Africa-Press – Burkina Faso. Nous l’avions rencontré la dernière fois en 2017 pour la sortie de La vie de château, une comédie lumineuse sur l’univers des salons de coiffure afro dans l’un des derniers quartiers populaires de Paris.
Scénariste, réalisateur, slameur et acteur, Jacky Ido tenait le premier rôle dans ce film « communiste à petit budget » – selon sa propre formule –, coréalisé par son frère Cédric, où comédiens, techniciens et réalisateurs touchaient le même cachet. Le Franco-Burkinabè avait alors un temps déserté les plateaux de tournage de The Catch, une série produite par Shonda Rhimes pour la chaîne américaine ABC.
Scénariste, réalisateur, slameur et acteur, Jacky Ido tenait le premier rôle dans ce film « communiste à petit budget » – selon sa propre formule –, coréalisé par son frère Cédric, où comédiens, techniciens et réalisateurs touchaient le même cachet. Le Franco-Burkinabè avait alors un temps déserté les plateaux de tournage de The Catch, une série produite par Shonda Rhimes pour la chaîne américaine ABC.
Cinq ans plus tard, après quelques pérégrinations à travers le monde (notamment un film en italien, Scappo a casa avec Aldo Baglio, un autre en anglais, The Widow avec Kate Beckinsale…), on le retrouve là où personne ne l’attendait : au théâtre, dans Bérénice de Racine, aux côtés de l’actrice française Carole Bouquet. Un pari osé pour ce baroudeur qui ne s’était jamais essayé au théâtre classique, mais que la critique dit bouleversant dans le rôle d’Antiochus.
Vous passez d’acteur de séries américaines à acteur de théâtre classique. C’est le grand écart !
Les contrastes me nourrissent. J’ai toujours aimé faire des choses qui me sortent de ma zone de confort. Pour cette première expérience théâtrale, dont je rêvais depuis longtemps mais que j’appréhendais aussi, j’ai eu la chance d’avoir pour metteur en scène Muriel Mayette Hortz, première femme à avoir dirigé la Comédie-Française et la Villa Médicis. Sa manière de poser le regard sur les gens les libère, leur donne confiance en eux. En tant que réalisateur et auteur, je possédais déjà, de façon théorique, la technique théâtrale, la projection de voix, le mouvement dans l’espace.
Bien sûr, mon expérience scénique en tant que slameur et acteur contribuent à mon aisance sur scène. Bien sûr, l’accompagnement de mes camarades est prépondérant dans la manière dont j’aborde cette nouvelle expérience. Au cinéma, j’aime bien apporter des couleurs différentes à chaque prise. Au théâtre, j’aime l’idée de me lancer sans filet et de traverser en toute vulnérabilité les émotions que requiert la pièce. Dans cette mise en scène épurée, où l’on ne peut s’appuyer que sur les mots parce qu’on n’a rien d’autre dans cette chambre intimiste, on est comme des monolithes disant des textes. Tout devient subtil, tout mouvement participe au discours.
Vous tenez le rôle d’Antiochus dans Bérénice, la tragédie de Racine, aux côtés de Carole Bouquet. Êtes-vous pour le color-blind casting ?
Le monde de l’époque avait plus ou moins la même physionomie qu’aujourd’hui. Il y avait des Maures en Europe ! Antiochus est le roi de Commagène et, vu la position géographique de son royaume, il ne serait pas tout à fait absurde de le dépeindre comme une personne de couleur. Je trouve plutôt que ce casting remet un peu les choses à l’endroit et s’approche de la réalité si on ose la gratter. Les Noirs ne sont pas apparus en Europe du seul fait de l’esclavage. Les choses sont plus nuancées quand on se donne la peine d’explorer l’histoire.
