cinq questions pour comprendre le recrutement massif de VDP

cinq questions pour comprendre le recrutement massif de VDP
cinq questions pour comprendre le recrutement massif de VDP

Africa-Press – Burkina Faso. LE DÉCRYPTAGE DE JA – Ibrahim Traoré l’a clairement annoncé : il a pris le pouvoir pour faire la guerre aux groupes jihadistes qui gangrènent son pays. Pour parvenir à ses fins, le capitaine de 34 ans, officiellement investi président de la transition jusqu’en 2024, a pris une mesure spectaculaire (et décriée par certains) : le recrutement de 50 000 volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Ces supplétifs civils doivent, selon les autorités, « renforcer les rangs de l’armée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ».

L’annonce de ce recrutement massif a été faite les 24 et 25 octobre par le commandant de la Brigade de veille et de défense patriotique (BVDP), le colonel Boukaré Zoungrana, nommé depuis ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité. Mais elle pose de nombreuses questions, notamment sur sa mise en œuvre. Jeune Afrique fait le point.

1- Qui sont les VDP ?

Les volontaires pour la défense de la patrie sont des supplétifs civils des forces de défense et de sécurité burkinabè. Leur statut est défini par la loi du 21 janvier 2020, adoptée par l’Assemblée nationale lorsque Roch Marc Christian Kaboré était au pouvoir.

Selon ce texte, le VDP « est une personne physique de nationalité burkinabè, auxiliaire des forces de défense et de sécurité, servant de façon volontaire les intérêts sécuritaires de son village ou de son secteur de résidence, en vertu d’un contrat signé entre le volontaire et l’État ». Sa mission « est de contribuer, au besoin par la force des armes, à la défense et à la protection des personnes et des biens de son village ou de son secteur de résidence ». Toujours d’après cette loi, il « doit obéissance à l’autorité militaire » et « est astreint à collaborer avec les autres forces de défense et de sécurité ».

Depuis leur déploiement officiel, début 2020, les VDP sont souvent en première ligne face aux groupes jihadistes qui attaquent le pays. Aucun bilan officiel n’existe, mais ils sont déjà nombreux à avoir été tués. Parmi eux, des personnalités connues et respectées pour leur engagement patriotique, tel Ladji Yoro, un chef VDP de la région de Ouahigouya dont la mort a provoqué unémoi national en décembre 2021.

2- Comment sont-ils recrutés et formés ?
Selon la loi du 21 janvier 2020, le recrutement des VDP se fait au niveau de leur village ou de leur secteur de résidence « sur la base du volontariat, subordonné à l’approbation des populations locales, en assemblée générale ». Ils doivent être majeurs et de nationalité burkinabè.

Le communiqué publié le 24 octobre par la Brigade de veille et de défense patriotique précise que les candidats devront être « patriotes et de bonne moralité », mais aussi être « physiquement et psychologiquement » aptes. Le texte précise également qu’ils ne seront définitivement enrôlés qu’à l’issue d’une « enquête de moralité ».

Une fois retenus, les VDP s’engagent par un contrat d’un an, renouvelable chaque année dans la limite de cinq ans. Ils bénéficient ensuite d’une formation initiale de quatorze jours auprès des forces de défense et de sécurité burkinabè. Dans ce cadre, ils reçoivent surtout une arme – généralement un fusil mitrailleur de type AK-47 – et des moyens de communication qu’ils conserveront pour mener leurs missions de sécurisation.

Chaque groupe de VDP bénéficie par ailleurs d’un appui financier de l’État de 200 000 F CFA par mois. Les VDP touchent également une prime en cas de blessure – et leur famille en perçoit une s’ils décèdent. Ils n’ont pas de droit à la retraite mais une prime de démobilisation leur parvient à l’échéance de leur contrat.

3- Pourquoi Ibrahim Traoré mise-t-il sur ces supplétifs ?
Lorsqu’il a pris le pouvoir, le capitaine Ibrahim Traoré a lourdement insisté sur l’urgence de la situation sécuritaire et a promis qu’il irait vite – se risquant même à déclarer qu’il réglerait en trois mois un problème que le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba n’avait pu résoudre en huit.

Officier de terrain en première ligne face aux groupes jihadistes dans le Nord et l’Est ces dernières années, il a mûri une stratégie militaire assez claire. Il compte ainsi adopter une posture plus offensive en accélérant et en généralisant le déploiement des « unités de marche » lancées sous Damiba.

La mission de ces unités d’infanterie mobiles est d’aller au contact des groupes jihadistes sur le terrain. « Elles ont pour but d’aller chercher l’ennemi plutôt que de le laisser nous surprendre comme cela est trop souvent le cas », explique une source militaire.

Le recrutement massif de VDP est censé accompagner cette nouvelle stratégie militaire – tout comme celui, annoncé mi-octobre, de 3 000 soldats supplémentaires. S’ils sont aussi nombreux qu’annoncé, nul doute que ces VDP seront appelés à appuyer les forces de défense et de sécurité dans l’opération reconquête souhaitée par Traoré.

Pour certains, notamment parmi les militaires, ce recours annoncé à de nouveaux VDP est d’abord un aveu d’impuissance de l’armée. « Ce n’est pas en ajoutant 50 000 supplétifs à une armée de 22 000 hommes que nous allons régler notre problème sécuritaire, critique un officier. Quel matériel et quelles armes allons-nous leur fournir ? Nous peinons déjà à équiper nos propres soldats. »

4- Où sont déployés les VDP ?
Les VDP sont présents partout sur le territoire national. Leur nombre exact est difficilement estimable, entre ceux qui sont officiellement enregistrés comme tel et ceux qui se disent VDP mais qui agissent de façon informelle, tels les groupes d’autodéfense Koglweogo. Au total, ces différents supplétifs armés seraient actuellement entre 10 000 et 15 000 au Burkina Faso.

D’après le communiqué de la BVDP, 15 000 VDP seront recrutés afin « de prendre part aux opérations militaires sur le théâtre national ». Concrètement, ils pourront donc être déployés sur l’ensemble du territoire burkinabè.

Les 35 000 autres seront, eux, des « VDP communaux » dont la mission sera de « protéger les populations et les biens » dans leur commune d’origine. Soit une centaine de VDP par commune (le Burkina Faso compte 302 communes rurales et 49 communes urbaines).

5- Pourquoi les VDP font-ils polémique ?
Pour beaucoup, les VDP ne font qu’aggraver les problèmes sécuritaires qui minent le Burkina Faso. Ces supplétifs civils sont en effet accusés d’attiser les conflits intercommunautaires apparus dans le sillage des premières attaques jihadistes, en 2015.

Alors que les groupes d’autodéfense Koglweogo et les VDP recrutent majoritairement au sein de la communauté mossi, les groupes jihadistes, eux, puisent largement dans la communauté peule. De quoi nourrir les exactions ethniques locales et engendrer un cycle de violences et de représailles sans fin.

Depuis l’émergence de ces groupes d’autodéfense et l’institutionnalisation des VDP par l’État, les tueries intercommunautaires sont récurrentes au Burkina Faso. Les massacres de Yirgou, en 2019, et de Solhan, en 2021, durant lesquels plusieurs centaines de civils ont été tués, avaient choqué le pays.

Avec l’annonce de ce recrutement massif de volontaires, certains estiment que les nouvelles autorités ne font que jeter de l’huile sur le feu et redoutent que les tensions ethniques s’intensifient. « Cela ne va faire qu’accélérer le processus de massacres intercommunautaires », s’inquiète une source sécuritaire.

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