge des VDP de la zone, par un jeune officier fougueux: le capitaine Papa Parfait Kambou.

Passant en revue leurs troupes, le haut-commissaire Sirima et le capitaine Kambou les ont galvanisées à grand renfort de formules chocs. Le commissaire d’appeler les VDP à « gronder comme le tonnerre et à frapper comme la foudre », quand le capitaine s’est adressé directement aux terroristes: « Achetez vos linceuls car le train de l’enfer a démarré. » Un message repris en boucle sur des réseaux sociaux burkinabè, friands de souverainisme bravache.

Bétail des bergers assassinés

Un blanc-seing, aussi, pour de nombreux miliciens VDP, qui y ont vu la validation tacite de leur déchaînement de violence. « Il ne se passe pas un jour sans que les VDP perdent des hommes dans cette région, souligne Newton Ahmed Barry, journaliste burkinabè en exil. Ce qui s’est passé cette semaine est une opération de représailles contre les Peuls. A défaut d’atteindre ceux qui ont attaqué et tué leurs camarades, ils se défaussent sur les civils peuls qu’ils considèrent comme des complices, car de la même ethnie que les jihadistes… Et le gouvernement consent, puisqu’il ne condamne jamais ces actes. »

Le premier jour du massacre, la mairie de Solenzo a publié un communiqué. Non pour alerter sur les violences qui déferlaient contre des civils de sa circonscription, mais pour prévenir que 463 bœufs et 41 moutons avaient été saisis dans le cadre des opérations des forces de sécurité. « Les éventuels propriétaires sont priés de se présenter à la mairie, accompagnés de leurs témoins, pour identifier et entrer en possession de leurs animaux, avance le communiqué. Passé un délai de trois jours, lesdits animaux seront vendus aux enchères publiques au profit du budget communal. » Ce que la mairie ne précise pas, c’est qu’elle sait que personne ne viendra le chercher. Ce bétail est celui des bergers peuls assassinés.

Source: JeuneAfrique

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