Et cela n’enlève rien à l’intrigue…
Évidemment, non. De plus, dans sa mise en scène, Muriel Mayette Hortz a pris le parti de moderniser la pièce. Dans cette chambre minimaliste, avec très peu d’objets sur lesquels on peut s’appuyer, et ces costumes modernes, on entre dans un triangle amoureux qui nous éloigne de la pièce d’origine et de la réalité de l’époque. Le positionnement politique a été expurgé de la pièce, qui se recentre sur l’intrigue amoureuse entre Bérénice, Titus et Antiochus. Cela justifie le fait que le rôle soit tenu par un acteur qui peut traverser les émotions exaltées dans lesquelles se trouve plongé Antiochus, tiraillé entre son amitié et son amour. Dès l’instant où l’on peut ressentir cela et prêter au personnage des émotions qui nous sont propres, il n’y a pas de question à se poser.
Dans un précédent entretien à Jeune Afrique, vous disiez avoir coutume de mettre votre bagage africain au service de votre cinéma. Est-ce possible dans le théâtre classique ?
Plus on plonge en soi, plus on tend vers l’universel. Le fait de replonger dans mon africanité et d’évoluer à partir de ça me rend accessible à tout spectre humain. Plus clairement, dès lors que je plonge au plus profond de moi, je peux parler à n’importe quel humain. La meilleure façon d’y arriver, c’est de ne pas nier son identité et de s’y confronter réellement. Je suis un Burkinabè né à Ouagadougou, qui a grandi entre le Burkina Faso et Stains jusqu’à mes 11 ans avant de m’installer dans cette banlieue parisienne. Puis j’ai fait le tour du monde pour jouer dans quelque dix langues différentes. Je suis une hybridation de toutes ces expériences, mais je pars de ma souche burkinabè. C’est sur ce terreau qu’a fleuri et grandi toute cette végétation. Je l’assume pleinement. C’est ce qui me permet de me reconnaître dans toute l’humanité et d’incarner mes personnages.
Vous avez joué pour Quentin Tarantino dans Inglourious Basterds, aux côtés de Brad Pitt, pour Michel Serrault dans Les enfants du pays, ou encore pour Shonda Rhimes dans The Catch. Mais vous ne serez pas au Fespaco, le plus grand festival de cinéma africain…
Le Burkina Faso est mon pays, je peux y retourner pour voir ma famille quand je veux. Mais j’aimerais m’y rendre un jour pour le Fespaco, avec un véritable projet professionnel. J’aurais apprécié qu’on me propose de présenter mes films ou d’animer une master class, afin de me rendre utile. Pour l’instant, je n’ai reçu aucune proposition. Je sais que les gens se battent pour faire exister ce festival, qui reste une des plus belles manifestations culturelles en Afrique.
La situation politique de votre pays vous inquiète-t-elle ?
Le Burkina Faso a été, pendant de nombreuses années, l’un des pays bénis de cette sous-région. Nos ressources minières ne drainaient pas à nos portes des conflits armés mettant en péril les populations. Nous n’avions pas de problème d’intégrisme religieux. Nous étions une plaque tournante culturelle et politique, où l’humain prenait le pas sur tout le reste. Malheureusement, les conflits alentours ont gagné notre sol. Et il y a eu deux coups d’État, heureusement sans trop d’effusion de sang. Je croise les doigts pour que la situation ne dégénère pas davantage. Cela reste un traumatisme, mais le Burkinabè est résilient.
Quelle lecture faites-vous de la mise à l’écart, au moins partielle, de la France par le Burkina Faso, qui semble ainsi calquer ses pas sur ceux du Mali ?
Le grand enjeu pour l’Afrique, surtout dans cette région, est de déterminer quelles seront les influences géostratégiques qu’elle subira dans les années à venir. Mais on a malheureusement l’impression qu’il s’agit d’abord de définir le parfum du colonialisme new-look qui se profile. Quelles puissances étrangères – France, Canada, Russie, Chine, États-Unis… – vont prendre en main le destin de notre continent ? Ne serons-nous pas lésés ? C’est effrayant de voir que nous restons un gâteau, qui est juste en train d’être réparti différemment, sans doute à notre détriment. J’aimerais tant que nous nous affranchissions de ces tutelles.
