Africa-Press – Burkina Faso. Si tous les animaux connaissent l’expérience du sommeil, cet état particulier d’inactivité comportementale a essentiellement été étudié chez l’humain et le rat, en laboratoire. Pour mieux comprendre les mécanismes et le rôle du sommeil, Paul-Antoine Libourel, de l’équipe Sleep du Centre de recherche en neurosciences de Lyon, explore depuis de nombreuses années le sommeil chez d’autres lignées, des manchots aux lézards.
Sa dernière publication scientifique, « qui représente le compte-rendu de dix années de recherches comparatives de l’activité cérébrale d’espèces appartenant à des lignées éloignées les unes des autres », révèle l’existence d’un rythme global, ultra-lent, qui module à la fois l’activité cérébrale et le fonctionnement du corps pendant le sommeil. Et qui semble le structurer depuis 300 millions d’années.
Une oscillation qui traverse le cerveau endormi
Ce rythme ultra-lent, dont la période se compte en dizaines de secondes, avait déjà été observé chez l’humain et la souris. Chez cette dernière, « sa rythmicité est couplée au sommeil lent », explique Paul-Antoine Libourel. L’idée était de savoir si ce motif est un raffinement propre aux cerveaux de mammifères, ou une composante plus ancienne du sommeil des vertébrés.
Pour y répondre, le chercheur, son équipe et plus d’une dizaine d’organismes de recherche ont enregistré simultanément les activités cérébrale, cardiaque, respiratoire, musculaire, oculaire et vasculaire chez des animaux endormis appartenant à des lignées très éloignées les unes des autres sur l’arbre de l’évolution.
Sept reptiles (geckos, agames, tégu, caméléons, dragons barbus), un oiseau (le pigeon) et deux mammifères (la souris et l’humain) ont ainsi été observés. De plus, chez le dragon barbu et la souris, de l’imagerie fonctionnelle par ultrasons (une technique qui permet de suivre les variations du volume sanguin cérébral) a également été utilisée.
Les résultats, publiés dans la revue Nature Neuroscience, indiquent que chez toutes les espèces étudiées, le sommeil s’accompagne d’un rythme ultra-lent et régulier qui module la puissance de l’activité cérébrale. Chez les reptiles, il se synchronise avec la respiration, la fréquence cardiaque, le tonus musculaire et les mouvements oculaires. Chez les caméléons, il va même jusqu’à se manifester à la surface du corps, sous la forme de variations lentes de la brillance de la peau.
Une architecture ancienne qui rebat les cartes du sommeil reptilien
L’étude ne se limite pas à décrire ce motif commun. Elle s’attaque à une question de fond en biologie du sommeil: qu’est-ce qui, dans l’architecture du sommeil, est réellement ancestral, et qu’est-ce qui est apparu plus tard, avec les mammifères et les oiseaux? Et surtout, peut-on finalement comparer les différentes phases du sommeil entre toutes les espèces étudiées? Dit autrement, il s’agit de se demander si les lézards rêvent ou si cette activité complexe est l’apanage de certains animaux seulement.
Le fait de retrouver ce rythme ultra-lent chez des lignées qui ont divergé il y a plus de 300 millions d’années plaide pour une origine très ancienne. Il reste également à comprendre le rôle de ce rythme ultra-lent conservé par l’Evolution. Chez le dragon barbu et la souris, les oscillations ultra-lentes de l’activité cérébrale s’accompagnent de fluctuations synchrones du volume sanguin cérébral. Chez les mammifères, des travaux récents ont suggéré que ces oscillations pourraient jouer un rôle dans l’organisation du sommeil profond et dans l’élimination des déchets métaboliques du cerveau, en modulant la circulation des fluides cérébraux. « Il est également possible que ces fluctuations soient adaptatives et permettent aux animaux d’alterner des fluctuations de vigilance au cours de leur sommeil, de manière à rester conscients de leur environnement », précise Paul-Antoine Libourel.
Depuis une dizaine d’années, certains lézards sont décrits comme alternant des états rappelant le sommeil lent et le sommeil paradoxal. Mais l’analogie reste discutée. L’existence d’un rythme ultra-lent, commun aux reptiles, aux oiseaux et aux mammifères, suggère que le sommeil est un processus complexe qui ne se résume pas à une alternance entre sommeil lent et paradoxal. Il pourrait exister, en arrière-plan, une organisation plus fondamentale encore, plus lente, qui structure le sommeil bien en amont de ces divisions.
En mettant au jour ce métronome partagé, l’étude ne ferme pas les débats. Elle les déplace. Avant de savoir si un caméléon rêve, elle invite à se demander comment, depuis plus de 300 millions d’années, les cerveaux endormis orchestrent leur repos. « Quelles régions cérébrales génèrent ces rythmes? Quels sont les mécanismes qui cadencent le sommeil? Et en définitive, quel est le véritable rôle du sommeil? », s’interroge le scientifique.
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