Mort de huit orpailleurs dans le Bam : « La police n’est pas habilitée à sécuriser les sites miniers au Burkina », Hermann Konkobo

Mort de huit orpailleurs dans le Bam : « La police n’est pas habilitée à sécuriser les sites miniers au Burkina », Hermann Konkobo
Mort de huit orpailleurs dans le Bam : « La police n’est pas habilitée à sécuriser les sites miniers au Burkina », Hermann Konkobo

Africa-PressBurkina Faso. Dans la nuit du mercredi 1er au 2 septembre 2021, huit orpailleurs clandestins ont péri après s’être frauduleusement introduits dans des galeries appartenant à la société minière Bissa Gold de Sabcé, dans la province du Bam, région du Centre-nord. Dans un communiqué en date du 2 septembre, le procureur du Faso a signifié que lors des investigations, deux rescapés ont fait état de l’utilisation de gaz lacrymogène entraînant la panique et l’étouffement des orpailleurs. Le même communiqué annonçait l’ouverture d’une enquête contre X pour homicide involontaire. M. Hermann Konkobo, spécialiste des conflits liés à l’exploitation des ressources naturelles à l’université Joseph Ki-Zerbo donne son avis sur ce drame à . Lisez !

De prime abord, je voudrai souhaiter un prompt rétablissement aux blessés artisans miniers et adresser mes sincères mots de compassion aux familles des 8 artisans miniers ayant perdu la vie suite à ce rapport conflictuel entre la mine Bissa Gold et les artisans miniers.

Les éléments dramatiques du 1er et 2 septembre 2021 sur le site de la mine industrielle Bissa Gold dans la commune rurale de Sabcé, s’inscrivent dans ce que nous appelons dans la littérature scientifique les « conflits miniers ». La particularité de ce dernier cas, est que c’est un conflit minier qui oppose les miniers industriels aux artisans miniers, avec l’implication des communautés riveraines de la mine.

Au Burkina Faso, ce type de conflits miniers se manifeste par diverses actions de protestation accompagnées parfois de violents affrontements avec d’énormes dégâts humains et matériels, pendant les différentes phases du cycle minier industriel (recherche, construction et exploitation de la mine). Ces dix dernières années, l’analyse de la dynamique des conflits miniers indique un rapport quasi-conflictuel entre ces deux acteurs autour du contrôle de la ressource or, dans toutes les régions minières du Burkina Faso.

Rapport conflictuel entre les artisans minier et Bissa Gold

Ce fut les cas à Youga en 2019 avec la Compagnie minière burkinabè (BMC), à Boudri avec SOMISA, à Inata avec la société minière de Belahouri (SMB), à Houndé avec Endeavour Mining, etc. Pour le cas de Bissa, l’hypothèse probable est que des artisans miniers se seraient introduits dans une des fosses déjà exploitées et abandonnées ou non encore exploitées par la mine afin de récupérer du minerai aurifère. Ce qui a pu occasionner huit pertes en vie humaines, des dégâts matériels énormes et des manifestations professant le départ de la mine.

Pour mieux comprendre ce rapport conflictuel entre les artisans miniers du Bam et la mine Bissa Gold, la question ci-après mérite d’être posée : comment l’introduction des artisans miniers dans une des fosses épuisées ou pas de la mine Bissa peut-il engendrer autant de mobilisation, de dégâts humains et matériels ?

Premièrement, Il faut remonter dans le temps. En effet, la mine industrielle Bissa Gold est une filiale de la multinationale Russe Nord Gold. C’est une emprise d’exploitation de plus 129 Km² (soit plus de 12 00 hectares) où cohabitaient l’agriculture, l’exploitation minière artisanale et qui englobait les villages de Bissa, Imiougou, Zandkom, Bouly.

Suite à l’acquisition légale de son permis d’exploitation en 2010, la mine a procédé à la délocalisation des villages et à l’indemnisation des champs pour cinq ans à l’exception des artisans miniers qui ont été déguerpis sans autres formes de procès. Il est important de préciser que la loi minière du Burkina Faso donne une primauté à l’exploitation minière industrielle au détriment de l’artisanat minier.

Par conséquent, les artisans miniers ne sont pas pris en compte dans les indemnisations. Ces derniers ont donc été exclus de toute forme d’indemnisation par la mine. Aussi, les communautés riveraines des villages délocalisées ayant perçu une indemnisation monétaire de cinq ans, estiment que les échéances du contrat sont atteintes et appellent la mine depuis 2017 à de nouvelles négociations sur leurs terres.

Déjà en 2014 et 2016, des protestations de communautés riveraines, avec blocage de l’accès à ladite mine, exprimaient le rapport conflictuel entre la mine Bissa Gold et les communautés riveraines (habitants, agriculteurs et artisans miniers). Pour me résumer, il y existe un rapport conflictuel dynamique et permanent entre les miniers industriels et les artisans miniers autour du contrôle des ressources naturelles (aurifère et terre agricole). Ce qui peut expliquer l’ampleur de la mobilisation des communautés riveraines et des artisanats miniers à la fois pour dénoncer et réclamer réparation mais aussi demander le départ de la mine de leur localité.