Les pouvoirs militaires constituent-ils une solution pour cette souveraineté que vous appelez de vos vœux ?
On a vu, dans de nombreuses contrées, ce que donnent des militaires qui s’éternisent au pouvoir. J’espère que les nôtres, au Burkina Faso, se sont donnés pour mission de sécuriser la région, puis de se retirer. Il y a déjà eu un précédent. Cela reviendra à redonner le pouvoir au peuple pour lui permettre de décider. Évidemment, cela passe par des élections. Le Burkina Faso compte en organiser l’année prochaine. Tant mieux. Je reste optimiste en toute circonstance parce que j’ai grandi dans le rayonnement de Thomas Sankara. Et parce que la rue aussi a déjà prouvé qu’elle sait se défaire de l’emprise des dirigeants qui ne lui convient pas. Le peuple a une gueule au Burkina Faso.
La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a effectué une visite diversement appréciée au Sénégal. Était-ce une faute politique de la part de Macky Sall ?
Cette visite montre à quel point les choses bougent. Elle prouve aussi que notre influence grandit. Décidons de qui s’installera à la table des négociations avec nous. Ne nous trompons pas de partenaires. Cela dit, au regard des résultats des dernières élections présidentielle et législative en France, Marine Le Pen est devenue mainstream. Faut-il la recevoir en Afrique ? Je ne saurais donner un avis définitif. Mais une personnalité dont le nom rassemble autant de Français est incontestablement une force politique que n’importe quel dirigeant au monde se doit de recevoir. Il ne s’agit pas de lui offrir une tribune d’expression où elle ne serait pas contestée. Sur le continent, on est davantage à même de lui opposer un discours élaboré qui bat en brèche son discours nauséabond. En France, ce discours s’est normalisé et ne heurte plus personne.
Selon le baromètre du Conseil représentatif des associations noires (Cran), 9 personnes noires sur 10 se disent victimes de racisme en France qui se traduit notamment par une difficulté à l’embauche. Quel regard portez-vous sur la représentation de la diversité au cinéma ou à la télévision ?
C’est un débat qui m’horripile. On répète en boucle qu’il faut de l’inclusion, de la diversité. Mais quand quelqu’un fait quelque chose dans ce sens, on lui parle moins de l’œuvre à laquelle il a participé que du casting. Cela contribue à amoindrir l’impact de l’œuvre. Par exemple, lors de la sortie de La Vie de château, il y avait beaucoup à dire sur le plan cinématographique : film d’auteur à petit budget, tranches de vie dans l’un des derniers quartiers populaires de Paris… On s’est arrêté au casting, essentiellement noir. L’autre exemple, c’est le film d’Omar Sy, Tirailleurs. Une polémique absurde née d’une déclaration de l’auteur a éclipsé le film. À force de considérer nos jaillissements comme des étrangetés, on ne parle ni des acteurs qui ont travaillé leur rôle, ni des moyens déployés, ni de l’histoire. C’est dommage.
Comment améliorer la représentation des Noirs au cinéma ?
Aujourd’hui, la jeunesse a compris. Elle crée du contenu sur les plateformes et se passe des intermédiaires qui ont souvent tendance à jouer les prescripteurs. Ce n’est pas l’institution qui va nous libérer, mais les gens décomplexés qui agissent sur les plateformes. L’une des portes a été ouverte par une nouvelle génération d’humoristes, de toutes origines et de toutes classes sociales, qui créent des coalitions. Le Jamel Comedy Club, par exemple, a pris le temps de semer des graines qui ont poussé. Ces groupes d’humoristes se forment ainsi et font naître des familles spécialisées dans le cinéma, le podcast, les séries… La création artistique se démocratise tout doucement.
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