Malédiction du leadership et de la gouvernance

Le second niveau de compréhension de ce conflit minier à Bissa Gold peut s’expliquer par la malédiction du binôme « leadership et gouvernance » (Matata Ponyo 2019) de ressources naturelles au Burkina Faso. La malédiction du leadership et de gouvernance s’entend par l’absence de vision prospective, de capacités patriotiques des autorités du pays ainsi que la défaillance des institutions de gouvernance du secteur minier dans l’affirmation et la prise en compte des intérêts des communautés rurales dont les artisans miniers.

Cette malédiction du leadership et de la gouvernance des ressources minières se traduit par une concurrence malsaine entre artisans miniers et miniers industriels. La politique de promotion des investissements directs étrangers (IDE) auquel le pays a souscrit se matérialise dans le code minier par les articles 72 et 73 donnant ainsi la primauté exclusive consacrée au secteur minier industriel qui est le domaine de prédilection des multinationales minières étrangères.

Dans ce discours sur les IDE, l’ouverture du secteur minier aux capitaux étrangers, l’échelle nationale prédomine (c’est-à-dire les expropriations des ressources par l’Etat), au détriment de groupes spécifiques de citoyens dont les artisans miniers et les populations locales. Ce qui peut aisément expliquer l’indignation générale des communautés riveraines (artisans miniers et populations locales) et l’ampleur des dégâts enregistrés par Bissa Gold.

Office national de sécurisation des sites miniers

Dans ce contexte d’expropriation, l’Agence nationale de l’encadrement des exploitations minières artisanales (ANEEMAS) et l’Office national de sécurisation des sites miniers (ONASSIM) présentent l’image d’institutions défaillantes parce que la carte d’artisans miniers et la détention d’une autorisation d’exploitation artisanale (AEA) ne résolvent pas fondamentalement l’exclusion des artisans miniers dans la chaîne de l’exploitation minière aurifère au Burkina.

Aussi, certains parmi les artisans miniers ayant perdu leurs sources de revenu (orpaillage) s’incrustent parfois dans la zone exploitée et abandonnée ou soit la zone non encore exploitée du périmètre de la mine, et parfois avec la complicité des agents de sécurité. Cependant, est-ce que cela peut justifier l’intervention de l’équipe de la compagnie républicaine de sécurité (CRS) ?

En plus, lorsque vous lisez le communiqué de la direction générale de la police nationale, il fait mention de l’intervention d’une équipe de la CRS. Pourtant, la CRS ou la police n’est pas l’organe sécuritaire institutionnel chargé de la sécurisation des sites miniers au Burkina Faso C’est plutôt l’ Office national de sécurisation des sites miniers (ONASSIM). Créée en 2013, l’ONASSIM est dédiée au secteur minier et dans ses missions est censée avoir des contacts et des liens avec les acteurs impliqués par les sensibilisations qu’elle mène sur le terrain.

Ainsi, on pourrait supposer que si l’ONASSIM avait été présente, peut-être que son intervention aurait pû éviter ces pertes en vies humaines. Si jusque-là, cette institution n’arrive pas à se déployer convenablement sur les sites miniers (nous n’évoquerons pas les raisons ici), cela explique la défaillance institutionnelle dont nous faisions cas plus haut.

Criminalisation des artisans miniers

Ainsi, la primauté consacrée aux miniers industriels par les textes au détriment des miniers artisanaux a abouti à la méconnaissance et à la criminalisation des artisans miniers. Donc, l’idée d’un secteur informel regroupant plus d’orpailleurs clandestins s’avère plutôt être un euphémisme stratégique construit par les néolibéralistes, masquant ainsi l’inégalité et l’exploitation au sein du secteur minier burkinabè, et qui laisse apparaître implicitement une lutte de classes sociales dans les localités à atouts aurifères.

A mon avis, le procureur du Faso, près du tribunal de grande instance de Kongoussi est dans son devoir de porter plainte ou poursuivre les auteurs des dégâts notamment humains, selon la procédure en la matière. Maintenant, est ce que l’issue judiciaire, quelqu’en soit le verdict, mettra fin ou atténuera le rapport conflictuel entre les artisans miniers et la mine Bissa Gold ?

Moi, je suis sceptique, car si les dégâts humains et matériels liés à ce conflit minier soulèvent évidemment des faits juridiques tels que poursuivis par le procureur, il ne résout pas les faits d’inégalité et la criminalisation des artisans miniers. Et si l’on y prend garde, ce contexte d’inégalité ou le secteur minier artisanal de l’or représente une source importante de revenus pour les communautés rurales en proie au terrorisme peut aboutir à ce que certains économistes comme Richard Auty qualifient de « malédiction des ressources naturelles ou encore le paradoxe de l’abondance des ressources naturelles » au Burkina Faso. Propos recueillis par : Dofinitta Augustin Khan

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